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Tracy Chevalier en Amérique

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Jeudi, 28 Novembre, 2013 - 05:56

L’auteure de «La jeune fille à la perle»raconte dans «La dernière fugitive» le temps où les quakers aidaient les esclaves à s’enfuir.

Avril 2009. Tracy Chevalier est de retour à l’Oberlin College, Ohio, où elle a étudié dans les années 80. Ce jour-là, dans cette université qui a été la première à admettre les femmes et les Afro-Américains, la Nobel de littérature Toni Morrison inaugure un banc dédié au Chemin de fer clandestin, la route des esclaves en fuite vers le nord, qui passait par la ville dans les années 1850. Quelques jours plus tard, l’auteure de La jeune fille à la perle (4 millions de livres vendus) assiste à une réunion de quakers à Bethesda dans le Maryland, comme elle le fait une dizaine de fois par année. Elle songe au rôle actif que les quakers ont joué dans ce réseau de résistance. Pourquoi ne pas lier les deux? L’héroïne de son septième roman, La dernière fugitive, était née: Honor Bright, jeune Anglaise quaker qui se retrouve seule dans l’Ohio et se cherche un destin entre sa communauté, les valeurs de l’Amérique en train de naître et son désir d’émancipation. Entretien.

Destins de femmes
«J’ai souvent raconté des destins de femmes parce que je les comprends mieux et qu’il m’est plus facile d’écrire sur elles. On n’a pas beaucoup écrit sur les femmes dans l’histoire. Je veux écrire les destins de ceux et celles qui restent dans l’ombre mais sans qui rien n’aurait été pareil. Sans pouvoir, les femmes doivent trouver comment le conquérir malgré tout. Honor incarne à elle seule tous les changements à l’œuvre en ce milieu du XIXe siècle: le chemin vers l’abolition de l’esclavage, le début de l’émancipation des femmes, les conflits entre les communautés arrivées soudées en Amérique et la découverte de l’individualisme par les générations suivantes, adoptant la philosophie de vie américaine.»

Les quakers
«J’ai grandi à Washington. Pendant sept ans, ma sœur, mon frère et moi avons passé l’été au Catoctin Quaker Camp, sur le conseil d’amis de mes parents. En plus des activités habituelles d’un camp, les marches, les feux de camp et la baignade, chaque matin nous nous asseyions pendant quinze minutes en silence dans la forêt. Nous n’étions pas quakers mais nous avons adoré cela. Ma sœur est devenue quaker par la suite. Pas moi, en partie parce que mon mari est juif et que nous avons suivi cette route, mais je me sens proche. Ils sont pacifistes, non matérialistes, idéalistes. Ce sont des principes honorables mais difficiles à vivre au quotidien. Je me sens surtout proche de leur relation au silence, de leur pratique du silence dans la spiritualité. J’adore le silence. Je le recherche. C’est un ingrédient si rare dans notre vie contemporaine. Une réunion de quakers est, je pense, l’endroit le plus tranquille au monde en dehors d’une classe de méditation.»

Honor Bright
«Honor me ressemble. Elle aime le silence de réunions quakers. Elle parle peu et jamais pour ne rien dire. Elle se pose sans cesse des questions sur le sens de ses actions. Mais elle se satisfait des décisions prises, de ce que lui réserve le destin. Elle a connu l’émigration, elle a dû se réadapter, tout comme moi qui suis arrivée en Angleterre des Etats-Unis à l’âge de 22 ans. Elle a connu ce moment où soudain, d’un jour à l’autre, tout est différent, les odeurs, les sons, les discussions avec les gens, et où il faut retrouver une place dans la société. En cherchant à savoir comment les femmes étaient coiffées et habillées à cette époque, je suis tombée sur la photo d’une jeune femme anonyme dont le regard m’a tout de suite frappée. Avec son attitude à la fois forte, sereine, ouverte, lucide, elle était Honor! Cette photo m’a accompagnée tout au long de l’écriture du livre. Je l’ai mise sur mon propre site, mais je ne sais toujours pas qui elle était.»

L’Amérique
«La dernière fugitive est mon premier roman qui se passe en Amérique, ce qui est paradoxal pour une écrivaine née en Amérique. Il m’a fallu du temps pour me sentir suffisamment étrangère à l’Amérique pour écrire à son sujet. Quand je suis partie, je me sentais frustrée par le pays où j’étais née. Maintenant, je m’en rapproche, je m’intéresse à l’histoire du continent plus que jamais. Les critiques américains ont lu avec sévérité mon livre, surtout les lignes où Honor décrit l’Amérique qu’elle découvre. Ils ont cru que cela reflétait mon propre point de vue, alors que je souhaitais montrer l’effort d’adaptation qu’elle a dû faire, et comment elle s’ajuste peu à peu. Je me suis inspirée des récits des écrivains anglais du XIXe, Dickens ou Trollope, qui ont raconté leur propre voyage en Amérique.»

La liberté
«Dans mon roman, Honor se rend compte que, tout comme les esclaves, tout comme la plupart des émigrants américains, elle est en train de fuir. Lorsqu’elle s’en rend compte, c’est le début de sa découverte et de son apprentissage de la liberté. A mes yeux, la liberté est de pouvoir traiter les autres comme on voudrait être traité soi-même. La possibilité de trouver un travail qu’on aime, de dire les choses qu’on veut dire.»

Romans historiques
«J’aime écrire des romans historiques. Les êtres humains aiment les histoires, elles font sens. Les romans historiques permettent de nous situer par rapport au passé. L’histoire n’est pas faite que de dates, de batailles et de généraux, et trop souvent elle apparaît aux lecteurs de cette manière sèche et désincarnée. J’essaie de relier le lecteur à un passé que je juge intéressant, important, porteur de sens. Je veux partir de gens ordinaires, comme ici une femme quaker, et les placer devant des choix de vie, des enjeux qui leur permettent de confronter leurs principes à la réalité de leur vie et des surprises qu’elle réserve souvent.»

Chevalier
«Mon patronyme, Chevalier, est un patronyme suisse! Mon grand-père est parti de Moutier en 1924 pour émigrer en Amérique. Ses propres ancêtres étaient des huguenots français. Ma mère, elle, est d’origines allemande et danoise. J’ai l’émigration dans le sang!»

«La dernière fugitive». De Tracy Chevalier. Quai Voltaire, 372 p.

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