La destruction de l’empire des Incasa débouché sur l’asservissement du continent tout entier. Des milliers de tonnes d’or et d’argent ont été dérobées. Plongée dans la vraie histoire de cet empire à l’occasion de la première grande exposition qui lui est consacrée en Europe, à Stuttgart.
Matthias Schulz
Il y a tout juste 500 ans, le conquistador Vasco Núñez de Balboa et ses 190 soldats traçaient leur chemin à travers l’isthme de Panamá. Moustiques, serpents, scorpions grouillaient. Les malades étaient abandonnés, puis dévorés par les fourmis. Le 25 septembre 1513, les deux tiers de l’escouade avaient succombé. Ce jour-là, leur chef escalada une colline et contempla des eaux inconnues. Il dévala la pente et sentit des eaux salées. Balboa avait découvert l’océan Pacifique.
Au retour, l’Espagnol rencontra un indigène parlant d’un pays lointain, au sud, où les richesses abondaient: le «Pirou». Ce fut la première information jamais entendue par un Occidental à propos de l’empire des Incas.
A l’époque, leur territoire s’étendait sur 4500 kilomètres, des forêts pluviales du nord jusqu’au désert d’Atacama, au Chili. Quand Christophe Colomb aborda le Nouveau Monde en 1492, les troupes incas aux bonnets de coton et armées de massues étaient précisément en train de franchir leur frontière nord pour soumettre les populations de l’actuel Equateur. Vingt et un ans plus tard, Balboa n’en savait rien, il se contentait de trébucher dans l’enfer vert de la jungle. Il avait à peine entendu parler de pays étincelants au sud de l’équateur. On disait que leurs rois se faisaient poudrer d’or. Un soldat de sa troupe, très grand et fort comme un ours, tendait l’oreille plus que les autres: Francisco Pizarro.
C’est cet homme qui, vingt ans plus tard, allait réaliser à la fois une entreprise historique et un crime contre l’humanité. Aidé d’une bande d’aventuriers, il découvrit le fabuleux empire des Incas et l’anéantit au terme d’un saccage méthodique sans précédent.
Un demi-millénaire après la première information sur «El Dorado», qui attira des milliers d’hommes avides en Amérique et jeta une partie du monde dans la misère et l’asservissement, le Linden-Museum de Stuttgart crée l’événement en présentant la première grande exposition, sur le continent européen, consacrée aux Incas (jusqu’au 16 mars 2014).
01. Les années de précolonisation
Pour les Incas, ces années furent une période de souffrance indicible: l’homme blanc lacérait leur bannière nationale arc-en-ciel et bouclait pour toujours leurs temples du Soleil. Les habitants des Andes appelaient leur patrie Tahuantinsuyo, le pays des quatre parties. L’Amérique du Sud n’avait aucun contact avec les autres pôles de l’histoire de l’humanité. Quand les Espagnols sont arrivés, le sous-continent vivait encore au début de l’âge du bronze.
Les Incas ne connaissaient ni l’écriture ni la roue. Bêtes de selle, pièces de monnaie, tours de potier, épées de métal: tout cela leur était inconnu. Toutes les grandes cultures de l’Orient se sont développées sur les rives d’un fleuve. Les Incas, en revanche, ont grimpé jusqu’à 4300 mètres pour cultiver leurs légumes. L’air est si raréfié là-haut et les étoiles si scintillantes que les Incas lisaient aisément les constellations de la Voie lactée. Ils vénéraient le condor mais ne le représentaient jamais.
Le royaume était régi par un clan appelé «les fils du Soleil». Ses membres portaient aux oreilles de lourds bijoux d’or, si bien que les Espagnols les surnommaient «Grandes oreilles». Cette élite habitait Cuzco, entre palais, temples, pyramides sacrificielles et murailles de forteresse. Centre administratif et point focal de toutes les voies de communication, Cuzco a compté jusqu’à 200 000 habitants. Les murs du temple d’or d’Inti, le dieu du Soleil, sont toujours debout. On ne sait à peu près rien des monarques qui se sont succédé à la tête du royaume. Le premier, Manco Cápac, aurait vécu autour de 1200. Seul Pachacutec (1438-1471) a laissé des traces notables.
Connaissant le système décimal, il a divisé l’entier du royaume en unités lui devant le tribut. Si raide que fût la pente, elle devait être plantée de haricots, tomates et avocats. Quelque 240 sortes de patates étaient cultivées.
Une société organisée. Rien n’illustre mieux l’organisation de ce peuple que les 40 000 kilomètres de son réseau routier: les voies principales, pavées, faisaient 8 mètres de large, des escaliers étaient taillés dans la montagne, les parois rocheuses étaient percées de tunnels, les gorges enjambées par des passerelles suspendues.
Les lamas trottaient à travers le pays, chargés de farine de poisson du Pacifique. L’Amazonie livrait les plantes médicinales, du sud venait le lapis-lazuli, de la mer de précieux coquillages. Tous les 20 kilomètres étaient érigés des relais et des entrepôts de marchandises. Ce réseau permettait de déplacer des troupes rapidement. Il servait également aux estafettes qui, pieds nus, couraient d’un poste à l’autre, de sorte que les dépêches parcouraient jusqu’à 400 kilomètres dans la journée.
Quand les Espagnols parvinrent à ce royaume, ils se crurent reportés à l’Empire romain, épatés par un fabuleux réseau d’irrigation, les champs fertiles et l’urbanisme bien pensé des villes. Cela ne les empêcha pas de causer bientôt le malheur des indigènes. Charles Quint, à court d’argent, avait ouvert la colonisation du continent aux investisseurs privés et accordait aux conquistadors les pleins pouvoirs pour mettre le pays à sac. S’il revendiquait la propriété du territoire, il ne demandait que 20% des métaux précieux pillés. Résultat: des repris de justice s’y retrouvaient gouverneurs.
02. 1526, le fléau Francisco Pizarro
Quand les Espagnols ont pénétré pour la première fois dans l’empire inca en 1526, ils avaient déjà brutalement décimé la population caribéenne autochtone de l’autre côté du continent. Le système de l’encomienda, soit du travail forcé, autorisait chaque conquistador à posséder jusqu’à 200 serviteurs. Les Indios se révoltaient et se faisaient massacrer quand ils ne succombaient pas à des maladies contagieuses importées. Des 10 millions d’habitants de l’empire inca, il n’en resta rapidement qu’un million.
Ce fléau porte un nom: Francisco Pizarro, un analphabète dont la jeunesse s’était passée à élever des porcs. Il avait débarqué dans le Nouveau Monde en 1502 déjà, devenant paysan en Haïti, où il contribua à déporter ou à exterminer les autochtones taïnos. Puis, en Amérique du Sud, il torturait et dépouillait les indigènes tout en se considérant comme un bon chrétien: il édifia la première église américaine au sud de l’équateur, fonda Lima et emmena trois moines avec lui pour prendre la route vers l’empire inca.
Question technique militaire, les Espagnols avaient une incroyable avance. Ils possédaient des mousquets, des canons et des chevaux. Leurs adversaires combattaient avec des frondes et des épées faites de bois de palmier durci. Reste une énigme: comment s’y sont pris les Espagnols pour envahir d’un coup tout l’empire inca? Avec leurs 200 hommes, c’est comme si le Luxembourg décidait d’attaquer et d’occuper les Etats-Unis.
La mise à sac du pays a débuté peu après. Statues et objets de culte précieux ont fini dans les fonderies sous forme de lingots. Presque aucun temple n’est resté debout. La rançon exigée pour la libération du dernier roi inca Atahualpa était de 5729 kilos d’or et 11 042 kilos d’argent. «Cela dit, l’or fondu ne rapportait pas autant que prévu, car il avait une teneur en cuivre élevée», explique la directrice du musée de Stuttgart, Inés de Castro.
Ce n’est que lorsque les Espagnols ont découvert les trésors miniers de Potosí que débuta la grande razzia. Une montagne lardée de veines d’argent se dressait à plus de 4000 mètres d’altitude sur l’Altiplano bolivien. Comme les esclaves noirs ne supportaient pas l’altitude, ce fut aux indigènes de s’y coller. Pendant les onze premières années, l’Espagne pilla plus de 45 000 tonnes d’argent de Potosí, estime l’historien bolivien Modesto Omiste. Frappée sous le nom de «dolaro», dérivé du «Taler» allemand, la monnaie d’argent fut vite si appréciée dans le monde que les Américains allaient l’adopter pour en faire leur dollar. En Europe, ces richesses ont déclenché un véritable boom économique. Les bénéficiaires en furent les grands marchands européens qui finançaient des armées entières, finissant par contraindre les seigneurs du Nouveau Monde à s’endetter envers eux.
Les victimes du pillage en règle ne se comptent pas. Après une visite des mines en 1699, le vice-roi du Pérou consigna: «Ce n’est pas de l’argent qu’on convoie vers l’Europe, c’est le sang et la sueur des Indiens.» D’autant que l’exploitation des autochtones s’accompagnait de l’anéantissement de leur héritage culturel: l’Eglise a été responsable d’une mission impitoyable. Elle a fait détruire tous les temples et abolir les croyances des indigènes. Au XVIIe siècle, le jésuite José de Arriaga lançait une campagne «pour l’éradication des croyances païennes». Pour lui, les Indiens étaient «subornés par le Diable». A ce jour, le pape François, lui aussi membre de l’ordre des jésuites, n’a pas condamné ce génocide.
Un héritage sanglant à assumer. Le Pérou moderne, peuplé à 45% d’Indios, peine lui aussi à assumer cet héritage sanglant. Le crâne de Pizarro, l’exterminateur en chef, est conservé en la cathédrale de Lima. L’Eglise n’en démord pas. Mais la statue équestre du conquistador, qui a longtemps trôné au Palais du gouvernement, a été déplacée dans un parc éloigné. La conquête espagnole reste cependant un problème du point de vue scientifique. Certes, il existe une multitude d’écrits contemporains à ce propos, mais on ne peut pas toujours se fier aux témoins oculaires: ils ont souvent exagéré la puissance des armées ennemies et dénigré leurs chefs.
Des éléments essentiels de la culture des Incas ont été négligés: des analyses géologiques montrent qu’ils transportaient des blocs de pierre de plus de 700 kilos sur des distances jusqu’à 1600 kilomètres. Comment? Ils ne connaissaient pas les robustes animaux de trait. Autre questionnement: les murs des palais royaux arborent souvent un jointoyage irrégulier: au lieu d’empiler des blocs carrés comme le faisaient les Egyptiens, les Incas utilisaient des blocs polygonaux qu’ils ajustaient à la manière d’un puzzle. Chaque bloc étant unique, on ne saurait imaginer une manière plus compliquée de monter un mur. A observer les murs cyclopéens de Cuzco, souvent de pur granit, il manque clairement une explication à ce travail de titan.
Reste que, grâce au flux incessant de chercheurs, géologues et archéologues, qui se sont hissés jusqu’aux 6739 mètres du Llullaillaco pour y mettre au jour des momies d’enfants offerts aux dieux, la culture inca perd un peu de ses mystères. L’expo de Stuttgart montre un crâne qui a manifestement été trépané après avoir reçu un coup de massue sur le champ de bataille et en a récolté une inextinguible migraine, raison de la trépanation ultérieure.
Toutes ces informations au compte-goutte suscitent le besoin d’aller voir sur place, notamment au Machu Picchu. Pour des raisons de protection du site, seules 2500 personnes par jour y sont admises, au terme d’un voyage à bord du petit train bleu de la vallée de l’Urubamba, le cœur de l’empire inca. Grâce à une datation au carbone 14, on sait que le site escarpé a été accaparé vers 1450 par le roi Pachacutec afin d’en faire un lieu de détente pour lui et son clan. Les fouilles y ont mis au jour une salle de bain royale, des conteneurs pour la bière de maïs, un jardin botanique pour les orchidées et un observatoire astronomique.
Des chercheurs se risquent dans des gorges abyssales pour y sauver des vestiges, d’autres prélèvent des échantillons de tissus et de cheveux sur les momies. Un des derniers refuges des Incas a été découvert à près de 3900 mètres d’altitude.
«Les Incas ne sont pas sortis de nulle part, fait remarquer Inés de Castro. Leur Etat s’est bâti sur toute une chaîne de cultures antérieures, peu connues chez nous.» D’autant que ces civilisations avaient quasiment disparu quand les Incas sont apparus. Ce que l’on sait, c’est que vers 1200 un petit groupe d’envahisseurs est parvenu dans la vallée fertile de l’Urubamba. Ils édifièrent des villages fortifiés sur les pentes de Cuzco et, aux XIIIe et XIVe siècles, se muèrent en une puissance régionale. Il semble que les Incas furent plus acharnés que leurs voisins, administrativement mieux organisés et plus habiles pour stocker les aliments.
Une économie planifiée. On crédite Pachacutec d’avoir véritablement incarné l’Etat inca. C’est lui qui instaura le culte du Soleil, le système décimal et un établissement d’études, «l’école du savoir», où toute l’aristocratie apprenait quatre ans durant la rhétorique, la théologie, l’art de la guerre et… le nouage des ficelles, le quipou. Il posa la pierre angulaire de l’architecture seigneuriale de Cuzco et introduisit l’inceste à la cour: chaque prince devait désormais épouser sa propre sœur. Mais Pachacutec lança aussi des conquêtes militaires pour faire du pays agrandi des Incas un empire. Quand il mourut en 1471, des centaines de serviteurs et de favorites le suivirent dans la tombe.
Le nouveau roi, Tupac Yupanqui, allait poursuivre l’œuvre de son père. Pour cimenter l’unité d’un empire devenu immense, il misa sur des alliances par mariage, tout en y ajoutant de brutaux programmes de déportation et de repeuplement. Son peuple se réjouissait des superbes récoltes. Ses botanistes réorganisaient les Andes. Les hardes de lamas paissaient jusqu’à 5000 mètres d’altitude. Les paysans cultivaient vingt sortes de maïs. Quand, à 2000 mètres, les haricots étaient mûrs, ils grimpaient jusqu’à 3500 mètres pour y planter les patates dans leurs cultures en terrasses. D’autres travaillaient dans les mines de sel, fabriquaient des condiments à base de poisson ou chassaient les oiseaux dans les forêts pluviales.
Tous ces produits convergeaient vers d’immenses centres de distribution. «La plus belle performance des Incas était leur administration centralisée», souligne Inés de Castro. Le peuple évitait ainsi toute disette: à ce jour, les archéologues n’ont pas exhumé de cadavre présentant des signes de dénutrition. L’échange des marchandises intervenait sans argent ni commerce privé, il n’y avait pas de marchés, les fonctionnaires attribuaient les produits, selon une clé de répartition calculée par les gouverneurs sur la base des statistiques de la population, des tributs fournis et des corvées de travail.
A cette fin, les quatre provinces de l’empire étaient subdivisées en sous-provinces de 10 000 ménages chacune. Un tiers de la population travaillait pour les prêtres du culte du Soleil, un tiers s’échinait pour la cour du roi et un tiers veillait aux familles. Si certains villages ne produisaient que des laines colorées, on remplissait leurs greniers de maïs, de bière et de feuilles de coca en échange. Le fonctionnement de cette économie planifiée est d’autant plus stupéfiant que les bureaucrates ne pouvaient calculer leurs décomptes et leurs allocations qu’à l’aide des ficelles à nœuds. Ils ne connaissaient ni les chiffres ni les lettres.
Les lois étaient carrées: gare à quiconque endommage le matériel communal, à celui qui vole et même à celui surpris en train de paresser. Les loisirs étaient rares, en ce temps-là dans les Andes: pas de jeux de hasard, pas d’autre sport qu’une parodie de boxe. D’aucuns qualifient les us incas de puritains. D’ailleurs, le divorce était puni de la lapidation.
En 1493, Huayna Capac montait sur le trône. Il est connu pour avoir tenté une expansion vers l’Equateur et, face à la résistance autochtone, avoir fait trancher la gorge à des dizaines de milliers d’adversaires dans une baie qui s’appelle depuis lors Yahuarcocha, «lac de sang».
03. 1527 La découverte de l’empire du Soleil
Et un jour, c’est arrivé: des hommes en cuirasses ont soudain surgi à la frontière nord. Ce n’est que vers 1527 que les hommes de Pizarro ont atteint l’empire du Soleil dans des souffrances inouïes. Ravagés par les infections, ils étaient couverts de pustules et mouraient de faim. Ce fut l’émeute, seuls 13 hommes restèrent avec Pizarro et ce sont ceux-là qui parvinrent à la cité inca de Tumbes. Huayna Capac le sut tout de suite, par des messagers morts de peur parlant d’«étrangers bizarres, à la peau blanche, barbus et couverts de vêtements de la tête aux pieds, traversant la mer sur de grandes maisons de bois».
Peu après, le roi des Incas était mort d’une maladie inconnue et le prince héritier n’allait pas tarder à succomber à son tour. La médecine pense qu’ils ont été tous deux victimes de la variole, une maladie importée d’Europe dont le bacille survit même dans la poussière. C’était le signe avant-coureur affreux d’un fléau encore à venir.
Car les conquistadors ont commencé par faire retraite, trop affaiblis. Leur capitán, pour sa part, repartit en Europe avec une cargaison d’or, d’émeraudes et un lama pour appâter Charles Quint.
04. 1529 D’une nouvelle guerre à la révolte écrasée définitivement
Le souverain de l’Espagne lui confia les pleins pouvoirs en 1529 pour s’emparer du Pérou. Pizarro s’engageait à remettre un cinquième de ses butins, en échange de quoi il lui était permis de constituer ses encomiendas: ce fut l’embryon de l’esclavage dans les Amériques.
Carte blanche en main, Pizarro, quatre de ses demi-frères et 300 marins repartent pour le Nouveau Monde. Un tiers d’entre eux meurt de la fièvre à Panamá.
En janvier 1531, le voyage se poursuit à bord de trois bateaux mais, en raison des forts vents contraires, il faut les abandonner et continuer par voie de terre. La harde de porcs emmenée est bientôt mangée et la faim se fait sentir. Deux soldats ingurgitent un serpent et en meurent. En raison de la pénurie d’eau, rapporte un témoin oculaire, on avale même de la boue.
Mais la troupe atteint Tumbes où, pour avoir violé des femmes, elle se heurte à la fureur des Indios et les défait. Avec 170 soudards et quelques cavaliers, Pizarro escalade la cordillère, par ponts suspendus, gorges et tunnels. Chez les Incas, à la suite de la mort de Huayna Capac, se déroulait une violente guerre de succession. Stationné à Quito, Atahualpa finit par exterminer son rival Huáscar et toute sa famille. Du coup, la troupe espagnole qui approche ne lui paraît même pas constituer un danger. L’Inca les veut vivants, il les invite à une rencontre à Cajamarca, cantonnant ses 50 000 hommes hors des murs de la ville.
Un carnage. Lieutenant de Pizarro, Hernando de Soto se rend à cheval à la rencontre du roi à la tête d’une petite escouade. Atahualpa dit: «Ce qui se passe dès maintenant, c’est moi qui en décide.» Le moine augustin Fray Celso García rapporte: énervé, Soto éperonne son cheval et fonce sur le roi mais ce dernier reste de marbre. Et le lendemain il entre dans Cajamarca en chaise à porteurs à la tête de 5000 soldats, certains armés de massues d’or.
Ce qui se passe alors dans la cité inca est caractéristique de la manière de faire des conquistadors: la tromperie. Un moine se porte au-devant d’Atahualpa, brandissant une Bible pour l’adjurer de reconnaître son Dieu, l’Inca regarde le livre et le jette au loin. Alors le moine s’écrie: «Chien, tu éclates d’orgueil!» C’était le signal. Les Espagnols sortent de leurs cachettes et leurs canons tonnent. A cheval, ils massacrent d’estoc et de taille les fantassins incas. Le roi est fait prisonnier et 5000 Amérindiens succombent. Les Espagnols, eux, n’ont perdu qu’un «nègre», détaille un narrateur.
Cette victoire éclair n’a rien d’étonnant. Les autochtones étaient désavantagés, non seulement par leur armement rudimentaire mais aussi psychologiquement. Pour eux, le roi est un être surnaturel, son seul regard peut tuer, même ses dignitaires ne l’approchent que pieds nus et prosternés. Quand des inconnus barbus traînent dans la boue cette créature de lumière, le choc est total.
Quand Atahualpa propose une rançon en échange de sa liberté, tout se déroule comme prévu: Pizarro exige une chambre pleine jusqu’au plafond d’or, une autre emplie d’argent. Les serviteurs du roi obtempèrent, pillant leurs propres temples. Neuf fonderies sont nécessaires pour réduire les métaux nobles en lingots. A l’été 1533, le conquistador fait exécuter le roi par garrottage en public. Et garde son sceptre pour lui. Pendant trois ans, les envahisseurs vont pouvoir piller l’empire, violer les vestales du Soleil et torturer les aristocrates avant que le peuple ne trouve la force de se révolter. Et ne soit maté au son du canon. En 1572, la révolte est définitivement écrasée et les nouveaux seigneurs blancs organisent à grande échelle le travail forcé.
© Der Spiegel
Traduction et adaptation
Gian Pozzy
«Inka - Könige der Anden». Musée Linden, Stuttgart.
Jusqu’au 16 mars 2014.