La Suisse romande est une extraordinaire terre de romancières. On n’en finit pas de relire les classiques: Catherine Colomb, Monique Saint-Hélier, et bien sûr Alice Rivaz. Les Editions de l’Aire republient dans leur collection de poche deux œuvres de cette dernière, disparue en 1998. La paix des ruches, roman féministe paru en 1947, et Comptez vos jours, sublimes textes intimistes publiés en 1966. Quelle modernité, quelle beauté, quelle précision! La langue d’Alice Rivaz aborde les tabous avec une douce mélancolie, mais toujours d’une manière incarnée, avec profondeur et conviction.
Elle a payé cher sa liberté. Elle, une femme célibataire qui subvenait à ses besoins, travaillant comme documentaliste au Bureau international du travail, à Genève. Alice Rivaz n’avait ni enfant, ni mari, ni frère ni sœur. Elle commence à publier en 1940, parle de la solitude humaine, des amours finies, des amants déjà engagés auprès d’autres femmes, de la cohabitation entre une fille et sa mère. De l’inscription de l’individu dans cette Suisse qui se vit à l’écart de l’histoire.
La paix des ruches s’ouvre par cette phrase: «Je crois que je n’aime plus mon mari.» Alice Rivaz y écrit le corps à corps avec la vie, les paradoxes de l’identité. Et le besoin féroce de solitude. «Quand nous sommes seuls, tout ce que nous ne savions plus apprivoiser, nous le pouvons à nouveau.» Ses pensées, ses «présences intimes», sont pour elle des mésanges. Dans la solitude, elles viennent se poser sur ses mains, et l’écriture devient possible. Dans Comptez vos jours, vingt ans plus tard, l’écrivain compare les mots à un troupeau ou à des poissons qu’elle doit rassembler, pour les ramener à la lumière. Car seuls les mots pourront faire revenir à la vie «les visages perdus», ressusciter et prendre soin des êtres aimés.