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Dans les prisons de Damas

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Jeudi, 18 Juillet, 2013 - 05:57

L’écrivaine suisse Elisabeth Horem se fait passeuse pour nous faire découvrir les récits superbes et terribles du Syrien Houssam Khadour, auteur de La charrette d’infamie.

C’était il y a trois ans, en 2010, quelques mois avant que la Syrie ne plonge dans une guerre civile meurtrière. Un vieil ami turc de Martin Aeschbacher, alors ambassadeur de Suisse à Damas, lui parle d’un cousin à lui, Syrien, qui écrivait sans avoir jamais été publié. Avec sa femme, Elisabeth Horem, Prix Georges-Nicole 1994 pour Le Ring et auteure de sept livres chez Bernard Campiche, l’ambassadeur va rendre visite à l’écrivain, se voit remettre une liasse de feuilles dactylographiées: des textes sans titres écrits pendant les quinze années que Houssam Khadour a passées dans les prisons syriennes de 1986 à 2001, sous Hafez al-Assad, condamné à mort puis à vingt ans de réclusion pour une simple affaire de devises étrangères achetées illégalement alors qu’il travaillait au port de Lattaquié.

Les époux Aeschbacher, de fins et cultivés arabophiles, se passionnent pour ces récits puissants, et Elisabeth Horem s’attelle à leur traduction. «J’ai tout de suite aimé leur ton direct, concret, fort, sans les fioritures habituelles de la littérature arabe. Le fait que Houssam ait fait des études d’anglais n’est sans doute pas étranger à son style. J’ai toujours voulu faire une traduction en complément à mes activités d’écrivain.» Le thème de la prison lui est cher: au début des années 80, alors déléguée du CICR, elle visitait des prisons à Gaza. «Une expérience qui m’a marquée. De manière générale, j’aime particulièrement la liberté; du coup, le thème de la prison me touche.»

En Syrie, les événements se précipitent et son mari est rappelé en Suisse courant 2011. Les échanges avec Khadour se poursuivent par courriels. En 2012, celui-ci arrive à publier La charrette d’infamie ainsi que deux autres romans dans la petite maison d’édition qu’il a créée à Damas. Hasard des choses: il est soutenu par l’éditeur syrien qui a traduit en arabe deux livres d’Elisabeth Horem, Shrapnels et Un jardin à Bagdad, carnets de bord d’un quotidien vécu en recluse dans une ville assiégée. L’écho, à la suite de la publication en arabe de La charrette d’infamie, est quasi nul: «Les gens ont hélas d’autres soucis en Syrie et, étonnamment, les récits de Houssam ne sont pas lus comme des récits politiques mais comme de la littérature.»

Intimité virtuelle. C’est toute leur force: ces récits, écrits alors que Houssam Khadour, condamné à mort, pense ne jamais sortir de prison, sont certes ancrés dans des lieux précis et une époque définie (les prisons syriennes dans les années 80), mais ils portent bien au-delà et parlent, comme l’auteur l’écrit dans sa préface, de «toutes les prisons du monde». L’écriture l’a sauvé de la folie, il en est certain. «Le pire en prison était sans doute d’avoir perdu mon intimité. (…) C’est terrible, c’est inhumain. J’ai tâché de faire en sorte que l’écriture soit mon intimité virtuelle, comme si j’avais été envoyé dans un monde inexploré et que ma mission personnelle y fût de le décrire de l’intérieur et en détail.»

En 18 récits saisissants, souvent terribles, impeccablement construits et toujours d’une sobriété exemplaire, Khadour évoque l’humiliation, la torture, les cachots humides et le temps qui s’arrête, la faim, la peur, la folie qui guette, mais aussi les rapports de force entre les détenus, les procès expéditifs, la justice aveugle, les débats idéologiques qui se poursuivent jusque dans les dortoirs, le retour impossible à la vie dehors. Un moineau apprivoisé, sujet d’un des récits les plus courts et les plus délicats, vient à peine adoucir la traversée de ces années de plomb.

Elisabeth Horem et son ambassadeur de mari sont aujourd’hui basés au Qatar. Il leur reste deux ans avant la retraite, qu’ils passeront sans doute en partie dans leur maison d’été en Bretagne. Houssam Khadour survit à Damas, où il a femme et grands enfants qu’il n’a pas vus grandir. «Pour Houssam, cette traduction est importante, confie Elisabeth Horem. Chaque écho qu’il entend de ce livre est comme une fenêtre ouverte dans cette nouvelle prison qu’est la Syrie aujourd’hui.»

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Hartmut Fähndrich
Philippe Pache
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