David Brun-Lambert
Trajectoire. Gloire pâlie du rock des années 90, le groupe américain annonce sa reformation sans faire mystère de ses motivations: convoquer la nostalgie afin d’encaisser des millions.
On n’avait rien demandé. Mais les voici provisoirement reformés. A l’annonce des retrouvailles prochaines du noyau originel de Guns N’ Roses, seule une génération que le tube Sweet Child O’Mine (1987) avait accompagnée dans la puberté se sent concernée. Moins pour l’art qu’Axl Rose, Slash et Duff McCagan se promettent d’offrir lors d’une tournée lucrative bientôt menée sur le seul continent américain. Mais pour l’ère toute particulière qu’incarnent les «flingues de L.A.». Quand le rock’n’roll était encore affaire de récits, de folklore et de théâtralité.
En 1987 paraissait l’album Appetite for Destruction, sa pochette bientôt censurée montrait une blondinette sexuellement agressée par un robot libidineux. Au verso, cinq types pas commodes et solidement arrimés à leur bière toisent qui veut. Rock’n’roll! Du moins, c’est l’idée que s’en firent les teenagers à qui le premier album des Guns s’adressait en priorité. Des adolescents grandis avec MTV comme référent culturel, une chaîne rapidement devenue un lien «manquant entre culture et marketing, entre culture de niche et culture de masse, entre art et commerce», comme l’écrit Frédéric Martel dans l’essai Mainstream (Ed. Flammarion, 2010).
Cinq ans après son lancement, le broadcast s’observait en effet comme le territoire du fun adolescent, soutenant indifféremment des artistes inoffensifs aux postures aimables (Bon Jovi) ou les hérauts d’une vague caricaturale croisant glam et hard rock pour stades (Mötley Crüe). Problème: ces poseurs permanentés manquaient cruellement de mordant. Pour tout dire: de méchanceté! Là, Guns N’ Roses débarquait, balayant en douze chansons musclées une décennie durant laquelle le rock avait été dépossédé de sa puissance subversive, jusqu’à se découvrir domestiqué. Choc! Aussitôt, des gamins pour qui MTV recyclait inlassablement les symboles usés de la street culture voyaient en Axl Rose & Co. ce qu’ils attendaient, mais sans être parvenus jusqu’ici à le nommer: les possibles d’un grand frisson bon marché.
Combustion spontanée
Affreux, sales et méchants: les Guns l’étaient, comme The Ramones avant eux. Mais aussi, ces culs-terreux sortis des interstices les moins fréquentables d’Amérique savaient s’afficher sexy, bravaches et dangereux. Pile ce qu’il fallait! En quelques tubes tranchants (Welcome to the Jungle, Paradise City), un chanteur leader mauvais comme la gale et un guitar hero virtuose réveillaient net la dramaturgie rock: chambres d’hôtel saccagées, bataillons de groupies éreintées, régime fait d’alcool et de coke, concerts joués comme en autocombustion ou engueulades monstres. Et puis…
Et puis, alors même qu’ils s’étaient hissés jusqu’au pinacle rock, les Guns commettaient l’impensable en jouant aux artistes – comme The Beatles, Led Zeppelin ou Queen autrefois. Ainsi, tandis qu’en septembre 1991 paraissait l’album Use Your Ilusion en deux volumes distincts, Guns N’Roses se goûtait désormais durant des concerts farauds où November Rain s’interprétait sur piano à queue, où Don’t Cry s’accompagnait de choristes par troupeaux, où Knockin’ on Heaven’s Door de Dylan et Live and Let Die des Wings avançaient piaillards, bouffis, vains. Constat? On s’était encore fait avoir! Les Guns n’avaient été, dès le début, qu’une autre baudruche fier-à-bras…
Un an exactement après la publication de Use Your Illusion, le groupe se rangeait brusquement aux rayons des objets trouvés. Nirvana venait de publier Nevermind. Le rock’n’roll s’en trouvait pour longtemps réformé. Vulnérabilité et intégrité rock devenaient lois, et Kurt Cobain engendrait une vaste descendance qui court encore aujourd’hui (Radiohead, etc.). Ainsi, rapidement dépassé, puis ringardisé, Guns N’ Roses s’observait alors comme un plaisir coupable. Une affaire saisonnière (et qu’importe qu’Axl Rose ait poursuivi seul l’aventure depuis 1996) devenue inutile, dont le retour temporaire ne peut masquer le principal échec: l’absence lourde de tout héritage.