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Polars: l’Afrique en poche

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Jeudi, 18 Juillet, 2013 - 06:00

Le roman noir made in Africa se révèle aussi multiple que palpitant. Il est en outre souvent plein d’humour et d’humanité. La preuve par quatre, à découvrir sur les plages d’été.

Si vous êtes las des grands frissons glacés et de la virtuosité un brin désincarnée de certaines stars du polar actuel, mettez le cap sur l’Afrique. Partez vivre le crime au soleil. Vous y découvrirez des rythmes différents, plus lents, des paysages époustouflants et des nourritures inhabituelles. Tout en dégustant du pappa le nama ou des boerewors rolls, vous apprendrez à apprécier des valeurs telles que l’âge, et vous vous initierez à d’autres façons de réfléchir, et donc d’enquêter.

Qu’il soit anglophone, francophone ou lusophone, le polar africain s’est considérablement développé depuis les années 80. Désormais, il est aussi bien malien que camerounais, gabonais ou sénégalais. A elle seule, l’Afrique du Sud compte en outre de nombreux auteurs de romans policiers, dont Roger Smith et le grand Deon Meyer. Maître en polyphonie, grand virtuose des récits parallèles, ce dernier témoigne, sans idéologie ni états d’âme, de la difficile transition de son pays vers une société multiraciale. Une société où l’apartheid a été aboli, mais où personne n’est dupe du «Noir de service».

Sang, crimes, trafic de drogue et règlements de comptes, le polar africain n’échappe pas aux grands motifs du genre. La dureté y semble toutefois contrebalancée par une tendresse et une bienveillance envers l’autre que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Alors que le policier ou le privé européen se révèle souvent un solitaire désabusé, abandonné par sa femme et peinant à renouer avec ses enfants, les enquêteurs et enquêtrices africains affichent sans détour leur amour pour leur conjoint, véritable partenaire de discussion dont l’intelligence et la tendresse se doublent souvent d’une bonne dose d’humour.

Au Botswana ou au Mali, certes, on croule aussi sous le boulot, mais on n’oublie pas de vivre, d’aller déjeuner avec ses parents le dimanche, de taquiner son chien, de prendre le thé ou d’apprécier son jardin à la lueur de la pleine lune. Car la pleine lune «en Afrique est une bénédiction; on ne lui attribue pas les mêmes connotations négatives qu’en Occident», nous apprend Michael Stanley dans Un festin de hyènes.

Bref, entre surprises, émotions et frissons, il y a là de quoi lire, s’émouvoir, se délecter, se laisser dérouter tout un été. Certains polars africains sont devenus des best-sellers, comme la série d’Alexander McCall Smith. D’autres, ceux des pionniers notamment, sont épuisés ou difficiles à trouver. Pour vous simplifier la tâche et alléger vos bagages estivaux, voici donc quatre livres disponibles en poche, qui vous emmèneront hors des sentiers battus, sans cruauté outrancière ni perversité extrême.

D’autres suggestions de lectures sur le blog Polar et Polis: www.hebdo.ch/les-blogs/descombes-mireille-polars-et-polis


BOTSWANA

L’école de détectives privés du Limpopo

Dernier paru d’une longue série, ce récit singulier nous fait découvrir le Botswana à travers le regard des femmes. Le parti pris d’Alexander McCall Smith – ressortissant britannique né en 1948 au Zimbabwe et qui vit aujourd’hui à Edimbourg, où il enseigne le droit appliqué à la médecine – est particulièrement séduisant, plein d’humour et de tendresse. On commence d’ailleurs, paisiblement, par boire le thé en compagnie de Mma Ramotswe, fondatrice de l’Agence N° 1 des Dames Détectives, et de sa fidèle assistante, Mma Makutsi. L’occasion pour Precious et Grace d’évoquer les rêves de la nuit dernière et leurs adorables maris. Mais ne vous méprenez pas! Du travail, elles en ont, même s’il ne s’agit pas forcément d’élucider un meurtre. Grâce à leur persévérance et à leur sagacité, un homme d’affaires peu scrupuleux et un entrepreneur fraudeur seront démasqués. Mais le grand événement de ce livre, c’est l’arrivée, dans le petit bureau de l’agence, de Clovis Andersen, l’auteur des Principes de l’investigation privée, la bible de nos deux dames. On imagine sans peine leur bonheur, et peu importe si la réalité se révèle, en fin de compte, pas tout à fait à la hauteur de leurs fantasmes.

D’Alexander McCall Smith. 10/18, 334 p.


MALI

La malédiction  du Lamantin

Avec le «vieux» commissaire Habib et son jeune inspecteur Sosso, on se retrouve face à un couple d’enquêteurs plutôt classique dans le monde du polar. Singulier mélange entre institutions modernes et croyances traditionnelles, la réalité à laquelle ils sont confrontés l’est beaucoup moins. Après avoir enquêté sur des meurtres en pays dogon dans L’empreinte du renard, nos deux hommes se retrouvent cette fois-ci chez les Bozos, sur les rives du fleuve Niger. Le chef Kouata et son épouse ont été retrouvés morts. Evoquant la malédiction du Lamantin, le génie du fleuve, le griot et le devin affirment qu’ils ont été frappés par la foudre. Formé à l’école de la logique occidentale, le commissaire Habib ne peut souscrire à cette interprétation. Soumis à d’incroyables pressions, y compris dans sa propre famille, il finit par donner sa démission. Avant que ne se produise un accident qui va tout bouleverser. Comparés aux pavés produits par les auteurs de polars occidentaux, les romans de Moussa Konaté, né en 1951 à Kita, semblent relativement brefs. Ce qui est loin d’être un défaut. Ils nous permettent en outre de découvrir un essayiste, dramaturge, romancier et éditeur considéré comme l’un des meilleurs auteurs maliens. Un intellectuel qui est également le codirecteur du festival Etonnants voyageurs de Bamako.

De Moussa Konaté. Points, 188 p.


AFRIQUE DU SUD

Le sang et la poussière

Une date clé: 1991. Comme tout le pays, son économie, sa société, sa culture, les polars d’Afrique du Sud connaissent un avant et un après apart­heid. Publié en 2010, Le sang et la poussière, de la romancière et cinéaste Malla Nunn, nous renvoie à l’avant. Son livre se situe à Durban en 1953, et propose même une petite escapade dans le Paris de mai 1945. Son enquêteur, Emmanuel Cooper, fut en effet soldat et garde de la Seconde Guerre mondiale quelques séquelles, dont le fait d’entendre des voix. De retour dans son pays, il est devenu flic, puis il a perdu son job et son rang d’Européen par excès d’intégrité. Chargé de la surveillance des policiers corrompus par son ancien patron Van Niekerk, l’ex-inspecteur Cooper tombe par hasard dans les docks sur le corps d’un enfant blanc égorgé. Deux assassinats semblables ont lieu peu après, qui font de notre homme un coupable idéal. Pour prouver son innocence, Cooper reprend du service et mène sa propre enquête.

A travers ce récit rythmé et plein de suspense, Malla Nunn – qui a passé son enfance au Swaziland avant de s’installer en Australie avec ses parents – dresse le portrait saisissant d’une société impitoyable qui pratique la chasse à l’homme sans aucun état d’âme et où les non-Blancs n’ont quasiment aucune chance de s’en sortir quand ils sont suspects.

De Malla Nunn. J’ai lu, 414 p.


BOTSWANA

Un festin de hyènes

Comme d’autres de ses collègues africains, l’inspecteur David Bengu est en surpoids. Cela lui vaut l’affectueux surnom de Kubu, hippopotame en tswana. Les auteurs – Michael Stanley est le nom de plume de Michael Sears et Stanley Trollip, tous deux natifs de Johannesburg et professeurs d’université – en profitent pour nous faire découvrir quelques mets et boissons de la région. Fin gourmet, grand amateur de bons vins, Kubu raffole en effet des steelworks («une goutte de cola tonic, un trait de bitter et jusqu’à ras bord de ginger beer») et s’offre de plantureux ragoûts.

Il n’en demeure pas moins fort alerte quand il s’agit de traquer malfrats et criminels. Parti sur les traces – et ce n’est pas un vain mot – des meurtriers d’un homme blanc découvert à moitié dévoré par les hyènes, dans le désert du Kalahari, il se retrouve dans l’univers implacable des exploitants de mines de diamants. Pour résister à ce monde cruel, l’inspecteur a un jardin secret. Comme Kurt Wallander, le héros de Henning Mankell, David Bengu adore l’opéra. Seul dans sa Land Rover de service, il va même jusqu’à s’octroyer le rôle de Papageno dans La flûte enchantée de Mozart et, ravi de sa prestation, n’hésite pas à «se gratifier de deux rappels pour son aria de l’oiseleur».

De Michael Stanley. Points, 606 p.

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Moussa Konaté
Fiora Sacco
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