Avec «Bourlinguer», monologuesur des extraits du livre de Cendrars, l’acteur construit une puissante ode à la vie. Au Poche de Genève, ensuite à Vidy.
Solitude C’est comme s’il lui fallait monter en puissance, à Châtelain. Au début, dans l’ombre, dans les commencements des premières phrases, il y a les retrouvailles avec cette solitude et le phrasé unique qui est sa marque, comme une drôle de prière, un flottement dans le rythme du texte, une façon de littéralement se chauffer.
Il existe la tentation alors de se dire que ce coup-là, il sait le faire: Jean-Quentin Châtelain en solo, pieds nus, manteau de pauvre, retrouvant une mise en scène (une sobriété extraordinaire) de Darius Peyamiras. Et alors il y a le texte, l’envoûtement absolu et vénéneux des extraits de Gênes, l’un des chapitres de Bourlinguer de Cendrars. Les passages choisis parlent en fait de Naples, de l’enfance, de l’érotisme, de courses d’escargots, du tombeau de Virgile, d’un pin millénaire, de l’écriture qui est la vie, de la terre sensuelle où se coucher et d’Elena, compagne de jeux morte de la balle perdue d’un chasseur
Châtelain réinvente ce texte, au sens du vivant, de sa façon de le rendre prodigieusement instable, d’en faire un suspense étrange, un sinuement vers l’inattendu comme principe. Au bout d’un moment, une demi-heure, ça ressemble à de l’hypnose. Une magie. Il est dedans tellement, il est bourlingueur tellement qu’il vous noue la gorge à chaque phrase. Il est chaud, à bonne vitesse, la sienne seulement, l’unicité qui devient bouleversante car fraternelle. Bien sûr, avec Châtelain, rien n’est verrouillé, tout est risque, on ne sait rien de cette «roue des choses» qui peut changer de nuit en nuit. Mais cette nuit-là, il avait du génie.
«Bourlinguer», Théâtre Le Poche, jusqu’au 2 mars, loc. tél. 022 310 37 59 et www.lepoche.ch. Puis Lausanne, Théâtre de Vidy, du 5 au 23 mars,
loc. tél. 021 619 45 45 et www.vidy.ch.