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La bossa nova: en son nichoir

Jeudi, 3 Avril, 2014 - 05:54

Avec le Corcovado et la plage,la bossa nova est l’autre cliché brésilien. Ce chaloupement garde son secret dans une boutique de Rio.

Dans la rue Vinicius de Moraes, Ipanema, cela ressemble à une échoppe ordinaire, CD et nostalgies. Mais la Toca do Vinicius est autre chose. Le temple d’un art ultime et du secret de la bossa. Carlos Alberto Afonso, 64 ans, qui en détient les clés, est ce qu’il convient d’appeler un passionné, ce qui demeure parfois l’autre nom de la folie heureuse. «Je ne m’intéresse pas à la musique brésilienne. Je ne la connais pas. Je ne travaille que le sujet de la bossa nova.»

Maison puis Toca. Carlos est péremptoire et magnifique, c’est un style. Ancien professeur de théorie littéraire, de littérature brésilienne et de pédagogie, il a eu l’intuition de cet endroit à la fin des années 80, lors d’un «bavardage» avec le journaliste, producteur et compositeur Ronaldo Boscoli. «On évoque même cette conversation dans sa biographie», souligne Carlos, amusé. Boscoli est une légende. Son amitié avec les musiciens et artistes cariocas de la fin des années 50 le faisait alors pressentir ce qui se passait, la musique neuve en train de naître. Présentant les uns aux autres, imaginant les rencontres, écrivant sur ces phénomènes culturels, l’étincelle prit: Boscoli est aussi l’un des «inventeurs» de la bossa. Ce jour-là, dans sa discussion avec Carlos, Boscoli parle surtout d’un projet qui est son vieux rêve: une maison de la bossa nova.

«Mais je ne savais qu’il était malade, qu’il avait un cancer et qu’il allait mourir quelque temps plus tard.» Carlos Alberto Afonso réunit alors sa femme et ses enfants, et décide de se lancer tout de même. Ce ne sera pas encore la maison, mais un tout petit lieu: Toca veut dire le nichoir aux oiseaux. «Cette même année, en 1993, on fêtait les 80 ans de la naissance du poète et chanteur Vinicius de Moraes, qui écrivit les paroles de tant de bossas fameuses. Dans le Jornal do Brasil, je lis un article qui raconte qu’il n’y a pas d’argent ou presque pour un hommage, une sorte de SOS Vinicius.» Pour marquer le coup, il décide que sa boutique aura pour enseigne Toca do Vinicius.

D’où sort la bossa? Carlos est intarissable pour vous l’expliquer. «Je vis dans un pays naturellement appelé par le sport et la musique. Dans un pays où il existe au moins 50 rythmes différents, dont le plus célèbre est aujourd’hui encore le samba.» Il insiste: le samba. «Mais il n’y a que deux grandes musiques inventées ici. La première est le choro, genre populaire du XIXe siècle. C’est joyeux et participatif, proche du jazz dans l’esprit: on peut tout jouer avec le choro, des valses viennoises aux Beatles. L’autre grande musique, c’est la bossa nova, une harmonie et des accords particuliers, une «façon spéciale» – ce que signifie le mot bossa – de jouer le rythme du samba.»

La bossa nova, c’est donc juste le rythme du samba, mais autrement. Pour cela, il y eut un génie, João Gilberto, et un architecte, Antonio Carlos, Tom, Jobim: «A eux deux, ils ont tout mis en place.»

Vocation et lien. Dans l’échoppe de Carlos Alberto Afonso, les rayons sont recouverts de CD plus ou moins introuvables, de livres rares et, surtout, d’un état d’esprit. «Je suis très éloigné de toute idée de marché. La bossa n’a d’ailleurs jamais vraiment été une musique populaire, elle n’a eu que peu de très grands succès. On croit à tort qu’elle serait une musique de la classe moyenne. Mais elle reste présente aujourd’hui, comme une sorte de parent génétique dans notre musique.»

Une révolution, une attitude politique aussi, inscrite dans la phrase de l’écrivain Ruy Castro, auteur d’une histoire de la bossa, que Carlos a affichée sur la porte: «Quand personne ne parlait de paix, santé ou écologie, celles-ci étaient déjà la plateforme de la bossa nova. Aujourd’hui, quand ces thèmes sont à l’ordre du jour des aspirations nationales, la bossa nova est revenue à être la bande sonore d’un Brésil idéal.»

Carlos Alberto Afonso insiste encore: «J’ai été le professeur le plus heureux que j’ai jamais connu. J’avais la vocation. Trouver sa vocation est essentiel dans une société, et j’ai beaucoup travaillé ce concept en tant qu’enseignant: créer un contact pour comprendre qui l’on est. Cette boutique sert aussi à ce lien de la bossa avec la société.» A 200 mètres d’ici, la garota d’Ipanema, jadis, partait chaque matin pour la plage.

Toca do Vinicius, 129, rua Vinicius de Moraes, Ipanema, Rio de Janeiro.

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Christophe Passer
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