La photographe vaudoiseest la révélation du festival européen Circulation(s), à Paris. Prises en Transylvanie, ses images de jeunes filles frappent par leur poésie lumineuse.
Il est toujours enthousiasmant d’assister à la naissance d’un talent. C’est ce qui se passe au festival Circulation(s) de la jeune photographie européenne, qui se tient au Centquatre, à Paris. Les portraits d’enfants de Delphine Schacher sortent du lot comme une évidence, tant leur grâce saute aux yeux. Les spectateurs ne s’y trompent pas, s’arrêtant longuement devant les images accrochées en fin de parcours de l’exposition collective, sous la nef du centre culturel du XIXe arrondissement. Même constat dans le métro, aux stations Hôtel de Ville, Châtelet et Luxembourg, où l’image de la petite fille à la poule est affichée, en compagnie d’autres photos du festival Circulation(s). Même constat enfin sur la Toile, jusqu’au site d’information américain Slate.com.
Seule représentante suisse de l’édition 2014 de Circulation(s), Delphine Schacher est encore étudiante à l’école de photo de Vevey. Agée de 33 ans, elle a longtemps été assistante de production à la TSR avant de recommencer des études, bien décidée à devenir photographe.
Son projet exposé à Paris, «Petite robe de fête», trouve son origine dans la propre enfance de Delphine Schacher. Son père était, il y a plus de vingt ans, engagé dans l’opération «Villages roumains». Begnins, où vivaient les Schacher, était jumelé à Pipea. La petite fille avait été frappée par les images et les histoires ramenées par son père d’un voyage en Roumanie. Bien plus tard, au milieu de sa formation à Vevey, Delphine Schacher est partie sur place, photos de l’époque en main. Elle a réalisé un premier projet, «Passé recomposé», retrouvant les villages, maisons et familles qui figuraient sur les clichés pris au début des années 90. Elle a photographié les mêmes lieux et, lorsque c’était encore possible, les mêmes personnes.
Au hasard d’une visite, Delphine Schacher a été frappée par la beauté paisible d’une petite fille dans une ferme. Puis par la grâce d’autres enfants sur place, en Transylvanie, dont l’élégance fraîche tranchait avec la dureté du milieu rural.
La photographe est ainsi retournée en Roumanie une année plus tard, décidée à faire le portrait des petites filles, sur le point de basculer dans l’adolescence. Pour suggérer cette phase de transition, qui est aussi celle d’un changement d’identité, ou de rôle, la photographe a acheté avant de partir des vêtements de seconde main, comme la fausse fourrure de la photo de la jeune fille à la poule. Se prêtant au jeu, les jeunes Roumaines ont posé déguisées pour la photographe vaudoise. «J’avais envie d’introduire un décalage entre une réalité âpre et un état qui est encore celui de l’enfance, raconte Delphine Schacher. Pour amener du jeu dans des moments de vie encore préservés, sur le point de disparaître. Cela me posait une question éthique. Je ne voulais pas que ce décalage soit interprété comme l’arrogance d’une femme de l’Ouest qui habille trop bien des petites filles de l’Est, en leur faisant envie avec de beaux habits. Mais les enfants ont joué avec naturel avec ces déguisements, sans malaise ou ambiguïté.»
Delphine Schacher a choisi la lumière chaude et rasante de l’automne pour ses portraits, travaillant avec un appareil moyen format argentique, sans flash. «Cela me forçait à prendre mon temps, à me concentrer davantage sur la prise de vue. Tout en perdant un peu le contrôle car, contrairement au numérique, on ne peut pas vérifier tout de suite le résultat avec cette technique.» La mélancolie des jeunes modèles? «C’est moins celle des jeunes filles que la mienne, que j’ai projetée sur elles, avec ce sentiment de perte que chacun ressent par rapport à sa propre enfance.»
La série est complétée par des atmosphères d’intérieur, un cheval qui passe dans un pré, un tas de bois dans une forêt ou de chaux dans un champ. Toujours avec la même qualité poétique, toujours avec le rappel que la photographie, c’est avant tout de la lumière.
Festival Circulation(s), Centquatre-Paris, jusqu’au 16 mars.
www.festival-circulations.com