Adapté du récit d’un ancien esclave,«12 Years a Slave» est, comme «Django Unchained» et «Lincoln», un reflet de l’Amérique d’Obama.
C’est un fait peu connu: dans les Etats-Unis de l’avant-guerre de Sécession, il n’était pas rare que des Afro-Américains nés libres au Nord soient kidnappés pour être vendus comme esclaves au Sud. C’est ce qui est arrivé à Solomon Northup, père de famille sans histoire et violoniste émérite, qui, pour avoir cru aux belles promesses de deux saltimbanques, s’est réveillé un beau matin enchaîné, avant de passer douze ans en Louisiane. Mais Northup n’a jamais perdu espoir et, quasi miraculeusement, réussira à alerter un homme de confiance qui viendra prouver qu’il était bien un homme libre.
De son calvaire, le natif de Minerva, dans l’Etat de New York, tirera en 1853 un livre édifiant qui, à l’instar d’autres récits d’esclaves publiés au milieu du XIXe siècle, contribua à alerter l’opinion sur l’aberration d’un régime ségrégationniste postulant que tous les êtres humains ne naissent pas égaux. La grande force de ce texte passionnant, Douze ans d’esclavage, c’est sa manière de rester factuel et de préférer le romanesque à l’analytique, l’émotionnel au cérébral. Sorte de Case de l’oncle Tom documentaire, le récit de Northup a la puissance des grandes sagas, comme le prouve la superbe adaptation cinématographique qu’en a fait le Britannique Steve McQueen, cinéaste et artiste connu pour ses films aux choix esthétiques radicaux (Hunger, Shame), mais dans lesquels la forme n’occulte jamais le fond.
Trilogie de l’esclavage. Long métrage captivant faisant partie de ces œuvres qui marquent profondément et durablement tant leur beauté souligne l’atrocité de leur propos, 12 Years a Slave entre en outre en résonance avec deux longs métrages sortis il y a une année: Django Unchained, de Quentin Tarantino, et le Lincoln de Steven Spielberg. Tandis que le premier fantasmait l’épopée vengeresse d’un ancien esclave contre la tyrannie blanche, le second montrait comment le seizième président des Etats-Unis parviendra en 1863 à faire voter l’abolition de l’esclavage.
Trilogie où la fiction «tarantinesque» serait une sorte d’exutoire à la rigueur historique de McQueen et de Spielberg, ces films, plus encore que de se répondre, disent quelque chose sur la société qui les a engendrés. Car c’est là l’intérêt du septième art: une œuvre d’auteur intimiste comme un blockbuster boursouflé reflètent, que cela soit conscient ou non, la réalité de leur temps. Steve McQueen ne le sait que trop bien et, pour lui, 12 Years a Slave comme Django Unchained et Lincoln sont des émanations de l’Amérique d’Obama.
Le premier président noir de l’histoire états-unienne a influé sur la culture et a décomplexé le rapport douloureux qu’entretient son pays avec l’esclavagisme, le cinéaste anglais en est persuadé. Il est vrai que si l’on ajoute à ces trois productions majeures des titres comme Fruitvale Station, actuellement à l’affiche, ou Le majordome, Barack Obama a indéniablement favorisé l’émergence de réflexions sur le sort des Afro-Américains dans un pays qui s’est trop souvent présenté à tort comme celui de la tolérance et de la liberté. On se prend dès lors à rêver d’un président amérindien.
De Steve McQueen. Avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Brad Pitt et Benedict Cumberbatch. Etats-Unis/Grande-Bretagne, 2 h 13.
A lire: «Douze ans d’esclavage». De Solomon Northup. Ed. Entremonde, 288 p.