Le Vaudois Denis Maillefer adapte «Seule la mer», le roman d’Amos Oz, au théâtre.Il fait s’entrecroiser destins et désirs dans une pièce émouvante et fraternelle.
«Tous les fleuves vont à la mer. Et la mer est silence», dit un personnage de la nouvelle pièce de Denis Maillefer, Seule la mer, inspirée du beau roman éponyme de l’Israélien Amos Oz. La mise en scène high-tech entrecroise plusieurs niveaux de narration, le chant (assuré par la Lausannoise Billie Bird) et la parole de huit personnages. Parmi eux, citons Albert, qui a perdu sa femme atteinte d’un cancer. Son fils, Rico, parti oublier son deuil au Tibet. Dita, l’amie de son fils, qu’il héberge et dont il tombe amoureux. Les autres prétendants de Dita, Guigui et Dombrov… Ces personnages s’efforcent de vivre, simplement. De vivre, et d’aimer. A la fin, nous savons déjà que ne restera de leurs élans, de leurs espoirs, que la mer. La mer que l’on voit depuis les immeubles de Tel-Aviv. Rien de pessimiste pour autant dans ce spectacle choral ambitieux, mais plutôt une utopie fraternelle pleine de tendresse.
Le sel de la vie. Le désir, même suspendu, est très présent entre les lignes d’Amos Oz. La sexualité est un frêle barrage contre la mer. «Comme le sel sur la peau, rêve Denis Maillefer. Le pire, c’est quand il n’y a plus de désir, de désir de sexe ou de tout autre chose. Baiser, c’est survivre, et les personnages sont des survivants, conscients ou non.» La pièce développe sa propre morale. Albert tombe amoureux de sa presque belle-fille, qui se douche nue devant lui? Ni l’auteur ni le metteur en scène ne lui jettent la pierre. «Dita pense qu’on n’appartient qu’à soi, et elle couche avec qui elle veut. Cette philosophie est à l’opposé de ce fantasme si vain de l’amour éternel, de ce symbole affreux de mettre un cadenas sur un pont et de jeter la clé, du théâtre de Feydeau que je n’aime pas, de la guerre des sexes et de l’infidélité classique avec son lot de désespoirs. Il y a dans le roman l’utopie d’un monde où l’on ne possède pas l’autre, et je partage cette idée.»
Seule la mer est aussi une vanité. Les vagues sont inéluctables. Chacun essaie de s’en consoler. «Autant profiter un peu de ce qui passe sous nos yeux, dans nos cœurs, contre notre peau. C’est très tchekhovien, un peu désespéré et plein de plaisirs aussi», commente le metteur en scène, qui a d’ailleurs monté La cerisaie, de Tchekhov. Dans sa forme, le spectacle suit cette houle, amenant tantôt un personnage, tantôt un autre, au premier plan. Il faut un moment pour entrer dans cette mer, accompagné par un narrateur prévenant (Pierre-Isaïe Duc) peut-être parfois trop présent. On retrouve le goût de Maillefer pour ces riens qui font les drames. Le refus de l’ironie glacée, à la mode (et autant des bons sentiments visqueux). C’est un spectacle qui se veut fragile, tout en étant très construit. Si son découpage de voix retarde l’immersion totale du spectateur, il n’étouffe pas son émotion. L’eau pourrait monter aux yeux, mais les larmes s’arrêtent en chemin. Elles viendront, plus le spectacle sera rodé. Cette retenue est la même chez les personnages. «Les mots que nous taisons, de peur d’être touchés», disent-ils. Les silences de la mer disent leur besoin de consolation et le nôtre. Impossibles à rassasier.
«Seule la mer». Avec Anne Alvaro, Billie Bird, Jacqueline Corpataux, Pierre-Isaïe Duc, Caroline Imhof, Cédric Leproust, Joël Maillard, Roberto Molo, Baptiste Morisod et Léa Pohlhammer. Yverdon, Benno Besson. 13 et 14 février. Sierre, Théâtre des Halles. Du 19 février au 1er mars. Genève, Forum Meyrin. 10 et 11 mars. Lausanne, Théâtre de Vidy. Du 18 au 23 mars. Villars-sur-Glâne, Nuithonie. 27 et 28 mars.
Clik here to view.

Clik here to view.
