Une centaine de festivals ont été supprimés ou annulés en France principalement en raison des coupes budgétaires des collectivités locales ou régionales, écrit dimanche le journal "Le Parisien". Même de grosses manifestations sont menacées.
Le journal se base sur le décompte d'Emeline Jersol, médiatrice culturelle travaillant pour Le Boulon, un centre national des arts de la rue situé à Vieux-Condé, près de Valenciennes (Nord). Cette dernière tient depuis janvier le registre des "festivals, structures et associations supprimés/annulés"à travers une carte interactive qu'elle a baptisée "cartocrise".
On peut relever sur cette carte 143 points correspondant soit à des festivals annulés, soit à des structures fermées dans le domaine de la musique, du théâtre, de la danse, des arts plastiques, des arts de la rue, de la littérature ou d'autres domaines. Parmi ceux-ci une centaine correspondent à des festivals supprimés ou dont l'édition 2015 a été annulée.
Ces suppressions ou annulations résultent surtout de suppressions de subventions publiques, en particulier municipales après l'arrivée de nouvelles équipes à la tête de villes, à la suite des élections de mars 2014, selon "Le Parisien". "Un nouveau maire c'est un nouveau réseau. 'Je te sabre parce que tu as soutenu l'autre'", explique dans ce journal Emmanuel Négrier, chercheur au CNRS.
"Le Parisien" donne comme exemple le festival Les Voix de Gaou qui existait depuis 17 ans dans le Var et qui a été supprimé en raison d'un mélange de baisse de fréquentation, de "surenchère" en matière de cachets pour les artistes et de baisse des dotations de l'Etat.
Le directeur des Eurockéennes de Belfort (plus de 100'000 personnes attendues pour l'édiction 2015), Jean-Paul Roland, estime que "même les gros festivals sont menacés"à cause de la baisse des subventions publiques et aussi de la réorganisation des régions.
De son côté, le ministère de la Culture rappelle qu'il vient de mettre en place des "pactes" avec les collectivités locales. "Je leur propose de m'engager à leurs côtés en maintenant sur leur territoire les crédits du ministère de la Culture pour les trois prochaines années s'ils acceptent eux aussi de stabiliser leurs financements", écrit Fleur Pellerin dans un communiqué.
"J'ai d'ores et déjà signé trois pactes pour amorcer cette nouvelle dynamique, avec des villes de droite comme de gauche; je compte en avoir signé une trentaine avant la fin du premier semestre", ajoute-t-elle.
La romancière belge Amélie Nothomb a été élue membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, a indiqué lundi l'institution, homologue belge de l'Académie française. L'institution décerne 30 prix littéraires et avait ainsi distingué Amélie Nothomb en 1998 pour son roman "Mercure".
Amélie Nothomb, 48 ans, a été élue samedi, "à une grande majorité", au siège laissé vacant à la suite du décès en août 2014 de l'écrivain et sinologue belge Simon Leys. Elle a été choisie pour "l'importance de l'oeuvre, son originalité et sa cohérence, son rayonnement international", a expliqué le secrétaire perpétuel de l'académie, Jacques De Decker.
Auteure de 23 romans, dont "Hygiène de l'Assassin", "Stupeur et tremblements" ou encore "Pétronille", sorti en 2014, Amélie Nothomb est "tout à fait ravie" d'avoir été élue et "extrêmement honorée de succéder à Simon Leys", a ajouté M. De Decker. Célèbre aussi pour ses chapeaux, elle publie un roman par an depuis 1992. C'est l'une des auteures francophones les plus lues dans le monde.
L'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique a été fondée en 1920. Ouverte aux femmes dès sa création, elle compte 40 fauteuils: 26 pour des écrivains et 14 pour des philologues, dont un quart réservés à des étrangers.
Des restes de l'auteur de Don Quichotte, Miguel de Cervantès, ont été découverts dans la crypte d'une église de Madrid, a annoncé mardi le directeur de l'équipe chargée des recherches. L'identification n'a pas été encore confirmée par la voie génétique.
"Après analyse de toute l'information (...), il est possible de considérer que parmi les fragments de la 'réduction' découverte dans le sol de la crypte de l'actuelle église des Trinitaires se trouvent certains fragments appartenant à Miguel de Cervantès", a-t-il dit lors d'une conférence de presse.
Les chercheurs sont parvenus à cette conclusion en analysant un faisceau d'indices d'ordre documentaire sur l'auteur de Don Quichotte. Ces indices ont été comparés à leurs recherches anthropologiques et archéologiques. Les restes n'ont toutefois pas été analysés encore à ce stade de manière "génétique".
"Il n'y a pas d'identification confirmée par la voie génétique"à ce stade, a déclaré de son côté l'archéologue Almudena Garcia-Rubio.
Né en 1547, dans la vieille ville universitaire d'Alcala de Henares, près de Madrid, l'écrivain a passé les dernières années de sa vie dans un quartier du centre de la capitale espagnole, aujourd'hui rebaptisé "Barrio de las Letras", ou "Quartier des Lettres", en hommage à ses célèbres habitants: Cervantès, mais aussi Lope de Vega, et les grands rivaux littéraires du Siècle d'Or, Francisco de Quevedo et Luis de Gongora.
Un quartier qui se démarquait à l'époque "par le grand nombre de membres du monde du spectacle et de la bohème, en plus d'auteurs en tous genres qui y vivaient et s'y retrouvaient", selon l'historien Fernando de Prado, qui a soumis le projet de recherche des restes de Cervantès à la mairie de Madrid.
L'auteur de Don Quichotte fut enterré dans ce quartier en avril 1616. Mais on ignorait le lieu exact de sa sépulture, perdue au fil de l'histoire et des travaux d'agrandissement de cette église et du couvent attenant, aux façades de briques rouges.
Zep, le créateur de Titeuf, signe l'affiche officielle de la première édition de Delémont'BD qui se déroulera du 2 au 5 juillet dans la capitale jurassienne. Le dessinateur sera l'invité d'honneur de la manifestation qui réunira près de 40 auteurs.
Zep incarne, à sa façon, le désir de Delémont'BD de s'inscrire comme un haut lieu de la bande dessinée en Suisse, à même de rayonner dans toute l'Europe, a expliqué mardi le comité d'organisation. La première édition du festival permettra aussi de découvrir huit expositions consacrées à la bande dessinée.
L'affiche imaginée par Zep met en valeur le caractère unique de la vieille-ville de Delémont, a relevé le comité d'organisation. On y voit Titeuf perché sur une fontaine en train de croquer des personnages célèbres de la bande dessinée. Zep sera présent au festival pour y rencontrer le public.
Delémont'BD entend instaurer une tradition en décernant à son invité d'honneur le titre honorifique de "Grand Trissou". Il est le premier d'une longue liste d'auteurs à le recevoir, espère le comité. Ce titre s'inspire du sobriquet dont s'affuble la ville pendant le carnaval, "Trissville".
L'équipe chargée de rechercher les restes de l'auteur de Don Quichotte, Miguel de Cervantès, est convaincue de l'avoir retrouvé dans la crypte d'une église du centre de Madrid, quatre siècles après la mort de l'inventeur du roman moderne. Durée: 00:58
Maximiliano Guerra aurait pu devenir une star du football, mais il s’est consacré à la danse. Reconnu partout dans le monde comme un grand danseur de ballet, il est désormais le nouveau directeur du Ballet du Théâtre Colon à Buenos Aires. Durée:00:59
Les Prix du cinéma suisse ont vu le triomphe du Cercle, docufiction émouvante malgré une reconstitution lisse et académique. Avec ses quatre récompenses, dont celle du meilleur film, le long métrage de Stefan Haupt a permis au monde du cinéma suisse de se réjouir de son ouverture d’esprit (Le cercle raconte la rencontre, à la fin des années 50, de deux hommes qui deviendront les premiers à enregistrer leur partenariat), même si tout cela reste bien consensuel.
Les Quartz du meilleur documentaire et du meilleur montage sont revenus à un film autrement plus saisissant, à la maîtrise narrative exemplaire: Electroboy, en salle depuis mercredi dernier. On y découvre Florian Burkhardt, un Bâlois vivant reclus dans un appartement décati de Bochum.
Ce quadragénaire, qui survit grâce à une rente invalidité, souffre d’une agoraphobie sévère, avait jadis tenté sa chance à Hollywood, avant de devenir mannequin à Milan. On pense alors avoir affaire à un mythomane, héros d’un «documenteur» roublard.
Mais l’histoire de Florian est bien réelle. Il fut également un pionnier de l’internet et organisateur de soirées électros très courues. Après une première partie sidérante et souvent drôle tant l’homme est aujourd’hui en décalage avec ce qu’il a été, le récit vire au drame familial. Des secrets ressurgissent, et on comprend pourquoi il a coupé les ponts avec ses parents.
Roman. Une femme est appelée d’urgence à l’hôpital. Son fils adolescent vient de faire un coma éthylique. Ce même fils que cette mère «indigne» avait presque laissé mourir de soif lorsqu’il était nourrisson… A la suite de ce choc, elle choisit de revenir sur sa mémoire familiale, fouillant un passé enfoui qui pèse sur le présent. «Je remonte le cours, à la rencontre de mes ancêtres, ce trajet d’eau vive qui m’entraîne à contre-courant et me déborde», écrit-elle. Le roman alterne entre la vie solitaire de cette femme et la saga de sa famille, sur cinq générations. Nous sommes au bord de la Ligne, rivière d’Ardèche où a été bâtie l’entreprise familiale de moulinage Ligne & Fils. Il est question de vers à soie, de cocons qu’il faut démêler à mains nues, dans l’eau bouillante, et qui peuvent contenir chacun jusqu’à un kilomètre de fil.
La Française Emmanuelle Pagano aime les fibres (cheveux ou fils de soie), qu’elle noue et dénoue de livre en livre, comme les destins de ses personnages, tissant une œuvre ambitieuse. Elle est également fascinée par l’élément aquatique (que ce soit les humeurs, les sentiments, les rivières…) Le maillage de son système d’échos et de correspondances poétiques est si serré qu’il alourdit parfois le récit. Les lacets que noue sa belle écriture ne maintiennent pas toujours le lecteur captif: il se surprend à divaguer, plongeant dans les eaux dormantes de sa propre mémoire. Et pourtant, Ligne & Fils, premier volet d’une trilogie romanesque, force l’admiration. Emmanuelle Pagano devrait explorer, dans les volets suivants, lacs et barrages, poches d’eaux souterraines, fleuves et mers… Un projet rare qui constituera, à terme, une sorte de poétique de l’eau, comme en avait écrit le philosophe Gaston Bachelard.
Son écriture évoque autant les destins intimes que l’histoire de toute une région, l’Ardèche. Il dresse le portrait d’un paysage. Et, ce faisant, il l’invente. Au détour d’une ligne, cette phrase discrète, mais qui pourrait résumer toute la littérature: «Peut-être que rien n’existe tant qu’on ne l’invente pas.»
Conte initiatique.Sur une musique composée sur mesure, les élèves d’une filière «danse-études» lausannoise recréent l’univers onirique où se côtoient enfants perdus, Indiens, fée Clochette, capitaine Crochet et un célèbre petit garçon qui refusait de grandir.
Pas question d’improviser ou de faire fluctuer les tempos. Entre cordes, vents, accordéon, claviers et foisonnante percussion, les musiciens du Step in Time Orchestra, multi-instrumentistes pour la plupart, se plient volontiers à la rigueur quasi métronomique indispensable aux jeunes danseurs qui, devant eux, synchronisent leurs pas et attitudes pour ce spectacle de l’Association pour la formation de jeunes danseurs.
Dans la salle de répétition, aula d’un collège lausannois, la danse se pratique en sport d’équipe sous l’œil attentif des divers chorégraphes qui se partagent les tableaux du conte initiatique écrit, il y a plus de cent ans, par l’Ecossais James M. Barrie. Vue de l’intérieur – celui des mouvements des danseurs et des rappels précis de leurs professeurs – la musique est d’abord un support de temps forts et de points de repère. Ecoutée de l’extérieur, elle s’apparente à une musique de théâtre colorée.
Les deux compositeurs s’en amusent. Jean-Samuel Racine et Renaud Delay se disent en effet tous deux «fans de comédies musicales» et de musiques au pluriel. L’un, clarinettiste classique, officie également sur la scène jazz et rock ainsi qu’au sein de l’ensemble Boulouris 5 pour lequel il compose, de même que pour des compagnies théâtrales. L’autre, tout aussi éclectique, vient du piano classique, a étudié la théorie musicale puis s’est spécialisé en jazz et en acteur de productions scéniques dans l’esprit de Broadway: Moulin Rouge, Cabaret…
Arrangeur, il couche sur papier dans ses moindres détails Atom Heart Mother, enregistrement mythique de Pink Floyd, ou propose des versions de chansons de Freddie Mercury pour voix, piano et quatuor à cordes.
Ballet au service du récit
Autant dire que les complices de la partition de Peter Pan pratiquent de nombreuses disciplines… y compris la prise en compte préalable des consignes liées à la production d’un spectacle: «Les demandes de Pierre Wyss, metteur en scène, étaient claires: il voulait un ballet au service du récit, résument-ils. Et il nous a soumis un script précis avec un découpage des scènes permettant de raconter et suivre l’action.» Une autre exigence, venant des chorégraphes, concernait des aspects plus formels. Peter Pan, spectacle de danse, se devait d’intégrer des danses traditionnelles – csárdás, tango… – que les compositeurs ont donc jointes à leur palette.
A partir de ces éléments imposés, Jean-Samuel Racine et Renaud Delay ont fait sonner leur imaginaire. Ils ont décidé de l’orchestration «en fonction des caractéristiques des personnages» en les dotant, dans l’esprit du leitmotiv, de thèmes spécifiques. Ils se sont ensuite réparti les scènes et ont conçu «une heure et demie de musique qui doit être jouée en direct et sans chef»! Les maquettes, soumises aux chorégraphes il y a plusieurs mois déjà, ont subi des modifications. Rajout de mesures (chorégraphies obligent), adaptation de tempos… Cette façon d’inventer une partition à la fois à leur image et utilitaire s’est transformée au fil du temps en passionnant et ludique défi: «Pour garantir une unité au spectacle, chacun de nous était autorisé à piquer dans la musique de l’autre et à l’intégrer dans la sienne, d’une façon plus ou moins déguisée et surprenante», sourit Renaud Delay. Leur pas de deux musical bat les rythmes d’une aventure collective qui se passe des mots et se danse.
Lausanne, Théâtre de Beaulieu. Je 26, ve 27, 20 h. Sa 28, 17 h. Rens. 079 814 83 35 ou www.afjd.ch Réservations: www.monbillet.ch
Le photographe thurgovien Meinrad Schade, 47 ans, l’avoue lui-même: il n’a pas le courage de se rendre sur les lieux des guerres en cours pour prendre des images violentes. Il ne croit d’ailleurs pas, contrairement à une Susan Sontag, que de telles photographies brutales puissent avoir un effet de sensibilisation sur le grand public.
Alors Meinrad Schade s’attache à décrire une autre violence, plus latente, celle qui précède et suit la guerre, ou se tapit en marge de ces conflits.
Depuis dix ans, le photographe écume la Russie et les ex-Républiques soviétiques à la recherche de témoins, de vieux soldats de l’Empire, de victimes, de célébrations patriotiques. Il s’est rendu en Israël et dans les territoires occupés pour observer les signes d’une tension permanente, toujours susceptible de très mal tourner.
Dernièrement, Meinrad Schade a visité un salon international des armes, l’Eurosatory de Paris, où l’arsenal contemporain de la guerre est montré comme s’il s’agissait des derniers jouets tendance avant Noël, sauf que les acheteurs n’ont rien de rassurant.
Il a aussi assisté aux clowneries des excités belliqueux qui s’amusent dans le War & Peace Show de Beltring, en Angleterre.
Attentif, empathique, méticuleux, Meinrad Schade prend son temps pour documenter ces guerres qui n’en sont plus, ou pas encore. Il a une manière assez unique de travailler ses compositions en privilégiant les poses classiques, les cadrages rigoureux, les arrière-plans signifiants, les lumières chaudes de la fin du jour.
Les tirages sont splendides, et accrochés avec soin aux murs de la Fondation suisse pour la photographie de Winterthour, où est présenté ce troublant reportage. Ce vernis esthétique ne fait qu’accentuer ce qui, en dessous, se trame dans les photographies: une menace permanente innervée par l’argent, la haine de l’autre, la fascination générale pour la guerre et la violence. Et le prix payé par ceux qui en ont subi les conséquences.
Critique. Huitième album solo de l’ex-Dire Straits, «Tracker» est un beau disque qui entremêle pour le meilleur folk, pop et country.
Il y a dans «Tracker», un album tout en clairs-obscurs, de belles mélodies empreintes d’une irrésistible mélancolie. L’emballage est folk, il protège d’enivrantes ballades (Basil, River Towns), mais aussi de la country (Long Cool Girl, Lights of Taormina), de la pop Beatles en diable (Skydiver) et même du jazz frayant avec des harmonies celtiques (Laughs and Jokes and Drinks and Smokes).
Et puis sur Beryl, on retrouve ce jeu de guitare inimitable, cette Fender qui claque et rappelle en deux accords Sultans of Swing, ce tube qui, en 1978, envoya Dire Straits sur orbite.
Vingt ans après l’implosion du groupe, Mark Knopfler poursuit en solo une carrière exemplaire. Tracker est son huitième enregistrement et, trois ans après l’intense Privateering, il convainc dès la première écoute.
On sent le plaisir qu’a l’Ecossais de pouvoir composer, loin des modes et des contraintes liées à un marché du disque toujours en quête de renouvellement, des morceaux libres et intemporels qui doivent beaucoup, dit-il, à la tournée commune qu’il a effectuée avec Bob Dylan.
Mark Knopfler, à l’image d’Eric Clapton, autre guitar hero au jeu parfois ampoulé, n’est jamais aussi bon que lorsqu’il se met au service d’une mélodie sans chercher l’épate à tout prix. Tracker est un beau disque aujourd’hui, comme il l’aurait été hier et le sera demain.
Interview. Le philosophe Michel Onfray publie «Cosmos», un ouvrage aussi personnel qu’universel sur la question de notre relation à l’univers, et tout ce qui nous dépasse. Puissant et solaire.
C’est peut-être le livre le plus personnel de Michel Onfray. Plus qu’un nouvel ouvrage de philosophie, Cosmos est avant tout le récit d’une sagesse apprise par la douleur. Celle du deuil d’un père qui s’éteint, dans ses bras, debout, un soir de décembre, sous un ciel lourdement voilé. Puis, celle, innommable, de la disparition d’une compagne de toute une vie, arrachée dans la fleur de l’âge par une de ces saletés de cancers.
Face à l’absence, à ce néant qui gagne toujours, Michel Onfray a choisi le questionnement à l’effondrement. La notion d’héritage à celle de perte. Et c’est alors que, en puisant dans ces leçons de vie pleines de bon sens paysan laissées par son père, le philosophe a dégagé des pistes salutaires pour renouer avec l’existence et sa puissance solaire. Rencontre.
Vous écrivez que «Cosmos» est votre premier livre. En quoi ressentez-vous ce livre comme plus important que les précédents?
Oui, je crois en effet que tous les livres passés sont comme les petits ruisseaux qui sont destinés à rejoindre un jour l’océan via les grandes rivières. J’ai l’impression d’aller vers l’estuaire… Le lecteur verra peut-être en comparaison que ce qui fut, par rapport à ce qui est, se révèle plus grand, plus vaste, plus fort. Pas plus vrai, mais plus juste, moins approchant, plus dans le cœur de cible ontologique.
Il y a un moment où ce qui advient montre que ce qui fut peut se penser comme une esquisse. L’esquisse n’est pas négligeable, mais, en regard de l’œuvre qu’elle rend possible, elle a un rôle préparatoire, secondaire bien qu’essentiel, puisqu’elle permet la naissance. Ce qui est né sous ma plume cette fois-ci m’a fait la démonstration que ce qui précédait était une gestation.
«Cosmos» porte tout entier l’empreinte d’un autre regard sur les choses: au penseur des villes, vous préférez aujourd’hui clairement la figure du paysan, à l’image de votre père. Avec quel héritage, justement, avez-vous renoué avec ce deuil?
La mort de ceux qu’on aime, mon père, foudroyé dans mes bras à 88 ans, ma compagne de trente-sept années de vie commune après treize années de cancer, nous laisse sur un territoire dévasté.
Je ne crois pas à la vulgate freudienne du «faire son deuil», je crois bien plutôt que «le deuil nous fait». Je raconte ici comment nous héritons de leur force perdue, ce qui crée des devoirs et ne donne aucun droit.
Et ces devoirs, quels sont-ils aujourd’hui pour vous?
Etre à la hauteur de ce qu’ils furent en pratiquant les vertus qui ont été les leurs: la droiture, la politesse, la courtoise, l’honnêteté, la vérité, la justice, en fait, ce que tous enseignent, mais que très peu pratiquent…
J’ajoute: le sens de l’honneur et de la parole donnée, faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait, vivre pour n’avoir rien à cacher, n’aimer ni les honneurs, ni l’argent, ni le pouvoir, mais rester fier et digne en toute occasion, ne jamais se plaindre. Des vertus romaines, dignes d’un sage stoïcien. Des pratiques qui furent celles des «hommes illustres» chers au cœur de Plutarque.
A l’instar de Virgile, vous pensez que l’observation de la nature est propre à nous enseigner «la marche philosophique du monde». La loi de la nature, qui est aussi la loi du plus fort, est-elle vraiment un modèle?
J’invite à ce que chacun se place ou replace ontologiquement au centre du monde en interrogeant moins la nature que le cosmos qui est la totalité dans laquelle s’inscrit la nature. Au bout du compte, il s’agit de découvrir que le cosmos se trouve aussi à l’épicentre de chacun. Ce recentrage est un remède au mauvais centrage de l’égoïsme et du narcissisme.
Votre spiritualité passe en effet toujours par le corps…
Quand je parle de la dégustation d’un champagne 1921 et de l’expérience proustienne qui permet la quête d’une émotion contemporaine de l’année de naissance de mon père, quand je parle du sublime qui surgit dans le corps quand nous sommes face au spectacle de l’immensité d’une voûte étoilée, d’un paysage immense, du rythme des planètes, quand je célèbre la musique de la préhistoire avec les litophones ou que je sollicite la musique minimale et répétitive américaine, quand je célèbre la peinture charnelle ou le land art, oui, je parle d’un corps réel et concret.
Je suis un sensuel, un sensoriel, un empirique et quand je propose une spiritualité, elle part du concret: la nature, les saisons, les animaux, les anguilles, et ne concerne que la chair païenne des corps sensuels.
Vous poussez loin le déterminisme: l’identité, écrivez-vous, se constitue dès le ventre de la mère… On serait donc tous par deux fois préprogrammés: par notre statut d’humain, premièrement, puis par les prémices de notre histoire personnelle?
On ne peut nier que, dès que le corps se développe dans le ventre de la mère, dès le développement du système neuronal pour être plus précis, il emmagasine des informations qui nous accompagneront toute notre vie et qui détermineront ce que nous sommes et ce que nous devenons.
L’homme neuronal de Jean-Pierre Changeux a bien montré tout ça sans qu’on ait besoin de «pousser loin le déterminisme»: ce déterminisme est, c’est ainsi. Philosopher sans lui, voire contre lui, c’est s’engager dans la fiction.
Vous parlez du cerveau comme d’une «terre à ensemencer» et de la «nécessité d’une éducation sensorielle». Est-ce à dire qu’il faut revenir au plaisir?
Oui, car l’éducation répressive et coercitive toujours associée à la contrainte et au déplaisir ne produit rien d’autre que dégoût et rejet, sinon la perversion sadomasochiste qui associe le plaisir à la souffrance qu’on inflige ou qu’on s’inflige. Le sadique, le masochiste, le sadomasochiste sont les produits de ces éducations brimantes.
Vous qui avez passé votre vie dans les livres, vous décriez aujourd’hui ces objets si particuliers. N’est-ce pas contradictoire?
Non. Je décrie les livres qui éloignent du monde, autrement dit la plupart, et célèbre ceux qui nous y conduisent, nous y ramènent, c’est-à-dire très peu. J’invite moins à un autodafé, ce qui serait stupide et criminel, qu’à ce que l’on appelle dans les bibliothèques un désherbage: écarter les livres inutiles pour nous concentrer sur les ouvrages utiles à méditer.
Vous opposez les vertus de la nature aux méfaits de la culture. De celle qui «éloigne justement de la nature». Est-ce à dire qu’il y a une bonne et une mauvaise culture?
Oui. La culture qui éloigne de la nature, qui est une anti-nature ou une contre-nature ne peut que nous séparer d’avec nous-mêmes. La bonne culture est celle qui nous enseigne que nous sommes une partie d’elle: plutôt Virgile et Lucrèce que la Torah, la Bible et le Coran, plutôt Bachelard et Caillois que Kant et Platon.
Une autre forme de culture qui relie au monde, écrivez-vous, c’est le haïku, dont vous êtes vous-même devenu un auteur. D’où vous vient cet amour pour cette forme littéraire si particulière?
J’avais un ami de jeunesse qui avait fait langues O. Il est parti vivre au Japon (où il est toujours) et m’avait initié, quand j’avais 20 ans, à la civilisation japonaise. J’ai beaucoup lu, alors, de littérature japonaise, dont des haïkus. Mais je n’y étais guère sensible.
Je les ai redécouverts en cherchant des livres à lire partout où j’accompagnais ma compagne pendant ses chimiothérapies, ses soins, ses visites, ses hospitalisations – pendant treize années. Le haïku permet cette lecture ponctuelle, fragmentée, séparée, en même temps qu’il sort vite et bien de ce monde pour nous faire entrer dans celui du poème et du poète.
Le mode de vie tzigane vous apparaît aujourd’hui comme l’un des plus sains, et donc le mieux à même pour mener une existence philosophique. Mais est-ce bien réaliste, et conciliable avec les impératifs de nos sociétés?
Je parle des Tziganes avant leur acculturation, leur sédentarisation, leur christianisation, leur destruction, leur prolétarisation. Ce peuple a subi le génocide nazi, mais il a aussi subi l’ethnocide civilisationnel chrétien, capitaliste, consumériste.
Est-ce vraiment une question de civilisation? Vit-on mieux, plus philosophiquement, au pôle Nord ou chez les Papous?
Tout dépend de notre tropisme: si l’on aime la pluie, le froid, la nuit ou le soleil, la chaleur, la brûlure, on ne sera pas porté vers les mêmes lieux ontologiques. Que Paul-Emile Victor, qui a fait carrière aux pôles, ait fini sa vie à Bora-Bora fait sens. Je ne crois pas qu’un homme ait envie de finir ses jours dans l’Arctique. En revanche, la Polynésie, si! Il faut une géographie propice à la douceur pour les corps.
Vous citez également Gauguin, qui a fait le choix du «contre-temps». Nous ne sommes pas tous Gauguin… Comment passer de l’exemple à la pratique pour tous?
Chacun doit pouvoir instiller une dose de Gauguin dans sa vie. Nul n’est tenu d’accéder au génie du peintre, mais chacun pourrait faire de sa vie une œuvre d’art, autrement dit une œuvre qui ne duplique rien ni personne et qui soit sans duplication possible. Une œuvre originale, sans double, singulière. Rien n’oblige pour autant au chef-d’œuvre.
Faut-il dès lors privilégier les émotions, les sensations aux idées, et donc à la raison?
Pas les privilégier, non, mais les relier, dans le sens: les lier à nouveau. Dans l’ordre occidental, la raison fonctionne souvent comme une machine froide, à vide, dans un monde de concepts et d’idées qui seraient prioritaires, sinon seuls au monde! Or c’est le monde qui est premier, et qui est seul: la raison est secondeet secondaire, elle arrive après, comme exercice de saisie et de compréhension du monde. La vie d’abord, la pensée de la vie ensuite.
Se laisser pénétrer par la beauté de la nature, écrivez-vous, c’est accéder au sublime. Face à autant de perfection, n’êtes-vous vraiment jamais tenté par l’idée d’un grand ordonnateur à tout cela?
Non. Je suis et je reste athée. Le cosmos me suffit puisqu’il signifie ordre en grec. Il y a un ordre du cosmos qui est pure factualité mécanique. Si nous souscrivions à votre logique qu’il faudrait une cause à tout, il nous faudrait conclure que Dieu a lui aussi une cause qui est… l’homme. J’ai assez à faire avec l’homme et le cosmos pour n’avoir pas besoin de la fiction de Dieu.
Dans ce cosmos, il y a aussi les animaux et vous consacrez d’ailleurs une grande partie de ce livre au lien que nous entretenons avec eux. A la souffrance que nous leur imposons et au danger d’un véganisme généralisé sur la vie même de l’homme. Une situation inextricable, finalement?
Oui. Nous sommes en effet pris en tenailles entre la nécessité de trouver des protéines pour nous nourrir, notre part animale nous rappelle alors que nous sommes des prédateurs, et notre compassion pour l’abattage des animaux, nos presque semblables, pour nous en nourrir, cette capacité à la pitié fait de nous des humains. Bêtes et hommes, cerveau reptilien et néocortex, cette tension est notre destin…
Zoom. Le Californien raconte dans «Big Eyes» le destin de Margaret Keane, peintre à succès longtemps étouffée par son mari. Ce biopic évoque irrémédiablement «Ed Wood», sorti il y a vingt ans.
Vingt ans séparent «Ed Wood» de «Big Eyes». Deux décennies au cours desquelles Tim Burton est devenu, plus qu’un cinéaste, une sorte de marque. Un adjectif du moins. On dit dorénavant burtonien, comme on dit hitchcockien, fellinien ou bergmanien.
Pourtant, si le Californien est définitivement rentré dans la légende hollywoodienne, au point d’avoir été muséifié de son vivant par le prestigieux MoMA new-yorkais, peu de réalisateurs peuvent réellement être qualifiés de burtoniens.
L’homme au sourire déglingué et à la mèche folle reste unique, même si nombreux sont ceux qui le citent, comme lui-même parsème au sein de ses films des références allant de l’expressionnisme allemand aux films d’épouvante de la mythique société anglaise Hammer.
En découvrant Big Eyes, son 17e long métrage depuis Pee-Wee Big Adventure (1985), c’est finalement à un seul film que l’on pense: Ed Wood, qui en 1994 lui permettait de toucher un public plus cinéphile au sortir de deux Batman (1989 et 1992).
Deux productions inégales mais qui nous font aujourd’hui regretter cette époque bénie où les films de super-héros avaient une âme et une certaine poésie, loin de ces grosses machines boursouflées qui multiplient les séquences d’action en 3D et illisibles, au détriment de la cohérence narrative et d’une vraie réflexion esthétique.
Seul Christopher Nolan, en se réappropriant d’ailleurs le personnage de Batman, a su proposer quelque chose de vraiment intéressant. Mais cela est une autre histoire.
Hommage aux séries Z
D’une certaine manière, Burton est un cinéaste à l’ancienne. D’abord dans sa manière de mettre en place son récit, qui ne fonctionne pas à l’aide d’incessants rebondissements et déroule sa dramaturgie sans user d’artifices narratifs destinés à perdre le spectateur, ensuite à travers la nostalgie qui émane de la plupart de ses films.
Avec Ed Wood, il rendait, à travers le portrait de celui que l’on présente communément comme le plus mauvais réalisateur de tous les temps, un hommage appuyé aux séries Z des années 50-60 et à un homme qui, comme lui, n’a fait que chercher à rester honnête avec son univers.
De même, c’est une artiste droite dans ses bottes mais malmenée par la vie qu’il met en lumière dans Big Eyes: Margaret Keane, connue pour ses toiles représentant des jeunes filles aux yeux démesurément grands, et qui vécut pendant de nombreuses années dans l’ombre de son mari, qui s’est longtemps fait passer pour le véritable auteur de ces peintures appréciées d’un large public.
Il n’est pas étonnant que les deux seuls films de Burton inspirés de faits réels soient consacrés à ces deux personnages. Les similitudes que l’on peut pointer s’expliquent aussi assurément par le fait que les deux coscénaristes d’Ed Wood, Scott Alexander et Larry Karaszewski, sont également à l’origine de Big Eyes.
Pervers narcissique
Il est question, dans Big Eyes, de regard. Les yeux expriment des émotions, ils sont la fenêtre de l’âme, y entend-on. Les peintures de Margaret Keane, avec leurs personnages qui vous fixent intensément, renvoient en quelque sorte au mal-être de son auteure, une femme qui a toujours dû détourner les yeux.
D’abord parce qu’elle a divorcé et pris son indépendance à une époque, la fin des années 50, où les femmes ne quittaient pas leur mari, ensuite parce qu’elle a épousé en secondes noces un homme tyrannique – on dirait aujourd’hui un pervers narcissique – l’empêchant d’être elle-même. Elle savait que ses toiles avaient du succès, malgré le dédain du monde de l’art et des critiques, mais ne pouvait en profiter.
Ed Wood, lui, aurait rêvé d’en avoir, du succès. Né en 1924, soit trois ans avant Margaret Keane, il a toujours eu comme ambition de faire carrière à Hollywood. Las, un manque tant de moyens que de talent le verra enchaîner des films brinquebalants et ahurissants de naïveté qui seront tous de cuisants échecs, avant d’être considérés, bien après sa mort en 1958 et en grande partie grâce à Tim Burton, comme des œuvres cultes.
Personne ne voyait en Margaret Keane la peintre à succès qu’elle était, tandis que seul Ed Wood voyait en lui un grand cinéaste. A plusieurs moments du film, son interprète, Johnny Depp, ouvre grands ses yeux, émerveillé par des projets auxquels il est le seul à croire. En découvrant le travail de l’héroïne tragique de Big Eyes, l’image nous revient irrémédiablement en tête.
Héros contre salaud
«Ed Wood était considéré comme le pire réalisateur du monde, a expliqué Tim Burton au magazine Rolling Stone. Mais je me souviens de ses films. Beaucoup d’autres personnes aussi, car ils ont quelque chose de poétique, d’étrange, qui les différencie. Et il y a une similarité entre Ed Wood et Margaret Keane.
Quand il réalise Plan 9 From Outer Space, il imagine qu’il est en train de faire Star Wars. Quand elle peint, elle et son mari imaginent qu’ils sont en train de faire Mona Lisa. Lorsque vous créez, vous êtes absorbé par l’enthousiasme de réaliser quelque chose.»
En cela, le caractère fantasque et volontiers mythomane du réalisateur de séries Z se rapproche de celui de Walter Keane, ce mari d’abord sirupeux et aimant, que l’on découvre ensuite odieux et menaçant. On devine que tout en rendant hommage à Margaret, c’est à lui que Tim Burton s’est en premier lieu intéressé.
A l’instar d’Ed Wood, Walter Keane est prêt à tout pour réussir, quitte à tricher pour s’élever socialement. Comme lui, il rêve de faire partie d’un monde qui, pourtant, ne veut pas de lui. Mais là où le réalisateur accédera post mortem à la célébrité, le peintre qui n’en était pas un sera démasqué au bout de quinze ans de mensonges. Héros contre salaud, en somme.
On pourrait chercher dans d’autres films de Tim Burton des éléments que l’on retrouve dans Big Eyes. Ainsi, Walter Keane a à la fois quelque chose du démoniaque cavalier sans tête de Sleepy Hollow (1999) et du fantasque Edward Bloom de Big Fish (2003), tandis qu’il y a dans la photographie très pop du film des réminiscences du flamboyant Edward aux mains d’argent (1990).
Le Californien fait partie de ces auteurs dont on se plaît à retrouver l’univers. Vingt ans après Ed Wood, le deuxième biopic de sa belle filmographie séduit au final par la maîtrise d’un récit tout en nuances et la formidable interprétation d’Amy Adams et de Christoph Waltz, la force tranquille contre l’exubérance, tout en surprenant par son absence de réelle folie.
C’est un Tim Burton plutôt sobre que l’on découvre ici. En effet, malgré son évidente fascination pour Walter, c’est bien Margaret qui est au centre du film. Et verser dans la grandiloquence gothico-baroque qu’il aime tant aurait trop adouci le harcèlement psychologique dont elle a été victime. Le réalisateur aime ses personnages, et c’est d’abord à eux qu’il pense.
Histoire. La victoire des Français sur les Suisses en 1515 a permis à François 1er de construire sa légende grâce à une stratégie de communication qui a sans cesse récupéré Marignan. La bataille lui a permis d’introduire la Renaissance en France. «Merci aux Suisses!» dit en substance une exposition parisienne.
Chaque époque récupère à son profit les grands événements du passé. Cette évidence rappelle qu’un événement historique est toujours une construction a posteriori. Il est le produit d’un discours qui tente de lui donner un sens, lequel varie selon les préoccupations du moment.
Sans surprise, c’est ce qui se passe aujourd’hui avec la bataille de Marignan (13 et 14 septembre 1515), qui a vu les mercenaires suisses défaits par l’armée du roi de France François 1er aux portes de Milan.
De la défaite au salut
Résolument conservatrice, la fondation tessinoise Pro Marignano commémorera la bataille le 13 septembre prochain sur place, dans le cadre de la représentation suisse à l’Expo 2015 de Milan. Sous la devise Ex clade salus (de la défaite au salut), l’entreprise vise à renforcer l’idée de la neutralité suisse, dont l’origine cinq fois centenaire remonterait à Marignan.
Sous l’étendard d’auteurs comme Daniel de Roulet, David Collin ou Pedro Lenz, le groupe Art+Politique dénonce ce qu’il juge une indigne commémoration nationaliste. Pour lui, le «carnage hallucinant» des 13 et 14 septembre 1515 n’est en rien au départ de la neutralité du pays. Il ne mérite pas d’être fêté. Encore moins d’être utilisé à des fins de propagande qui visent à claquemurer la Suisse dans ses certitudes. Commémorer Marignan, c’est attester de la peur de l’autre, c’est manœuvrer contre la nécessaire ouverture du pays. Une autre défaite, cinq cents ans après.
Dans ces moments-là, il est toujours bon de juger sur pièces. Dès le 27 mars, le Musée national suisse à Zurich met en lumière l’importance de Marignan dans l’histoire suisse. L’exposition décrit l’avant et l’après-«bataille des géants» qui a mis aux prises 30 000 hommes, tuant plus de 10 000 d’entre eux, surtout les mercenaires suisses. Son but est d’éclairer les enjeux de l’affrontement dans le Milanais, ce que cherchait l’armée suisse en Lombardie, comment la Confédération a géré la défaite et les avantages de la paix perpétuelle signée avec la France en 1516 à Fribourg.
L’exposition part du présupposé que Marignan a sonné le glas de l’ambition de la Suisse d’être une grande puissance européenne, retrait politique qui a donné naissance à la neutralité. Le constat risque d’être discuté, même si le Musée national suisse entend poser des questions plutôt que d’amener des réponses définitives. Une exposition mémorielle s’inscrit toujours dans un moment politique, en l’occurrence malmené par des forces contraires.
La malice du destin
Le constat est le même du côté de la Bibliothèque nationale de France à Paris, qui consacre dès le 24 mars une exposition à Marignan. Ou plutôt à François 1er, le plus fameux des rois de France, dont le destin a été conditionné par sa victoire sur les Suisses. Par la malice du destin, voilà les deux anciens belligérants qui jettent en même temps leur propre regard sur la fin de l’été 1515, avec des arrière-pensées différentes. Comment ne pas voir dans cette analyse de la construction du pouvoir de François 1er l’envie d’une France déconfite de retrouver enfin son rang parmi les premières nations? Comment ne pas sentir un désir de grandeur dans l’évocation de ce prince haut de deux mètres, magnifique et intelligent, qui a permis à son pays d’acquérir son indiscutable légitimité culturelle?
L’ironie de l’histoire ne s’arrête pas là. Le récit proposé par la BN peut se lire ainsi: la Suisse aurait permis à la culture française, telle qu’on la connaît aujourd’hui, de croître, de prospérer puis de rayonner dans le monde entier! Bruno Petey-Girard, l’un des commissaires de l’exposition de Paris, se garde d’établir une telle relation de cause à effet, bien sûr. Mais ce professeur de littérature du XVIe siècle à l’université Paris-Est Créteil constate que «l’impact de la victoire française a été à la mesure de la stupéfaction générale à l’époque: personne n’attendait une telle issue face à des guerriers réputés invincibles. François 1er et sa cour ont ensuite mis en place une véritable stratégie de récupération de la gloire de Marignan, au point d’effacer de la mémoire son emprisonnement par Charles Quint ou la défaite française à Pavie en 1525.»
Naissance du «storytelling»
François 1er, c’est la mise en scène d’une nouvelle définition du pouvoir grâce à un storytelling sophistiqué, comme on dirait aujourd’hui. Or, ce «conte de faits» puise son origine dans la victoire sur un ennemi redouté, que l’armée française renoncera à pourchasser au soir du 14 septembre 1515, tant était grande son admiration devant le courage des Suisses. Jusqu’à la fin de son règne en 1547, et plus encore dans une dernière décennie agitée par d’autres défaites et menaces, le roi ne cessera de se présenter comme le «glorieux et triomphant subjugateur des Helvétiens», selon les mots de sa propre mère, l’influente Louise de Savoie. François 1er fait frapper après la victoire une médaille à son effigie, avec à son revers une évocation de la furieuse bataille et la devise «François premier très invincible roi des Français». Il répète l’opération vingt-cinq ans plus tard avec une autre médaille marquée du même «invictissimus». Il voit post mortem son propre tombeau, dans la basilique de Saint-Denis, décoré d’une scène de la fameuse victoire de 1515.
De plus, François 1er a profité de Marignan pour être adoubé chevalier par Bayard (sans peur ni reproche) sur les lieux mêmes de la bataille. Le roi chrétien était du même coup promu roi guerrier, grâce à son engagement personnel dans les attaques de sa cavalerie et à sa science du combat au détriment des mercenaires suisses. «Pour la première fois, un roi de France est fait chevalier, poursuit Bruno Petey-Girard. Or, accéder à ce rang, c’est ne plus pouvoir quitter un champ de bataille. C’est ce qui est arrivé dix ans plus tard à Pavie, alors que la France tentait de reconquérir la Lombardie. François 1er n’a pas voulu ordonner le retrait de ses troupes, ce qui lui a valu d’être fait prisonnier pendant une année. L’orgueil chevaleresque, né à Marignan, s’est transformé en bévue stratégique.»
Le savoir, c’est le pouvoir
Qu’importe, Pavie est vite oubliée au profit du grand projet de François 1er: asseoir son pouvoir sur celui de la culture. Marignan, c’est aussi la clé qui ouvre la porte de la Renaissance italienne pour la transférer en France, quitte à inviter ses meilleurs artistes à décorer ou à concevoir les châteaux à l’italienne qui vont bientôt orner les rives de la Loire. C’est inviter le meilleur d’entre eux, Léonard de Vinci, à venir le rejoindre et à lui acheter sa Joconde, aujourd’hui encore au Louvre (un vieux château transformé en palais renaissant par François 1er).
Les armes et les arts, le pouvoir et la puissance de l’imaginaire, tout cela grâce à un succès stupéfiant sur les plus redoutables combattants de l’époque. En 1529, le lettré Etienne Le Blanc adresse au roi sa traduction des Oraisons de Cicéron. Le livre est orné d’une miniature montrant François 1er en pleine charge à Marignan. Le but d’Etienne Le Blanc est d’articuler la victoire sur les Suisses au devenir culturel du royaume. C’est l’idéal humaniste de la collaboration des lettres et de l’exercice du pouvoir, gage d’harmonie pour le bon peuple autant que de gloire pour le souverain éclairé.
En plus de 200 œuvres – peintures, estampes, dessins, monnaies et médailles, livres imprimés et manuscrits, jusqu’à l’armure ornementée de François 1er – l’exposition de Paris montre combien le roi chrétien et chevalier a aussi voulu être celui des arts. Poète lui-même (le vers «Souvent femme varie / Bien fol est qui s’y fie» lui est attribué), le Valois fait traduire les textes de l’Antiquité, protège les auteurs avec des «privilèges royaux», ancêtres du copyright. Il demande aux éditeurs de déposer un exemplaire de chaque publication dans une bibliothèque qu’il veut à la fois nationale et universelle, posant les fondements de la BN qui évoque ce printemps son propre destin de roi. François Ier tire parti de l’essor de l’imprimerie pour favoriser un autre développement, celui de l’information. Et du savoir livresque, en français, la langue de la culture autant que celle de la souveraineté politique.
De même, le portrait de François Ier est peint par Clouet et Titien, frappé sur les testons, la monnaie la plus produite à l’époque en Europe, gravé, dessiné, imprimé, copié. L’effigie d’un roi dont on célèbre la grande allure dépasse les frontières de la France pour se répandre en Italie, en Allemagne, en Angleterre. Image du pouvoir, pouvoir de l’image: à la nouvelle politique culturelle s’ajoute une stratégie de communication qui vise à consolider la perception du pouvoir monarchique.
«Les Souysses»
Cette mutation culturelle voulue par la cour était ainsi solidaire de la célébration de Marignan, soigneusement entretenue du vivant de François Ier. Un an avant la disparition du roi, un livre d’histoire publié à Lyon insistait encore sur le lien entre son goût pour le «bon savoir» et sa première victoire: «Toutes lettres de son regne commencerrent à florir en France… Après avoir disposé de ses affaires prins le chemin de Millan, pour r’avoir sa duché, de quoy advertiz les Souysses accompaignez les Millannoys luy livrerent bataille si chaude, que pour la nuyt survenue ne cesserent de coups ruer… finalement furent les Souysses vaincuz, les clefs de Millan presentées au Roy.»
«1515 Marignan». Zurich, Musée national suisse. Du 27 mars au 28 juin. www.landesmuseum.ch
«François Ier, pouvoir et image». Paris, Bibliothèque nationale de France. Du 24 mars au 21 juin. www.bnf.fr
Le Festival International de Films de Fribourg (FIFF) ouvre les feux de sa 29e édition samedi. Sur huit jours, les cinéphiles ont l'embarras du choix avec 150 films programmés, mais aussi avec les multiples opportunités de rencontrer les professionnels du 7e art.
Le rituel de la "masterclass" est l'une des occasions de voir les artistes en chair et en os et de partager leurs univers. L'acteur et réalisateur français Jean-Marc Barr en proposera une ce dimanche, au sujet de la représentation du corps et du désir au cinéma.
Mardi, ce sera le tour de l'acteur et réalisateur français Jean-François Stévenin qui a eu carte blanche du FIFF pour présenter les films qui l'ont marqué. Le cinéaste syrien Ossama Mohammed, auteur de la section "Hommage à la Syrie", conduira une masterclass mercredi.
Quant à l'octogénaire Alanis Obomsawin, représentante du peuple des Abénaquis et pionnière du cinéma indigène nord-américain, elle participera à une table ronde sur ce thème dimanche. Elle propose aussi mardi une rencontre intitulée "Cinéma et résistance". Durant quatre décennies de travail, certains de ses documentaires de combat ont contribué à faire changer des lois au Canada.
Les festivaliers auront l'occasion de rencontrer beaucoup d'autres réalisateurs tout au long de la semaine. De nombreux films sont en effet diffusés en présence de leurs auteurs, qui se livrent au jeu des questions-réponses après les séances.
Enfin, les spectateurs pourront aller à la rencontre des membres du jury international des longs-métrages le samedi 28. Ce dernier partagera ses impressions sur le FIFF 2015. Il est composé d'Alanis Obomsawin, de la réalisatrice franco-suisse Ursula Meier, de la Française Alix Delaporte et de l'Australo-Néerlandais Rolf de Heer.
La nuit des musées de Berne a enregistré 107'320 entrées pour sa 13e édition. Trente-sept institutions culturelles ayant ouvert leurs portes aux visiteurs. Des files d'attente se sont formées de part et d'autre avant même le coup d'envoi de l'événement.
Il y avait à peu près le même nombre de visiteurs que l'an dernier, souligne l'association museen.bern dans un communiqué reçu samedi matin. Sachant qu'une personne participant à la nuit des musées de Berne se rend en moyenne dans trois institutions, on peut estimer le nombre de visiteurs à un peu plus de 35'000.
Certains se sont laissés charmer par les magiciens réunis au Palais fédéral, dans la salle du Conseil des Etats, tandis que la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga s'entretenait avec une délégation du parlement des jeunes dans la salle de séances du gouvernement. D'autres ont gagné la cathédrale où résonnaient des choeurs et des mélodies d'orgue.
Les curieux avaient l'embarras du choix, libres de parcourir entre 18h00 et 02h00 de fameuses institutions comme le Kunstmuseum et le Musée de la communication ou de plus petites telles que le Musée de l'Armée du Salut.
Les organisateurs de l'événement ont créé pour la première fois une "newsroom" sur leur site www.museumsnacht-bern.ch. Ils y ont diffusé, pour rendre compte de la diversité au coeur de cette nuit culturelle, les impressions des visiteurs en format vidéo ou sous forme de tweets.
Plusieurs villes suisses organisent des nuits des musées. L'idée est née à Berlin en 1997.
L'exposition “Astérix à Buenos Aires” qui s'est ouvert vendredi 20 mars 2015, met à l'honneur la célèbre bande dessinée et son auteur. René Goscinny a en effet passé la quasi totalité de sa jeunesse dans la capitale argentine. Durée: 01:37
Ami Sano n'aurait jamais pensé un jour fouler les podiums de mode. Atteinte d'une maladie rare qui l'a laissée sans membres à l'exception du pied droit, elle fut pourtant une des vedettes cette semaine de la Tokyo Fashion week, signe d'une - timide - ouverture de la haute couture au handicap. Durée: 01:37
Le peintre et plasticien Hans Erni est décédé samedi à l'âge de 106 ans. Le Lucernois s'est endormi paisiblement dans la clinique Hirslanden St-Anna à Lucerne. Il venait de fêter son anniversaire en février.
L'information du site "20 Minuten" a été confirmée dimanche par sa famille. Encore plein de vigueur, l'artiste dessinait tous les jours dans son atelier. L'année passée, il a encore réalisé et offert une "Colombe de la jeunesse" qui est érigée à quelques mètres de la vigne à Farinet, à Saillon (VS).
Hans Erni est né le 21 février 1909 à Lucerne. Il disposait de son propre musée, sur le site du Musée des transports à Lucerne.
Depuis plus de 80 ans, Hans Erni avait réalisé des peintures murales, des tapisseries, des reliefs, des mosaïques, des sculptures, des céramiques, des médailles, de nombreux timbres, des centaines d'affiches et des illustrations pour des livres.
Hans Erni était "une personnalité intelligente et attachante, qui vivait par et pour son art", a réagi dimanche le ministre de la Culture Alain Berset. Le Lucernois mettait ses talents "au service de ses convictions politiques".
Il avait réalisé de nombreuses oeuvres pour l'introduction de l'AVS, Pro Juventute, la Croix-Rouge, et le droit de vote des femmes.
"J'ai eu l'occasion de rencontrer Hans Erni et son épouse Doris chez eux à Lucerne, en 2013. Ce fut une rencontre émouvante", se rappelle le conseiller fédéral. "Nous avions notamment échangé autour de la force du mouvement, dans son art, puis dans la politique et dans la vie en général. C'est parce que tout se transforme, c'est parce que tout change qu'il n'y a de stabilité que dans le mouvement."
"Avec Hans Erni, la Suisse a perdu une figure artistique majeure, qui a traversé le 20e siècle et côtoyé les plus grands artistes, a ajouté M. Berset." Le maire de Lucerne Stefan Roth s'est dit pour sa part "incroyablement touché". Lors de leurs rencontres, il avait été impressionné par "l'immense force créative" de son concitoyen.
L'artiste est surtout connu pour ses oeuvres figuratives, telles que des chevaux, des nus et des colombes pour la paix.
Avec ses 106 ans, Hans Erni était l'homme le plus âgé de Lucerne. Seule une femme née en 1908 était plus âgée que lui, selon le service des habitants de la Ville. Hans Erni était marié depuis 1949 à sa deuxième épouse Doris Kessler, de 18 ans plus jeune que lui. Le couple avait deux enfants.
Venue d'un village pauvre des Philippines à Hong Kong pour être domestique, Xyza Cruz Bacani est maintenant une artiste reconnue à New York grâce à une caméra qu'elle avait acheté avec un emprunt. Durée: 01:35