Le seigneur José Tomás, le Prix Nobel Mario Vargas Llosa et quelques autres s’associent en un livre défendant avec bravoure et brillance la tauromachie.
S’il vous plaît, ne vous précipitez pas tout de suite sur papier à lettres ou mail aux fins d’insultes. C’est ainsi: quiconque annonce apprécier la danse des hommes et des toros passe en ce monde si propre pour un quasi-nazi, barbare dévoreur d’enfants, tortionnaire avide de sang chaud, et bien sûr tout cela à la fois. Alors oui, celui qui écrit ces lignes a l’habitude de cette haine alentour. Tentons seulement de demeurer calmes.
Il y a ce livre, Dialogue avec Navegante, il est étonnant. Il défend la tauromachie. Il le fait avec la volonté d’en parler de l’intérieur avec passion et nuances, et c’est pour cela qu’il touche. Navegante, c’est un toro. De la race des toros bravos, qui s’éteindrait aussitôt si les combats s’arrêtaient: les élevages et tout un système économique et social s’en iraient avec elle.
Navegante, le 24 avril 2010, affrontait dans les arènes d’Aguascalientes, au Mexique, José Tomás. Tomás est sans doute le plus grand toréro de tous les temps. Ce Madrilène, 38 ans, hiératique et taiseux, a porté l’art tauromachique à des sommets inégalés. Il est l’enfant de Belmonte et Manolete, un poignet unique au monde au moment de la passe. Il ne recule jamais, statue de pierre, quand le fauve frôle le corps. Il ne joue pas à la vie et à la mort: il fait comprendre la vie et la mort, à chaque faena, par une posture, un mouvement, un risque, une élégance: un art. Le toréro José Tomás est un génie qui a changé la corrida. Il torée peu, une vingtaine de fois par an, 350 000 francs l’apparition.
Bref, en ce début de soirée d’avril, Navegante passe sous la cape, mais se retourne, trop vite. Il embroche Tomás, il le secoue en l’air comme un pantin, trente centimètres de cornes fichés dans la cuisse, la fémorale qui coule à gros bouillons. Ce n’est pas le premier coup que prend Tomás. Mais cette fois on le donne pour mort.
Toréer, c’est vivre. Mais il ne meurt pas. Il revient. Et le 16 septembre 2012, à Nîmes, il fait la plus belle corrida du monde. Il bouleverse. Il reçoit le prix Paquiro (l’oscar annuel de la tauromachie, décerné par le journal El Mundo) pour cet instant de grâce. Le recevant, il fait un discours: c’est Dialogue avec Navegante. Il explique comment ce toro est venu lui parler, comment celui qui a failli lui ôter la vie lui dit le tribut à payer, parfois. Il souligne: «Dans l’arène, on ne peut pas faire semblant, tout est pour de vrai.» Il raconte que toréer, c’est vivre.
Ce texte sidère les aficionados, concentré d’un homme et de sa légende d’artiste sur le sable. D’où le livre, partant du discours de Tomás, puis s’augmentant de contributeurs en faisant l’exégèse: Mario Vargas Llosa, Denis Podalydès, Paco Aguado, Agustín Morales Padilla, quelques autres. Ils disent une histoire, parfois avec emphase, toujours avec passion. Ils défendent une aventure qui dure depuis des siècles, en rappellent les implications sociales (la tauromachie est liée depuis toujours à la bienfaisance), les implications écologiques, et philosophiques: dans un monde qui a si peur de la fin, la tauromachie est décidément trop franche et honnête. Ce Dialogue avec Navegante n’entend pas convaincre ceux qui veulent interdire les corridas, il veut par-tager. Pour chercher un sens à l’existence, et à la tragédie des hommes.
«Dialogue avec Navegante», Ed. Au Diable Vauvert, 163 pages.