Quantcast
Channel: L'Hebdo - Culture
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Romans: au bonheur des librairies

$
0
0
Jeudi, 17 Mars, 2016 - 05:56

Romans. «Une année particulière», de Thomas Montasser, raconte comment la librairie héritée de sa tante change la vie de Valérie. Le dernier épisode d’une tendance romanesque qui, du «Club de la petite librairie» au «Sourire des femmes», fait des librairies un paradis où l’on trouve amitié, amour et bonheur.

Un matin, Valérie reçoit le coup de fil d’un notaire et se retrouve avec la librairie de sa vieille tante sur les bras. Laquelle a disparu en ne laissant qu’un mot: «Ma nièce Valérie doit s’occuper de tout.» Valérie, qui se destine à une brillante carrière de consultante internationale en économie, se retrouve avec un stock de vieux bouquins sur les bras et une clientèle d’habitués qui demandent tous où est passée Madame Charlotte. Valérie n’a qu’une idée en tête: vendre aussi vite que possible. Mais elle se met à ouvrir les livres et l’effet magique de Kafka, Calvino, Rilke, Flaubert, A. S. Byatt ou Thoreau l’en dissuade. Larguant son petit ami arriviste, elle décide de s’installer dans la librairie. Où, très vite, un bel inconnu lui fait découvrir un livre mystérieux, et l’amour.

Feel good book au charme érudit signé Thomas Montasser, un écrivain et agent littéraire de Munich, Une année particulière s’inscrit dans une puissante tendance actuelle de la littérature populaire européenne ou anglo-saxonne: celle qui consiste à faire de la librairie le décor principal d’une histoire qui commence mal mais se termine bien, ou d’un(e) libraire le (la) protagoniste d’une intrigue où l’amour finit par rimer avec toujours. Ladite librairie étant forcément pittoresque mais désuète, bordélique mais chaleureuse, le libraire forcément original mais attachant, inadapté à notre monde ultralibéral mais sachant reconnaître les vraies valeurs.

Ainsi, La petite chartreuse, de Pierre Péju, raconte comment un libraire renverse une fillette puis passe des journées entières à réciter à l’enfant plongée dans le coma des textes contenus dans sa mémoire fabuleuse. Dans La vie en Rosalie, de Nicolas Barreau, Rosalie, qui tient une librairie-papeterie à Paris, rue du Dragon, se retrouve à devoir résoudre une histoire de plagiat avec un séduisant professeur de lettres américain.

Ces romans posent la librairie comme le décor essentiel d’une action qui va forcément changer, en mieux, la vie des personnages. Ainsi, dans Au bon roman, de Laurence Cossé, on voit des mordus de littérature ouvrir, en plein Paris, une librairie idéale constituée uniquement de chefs-d’œuvre. Maggie, l’héroïne de Le cœur entre les pages, de Shelly King, vient de se faire licencier d’une start-up de la Silicon Valley et trouve dans la vieille édition de L’amant de Lady Chatterley qu’elle achète dans une petite librairie une correspondance amoureuse mystérieuse qui va changer sa vie et celle de la librairie.

Thérapie

Toujours, la librairie y a une fonction hautement thérapeutique. Comme dans La lettre oubliée, de Nina George, où le libraire Jean Perdu a installé sa Pharmacie littéraire dans une péniche et a toujours un livre en tête pour soulager les maux de l’âme. Ou dans Hanna, où l’héroïne du roman de Laurence Peyrin quitte l’Irlande et, pour effacer le souvenir de son amant, ouvre à New York une librairie baptisée Pemberley, où l’on vient grignoter les meilleures pâtisseries de Manhattan. C’est pour retrouver sa fille et faire le deuil de son mariage qui a capoté que Mathias, de Mes amis, mes amours, de Marc Levy, quitte Paris pour reprendre une libraire à Londres. Lorsque Antoine, le héros de La renverse, le dernier livre d’Olivier Adam, a besoin de fuir la ville où sa famille fait l’objet d’un scandale, c’est dans une librairie en Bretagne qu’il se réfugie.

C’est encore un ouvrant une librairie, avec tous les livres que feu son amie Amy aimait, que l’héroïne de La bibliothèque des cœurs cabossés, de Katarina Bivald, fait son deuil et apprend à se faire de vrais amis – et pas uniquement les personnages de ses romans préférés. C’est, enfin, en tenant son café littéraire baptisé Les gens heureux lisent et boivent du café que Diane, l’héroïne de La vie est facile, ne t’inquiète pas, d’Agnès Martin-Lugand, réapprend à être heureuse après la mort de son mari et de sa fille. On peut encore citer pêle-mêle La vieille dame de la librairie, de Jean Piat, Rien où poser sa tête, de Françoise Frenkel, Le club de la petite librairie, de Deborah Meyler, Kafka faisait fureur, d’Anatole Broyard, et des dizaines d’autres, plus ou moins littéraires, plus ou moins populaires, plus ou moins mémorables, qui ont à leur tour inspiré d’inoubliables comédies romantiques au cinéma comme Coup de foudre à Notting Hill ou Vous avez un message.

Ce sont évidemment des livres qui croient fermement au pouvoir de la littérature, comme dans L’affaire Lolita, de Penelope Fitzgerald, dans lequel une jeune veuve met Lolita, le roman de Nabokov, en vitrine de la librairie qu’elle vient d’ouvrir dans une petite bourgade, provoquant hostilité des notables et débat de société. Des romans qui estiment que les livres sont nos porte-parole, comme dans Un homme à distance, de Katherine Pancol, où une libraire de Fécamp tombe amoureuse, sans jamais l’avoir rencontré, d’un Américain qui lui commande des livres, l’un et l’autre faisant dire à leurs auteurs préférés les choses qu’ils n’oseraient pas avouer. Des livres qui croient fermement au pouvoir social des librairies, comme Laurence Cossé, qui glisse dans la bouche d’un de ses personnages: «De toutes les fonctions de la littérature, une des plus heureuses est de faire se rencontrer et se parler des gens faits pour s’entendre.»

Social

Un avis que partage Nicolas Verdan, journaliste et écrivain, qui a ouvert cet automne à Lausanne la librairie Molly&Bloom. «Il y a dans le métier de libraire un aspect social que je découvre chaque jour avec bonheur et étonnement. Les clients viennent avec des histoires liées à leur enfance, leurs parents, des souvenirs émus qu’ils me demandent de ressusciter en trouvant le livre désiré. Je pourrais facturer l’heure d’écoute, parfois! Les lecteurs attendent d’un livre des choses symboliques qui vont au-delà du livre, évidemment. Ils entrent chez moi sans savoir vraiment, parfois, s’ils cherchent un livre, un conseil ou un ami. Parfois, j’espère, ils ressortent avec les trois! C’est incroyable à quel point les liens se nouent facilement dans les rayons entre des gens de générations ou de profils très différents.»

Pour Christophe Jacquier, responsable de la librairie Payot Rive Gauche, à Genève, «la librairie est un lieu de vie propice aux rencontres et aux échanges dans un monde où les cafés tendent à disparaître. C’est un lieu d’évasion et de plaisir, que ceux qui le fréquentent idéalisent facilement, en donnant une image romantique. Tant mieux pour nous, libraires! Et puis si les auteurs s’en inspirent, c’est qu’ils connaissent les librairies, les pratiquent dans les rencontres et séances de dédicace et sont en général de gros lecteurs.»

A La Liseuse, à Sion, Françoise Berclaz a fait abaisser la hauteur de ses bibliothèques pour que les clients puissent se voir, se regarder, s’adresser la parole. «Les livres sont des prétextes de discussion parfaits. On peut parler politique, champignons, musique, voyage, amour. Il est normal que des écrivains lient librairies et sentiments: c’est un lieu rempli de romans, et les romans sont eux-mêmes remplis de passions humaines, de préoccupations intimes et essentielles, comme la vie, la mort, l’amour, la jalousie.»

Profession

Et si le métier de libraire fait rêver au point de se retrouver en héros de romans, c’est parce que écrivains et lecteurs «font un transfert entre le rêve incarné par ces milliers de romans et de vies possibles et la profession qui vend ce rêve». Nicolas Verdan raconte ce client régulier, un assureur, qui, à chaque fois, lui confie qu’il rêve d’ouvrir sa librairie sans jamais avoir osé franchir le pas. «Ce lieu est associé à un lieu magique, préservé, protégé de la réalité quotidienne parfois dure. C’est paradoxal vu la difficulté d’en vivre…»

«Le public et les romanciers idéalisent parfois: il ne suffit pas d’aimer lire pour s’improviser libraire, avertit Françoise Berclaz. Comme c’est un métier difficile, où l’on travaille beaucoup en gagnant peu, c’est aussi un métier de passionnés, pour qui les qualités humaines priment sur le reste. Les gens qui habitent, comme moi, dans une librairie la majeure partie de la journée aiment les livres et les gens. Les librairies sont donc remplies de bons sentiments!»

«Une année particulière». De Thomas Montasser. Presses de la Cité, 176 p.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Trending Articles