En mourant, le 21 novembre 1907, à l’aube de sa carrière de peintre, Paula Modersohn-Becker a prononcé ce mot: «Schade.» Dommage, en allemand. Cette artiste allemande, disparue à l’âge de 31 ans, aurait été la première femme de l’histoire à peindre un nu féminin. Les nazis jugeront son art «dégénéré» et l’agoniront. «Elle ne peignait pas que des fleurs», prévient l’écrivain Marie Darrieussecq, qui lui consacre ce beau roman.
Elle peignait le moment où les filles deviennent femmes, détestait le conventionnel, aimait Gauguin et le cubisme. Elle était une amie de Rilke. Un jour, Marie Darrieussecq a découvert son œuvre et s’est étonnée que Paris ne l’ait jamais exposée. Elle répare cette injustice, cet escamotage d’une femme artiste de grande valeur par ce livre, qui tient autant du roman que de la biographie. Suivra une exposition rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, d’avril à août.
C’est un livre politique qui rappelle que les femmes ont dû se battre pour être reconnues comme artistes. Pour pouvoir étudier l’art et le pratiquer. Paula a épousé Otto Modersohn, peintre lui aussi, s’est installée dans le village d’artistes de Worpswede, en Basse-Saxe. Puis elle a quitté Otto pour vivre à Paris, peindre, devenir elle-même. Et mourir trop tôt.
Ce livre est un acte d’amour. Une forme de réparation. Une réussite, même si Marie Darrieussecq surplombe parfois son modèle et n’atteint pas à l’incandescence d’un David Bosc, qui publie ce printemps un livre sur un sujet similaire, Mourir et puis sauter sur son cheval. Mais elle sait écouter les fantômes et leur prêter sa voix.
«Etre ici est une splendeur, vie de Paula M. Becker». De Marie Darrieussecq. P.O.L, 151 p.