Polar. L’écrivain danois publie «Promesse», la sixième enquête du Département V, spécialisé dans les affaires non résolues. Rencontre genevoise avec un auteur qui ressemble à ses livres.
Quel tricotage de fausses pistes! Et quelle maîtrise de l’art du suspense! En tournant la 649e et dernière page de Promesse, la sixième enquête du fameux Département V créé par Jussi Adler-Olsen, un mot sans hésitation s’impose: chapeau! Oui, pas de doute, l’écrivain danois possède un sacré talent. Une opinion du reste partagée par un large public. Avec plus de 13 millions d’exemplaires vendus dans le monde, ce sexagénaire malicieux est devenu, depuis une quinzaine d’années, l’un des grands maîtres du thriller scandinave.
Thriller, et non roman policier. Jussi Adler-Olsen y tient. Ce choix lui offre la liberté d’aborder le genre noir par les biais les plus divers. Une dénomination dans laquelle, en passant, il inclut ses maîtres Victor Hugo, Alexandre Dumas, et même la Bible. Complot, violence, revanche, secrets, n’y trouve-t-on pas déjà tous les ingrédients d’un bon thriller?
Chaos et anarchie
Surprise, l’écrivain ressemble à ses livres. Souriant, affable et accessible, parfaitement à l’aise dans le palace genevois où il rencontre les journalistes, il donne l’impression qu’il est là pour vous, qu’il vous a spécialement réservé ce moment-là. On s’inquiète de poser des questions que d’autres, sans doute, lui ont déjà posées cent fois. «Mais je réponds chaque fois différemment», nous rassure-t-il. Puis, sans se faire prier, il raconte. Il explique qu’il savait depuis longtemps qu’il était capable d’écrire, mais que les exigences de son métier d’éditeur – il avait exercé d’autres talents auparavant – ne le lui permettaient pas.
Un jour, une occasion s’offre à lui. Encouragé par sa femme, il la saisit, prend le risque de se consacrer uniquement à l’écriture. Quand Alfabethuset, non traduit en français, paraît en 1997, il a déjà 47 ans. Il se lance ensuite dans la rédaction de sa célèbre série des enquêtes du Département V, un département fictif réservé aux affaires non élucidées. Une manière, là encore, de s’offrir le maximum de libertés.
«En choisissant les cold cases, je ne me limitais ni à un type de crime ni à une aire géographique précise, explique-t-il. Tout pouvait arriver, tout devenait possible. Et cela d’autant plus que mon personnage principal, l’inspecteur Carl Mørck, n’a plus envie de faire ce métier. Depuis le début de la série, il espère être viré. Mais cela n’arrive pas. Alors il attend. Je lui ai joint un assistant, Assad, qui fonctionne un peu comme le docteur Watson pour Sherlock Holmes; un homme très secret sur son passé et sa vie privée, qui dit venir de Syrie. J’ai introduit Rose après coup, parce que j’avais besoin de quelqu’un qui apporte un peu de chaos et d’anarchie dans l’équipe.»
Synopsis dans un coffre-fort
Pas de hasard, donc. Tout a été planifié. Pendant six mois, Jussi Adler-Olsen a même consigné par écrit l’histoire, la vie et les secrets de Carl Mørck et d’Assad – des informations qu’il nous distille au compte-goutte au fil de leurs aventures. Dès le départ aussi, il a décidé que sa série comprendrait dix livres, il a fixé ce qui arrivera dans chacun d’eux et défini qu’ils seront tous très différents, dans la forme et le contenu. Le synopsis une fois rédigé, il l’a placé bien à l’abri dans un coffre-fort. Parue en 2007 au Danemark, la première enquête du Département V, Miséricorde, fut couronnée de succès et remporta plusieurs prix. Promesse, la sixième, vient de sortir en français chez Albin Michel. Pas de doute qu’elle saura séduire les nombreux fans de l’écrivain.
Après quelques pages de prologue qui évoquent à demi-mot l’affaire à venir, l’histoire démarre à Copenhague, dans l’antre minable du Département V. Fidèle à son habitude, Carl Mørck s’offre un petit roupillon alors que son téléphone sonne sans répit. Le brigadier Habersaat, du commissariat de Rønne, sur l’île de Bornholm, cherche à le joindre. Avant de prendre sa retraite, il souhaiterait lui parler d’une ancienne histoire sur laquelle il a longuement et vainement enquêté. Carl Mørck l’envoie balader, avant de se jeter sur ses chères cigarettes. Il s’en mordra les doigts. Le lendemain, Habersaat se suicide lors de son pot de départ, après leur avoir envoyé un ultime e-mail accusateur.
Hurlement infernal
Carl et ses collaborateurs ne peuvent dès lors plus ignorer son appel au secours. En un rien de temps, les voilà sur le ferry qui les emmène sur l’île. L’affaire qui hantait Habersaat s’annonce des plus complexes. Elle les ramène à une triste journée de fin novembre 1997. Le corps d’une jeune fille avait été retrouvé dans un arbre, son vélo broyé au bord de la route. Pas trace du chauffard. Faute d’indices, on avait conclu à un accident, l’affaire avait été classée. Opiniâtre, convaincu qu’il s’agissait d’un meurtre, le brigadier Habersaat avait continué à enquêter. Il laisse d’imposantes archives. Carl et ses compagnons vont devoir s’y plonger avant de partir sur les traces de Frank, le petit ami de la jeune morte, un implacable et mystérieux séducteur devenu gourou.
Plus de 600 pages, mais un rythme soutenu. Et une noirceur illuminée par l’humour. Le personnage d’Assad possède une utilisation bien à lui des expressions courantes et il ne rate pas une occasion d’appuyer ses dires avec des histoires de chameaux. Sans même parler de la façon dont il dompte les molosses les plus agressifs en poussant «un hurlement infernal». Cette sixième enquête se dévore donc d’une traite, ou presque. On peut aussi se servir du livre pour partir à la découverte de l’île de Bornholm. Jussi Adler-Olsen est allé sur place. Il s’est soigneusement documenté sur ses habitants, leur histoire, sur les pierres de soleil et le culte solaire. Pas de doute, vous pouvez lui faire confiance.