Il y a 65 ans, le légendaire photographe cherchait la joie de vivre à Zermatt. Ses images sortent de l’oubli.
Un soldat de la guerre d’Espagne foudroyé par une balle, le débarquement du 6 juin 1944… Les photographies de Robert Capa sont inscrites en noir et blanc dans la mémoire collective du XXe siècle. Ce sont des images-monuments, des icônes insurpassables qui condensent, en monochrome, les grands chaos de l’histoire. La figure héroïque de Robert Capa, né Endré Friedmann à Budapest en 1913, est elle-même une image aux noirs profonds, dramatiques, magnifiques aussi.
A son époque, la photographie en couleur est vue dans son milieu de durs à cuire comme commerciale, anti-esthétique, onéreuse et compliquée (le développement du Kodachrome apparu en 1936 pouvait durer des heures, voire des jours). Henri Cartier-Bresson, avec qui Capa a créé l’agence Magnum, trouve la couleur «indigeste». Pourtant, dès 1938, Robert Capa expérimente la pellicule couleur, d’abord le Kodachrome puis l’Ektachrome. C’est une manière pour lui de s’imposer une nouvelle discipline, de rechercher de nouvelles possibilités visuelles et de faire bouillir la marmite. Juste après la Seconde Guerre mondiale, les magazines illustrés sont avides d’images en couleur. Parce que les techniques d’impression le permettaient plus facilement qu’auparavant, parce que l’époque est de nouveau à la vie et à l’espoir.
Alors, loin de ses terribles reportages, Robert Capa travaille en couleur pour Holiday, Illustrated, Collier’s, Ladie’s Home Journal. Il accompagne John Steinbeck en URSS (1947), documente la naissance d’Israël, cadre la mode à Paris et à Rome, le tourisme à Biarritz et à Deauville, Picasso à Vallauris, les stars d’Hollywood en tournage, dont sa maîtresse Ingrid Bergman, dont son amie Ava Gardner.
En 1949 et 1950, «le plus célèbre des photographes de guerre», comme il s’était autoproclamé, s’intéresse aux stations de ski dans les Alpes, dont Zermatt. Une belle aux épaules nues posant devant le Cervin, un play-boy à Ray-Ban, une Américaine à chemise à carreaux, une héritière chilienne étincelante, des skieurs hors piste pour la bonne raison qu’il n’y avait pas encore de piste… Robert Capa tire parti des teintes chaudes de ses émulsions pour exalter un monde privilégié, candide, surtout en phase avec l’American Way of Life qui se développe dans son pays d’adoption (Capa a émigré aux Etats-Unis en 1939).
Une facette méconnue de Capa. Sortie intacte du grand désastre, la Suisse est le terrain idéal de cette lecture optimiste de l’actualité. Les clichés ont 65 ans, mais la couleur a pour effet de rapprocher leur époque de la nôtre, comme si ces portraits et scènes de commande avaient été pris hier. Alors que le noir et blanc a exactement l’effet inverse: il met à distance, creuse l’écart temporel.
Les archives de Robert Capa déposées à l’International Center of Photography de New York contiennent 4500 diapositives en couleur. Ce qui est d’autant plus remarquable que Capa a détruit une bonne part de sa production en couleur. Dès le 31 janvier, à l’occasion du centenaire de la naissance du photographe, l’institution expose une centaine de ces images inédites ou oubliées. C’est une part méconnue du travail de Capa qui resurgit du passé, nous montrant une autre facette de sa personnalité, plus solaire.
L’exposition rappelle que le photographe, y compris pendant la Seconde Guerre mondiale, avait souvent deux boîtiers avec lui, l’un chargé de pellicules noir et blanc, l’autre de films couleur. Capa in Color inclut l’une de ses ultimes images, prise le 25 mai 1954 dans un champ à côté de la route Namdinh-Thaibinh, en Indochine. Le champ est d’un vert intense, le ciel d’un bleu liseré de nuages blancs, le kaki des uniformes parfaitement rendu. Quelques instants plus tard, Robert Capa sera tué par une mine.
«Capa in Color», International Center of Photography, New York, jusqu’au 4 mai. www.icp.org
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