Quantcast
Channel: L'Hebdo - Culture
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Fragiles fondations: musée privé, art risqué

$
0
0
Vendredi, 3 Janvier, 2014 - 05:57

L’ouverture du Centre d’art de Lens en Valais éclaire le paysage contrasté de ce type d’institutions artistiques généreuses, ambitieuses, mais aussi vulnérables.

«Il faut partir à la cueillette du hasard», conseillait le peintre Jean Dubuffet. Le 19 décembre dernier, il ne fallait pas se baisser bien bas pour le ramasser, ce fameux hasard. Ce jour-là, les responsables de la Fondation Pierre Arnaud inauguraient leur Centre d’art à Lens, sur le plateau de Crans-Montana en Valais. Tandis qu’à Berne, le conseiller d’Etat Bernhard Pulver présentait un énième plan de sauvetage du Centre Paul Klee, chroniquement déficitaire. Une fois rapprochés, les deux événements mettaient en relief l’art généreux mais si difficile du musée privé créé par la seule volonté d’un mécène.

Ce paysage accidenté brille de fortes étoiles. Comme la Fondation Beyeler à Riehen, qui attire plus de 350 000 visiteurs par année. Ou la Fondation de l’Hermitage à Lausanne. Ou bien sûr l’incontournable Fondation Gianadda à Martigny.

Mais combien d’exemples de musées privés qui, en Suisse, peinent à trouver leur public, réduisent leurs ambitions initiales, quand ils ne ferment pas leurs portes peu de temps après les avoir ouvertes (relativement au temps long de ce type d’institutions culturelles). A l’image, dans les années 90, des fondations Asher Edelman à Pully ou Deutsch à Belmont-sur-Lausanne, laquelle a été expulsée de ses propres murs par des autorités à bout de nerfs.

Là réside l’un des dangers principaux de ce type d’initiatives, souvent lancées pour de beaux motifs altruistes. En raison de manque de liquidités, de brouille familiale, de bisbille avec la commune, de décès ou de manque d’intérêt du public, un musée privé peut cesser ses activités. Et se retrouver, tel un indigent, à la charge de la collectivité, laquelle se serait bien passée d’un tel fardeau.

«Il faut savoir aller au bout de chaque risque», répond Daniel Salzmann lorsqu’on lui parle de la vulnérabilité des musées privés par rapport aux structures publiques. Posé, réfléchi, l’entrepreneur à la tête (avec sa femme Sylvie) de la Fondation Pierre Arnaud de Lens admet que, si le nouveau Centre d’art n’a pas le succès escompté, «la commune pourra faire autre chose de ce bâtiment».

Cette lucidité devant le risque est l’un des meilleurs atouts du nouveau musée valaisan, qui a été conçu avec professionnalisme. Autre signe favorable, l’institution s’inscrit dans la durée avec des cycles de cinq expositions sur cinq ans. Avec la volonté de dépasser le cœur patrimonial du musée, l’Ecole de Savièse collectionnée par l’homme d’affaires Pierre Arnaud (1922-1996), pour faire dialoguer l’art suisse avec l’international, l’ancien avec le contemporain.

Bonne communication. Géré comme une entreprise par Daniel Salzmann, qui a sauvé LeShop.ch avant de le revendre à la Migros, le Centre d’art est soutenu par un impressionnant appareil de communication. Association des Amis, Club Pro, Art Dating (réseautage), Club Prestige, Comité de patronage, visites à thèmes, bistro gastronomique supervisé par Philippe Rochat: le musée s’inscrit avec science dans le tissu socioéconomique de la région. Tout comme sa programmation a été taillée pour plaire à un public de connaisseurs aisés, telle l’actuelle exposition sur le divisionnisme européen. Même si Daniel Salzmann, réfutant l’étiquette «haut de gamme», précise qu’il vise le public le plus large possible. Par exemple celui les enfants, particulièrement choyés avec des publications et animations spécifiques.

 

Reste que le Centre d’art, comme il reflète le paysage environnant sur sa façade, est le miroir d’un Crans-Montana dynamique, nanti et touristique (700 000 visiteurs par an). La fondation vient compléter le domaine skiable, l’open de golf, le casino ou encore le Caprices Festival dont Daniel Salzmann est également le président. Parfait pour les jours de mauvais temps, la saison creuse et le reste de l’année. «Nous avons l’ambition de devenir la capitale alpine des arts et de la culture», affirme Philippe Rubod, directeur de Crans-
Montana Tourisme.

Pourquoi pas? «Ce projet a mûri dans le bon sens pendant plusieurs années, remarque Jacques Cordonier, chef du Service de la culture du canton du Valais. Il a une vraie originalité grâce à son fort accent sur la médiation culturelle. Il vient compléter une offre culturelle valaisanne en plein essor, avec des propositions aussi diverses que les Musées cantonaux, la Fondation Gianadda, la Ferme-Asile ou le land art. Son équipe de collaborateurs a de la valeur. Je le sais: plusieurs d’entre eux viennent de mon service!»

Rodage. D’un coût de 14 millions, soutenu par 30 employés, le Centre d’art de Lens aura besoin d’un budget de fonctionnement de 5,5 millions pour tourner. C’est important. Surtout que Daniel Salzmann aimerait que le musée vole de ses propres ailes d’ici à deux ans, notamment grâce à davantage de subventions extérieures. Un point d’interrogation tient dans le nombre escompté de visiteurs payants: 70 000 par année. Soit 1300 par semaine, 200 par jour. Là aussi, c’est beaucoup. D’autant que des réglages restent à effectuer du côté de la muséographie.

L’exposition sur le divisionnisme est passionnante. Mais elle comporte trop d’œuvres inégales dans un espace trop restreint, mal agencé, mal éclairé. Le titre et l’affiche incompréhensibles de l’exposition trahissent un propos artistique qui manque encore de clarté. Mais l’heure est au rodage. La fondation valaisanne a beaucoup d’atouts, surtout ceux qui lui permettront de progresser et de convaincre.


«Divisionnisme: couleur maîtrisée? Couleur éclatée!» Fondation Pierre Arnaud, Lens (Crans-Montana). Jusqu’au 22 avril. www.fondationpierrearnaud.ch

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Federico Berardi, Fondation Pierre Arnaud
Solin Nikolai
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 

Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Trending Articles