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Samuel Estier: «Chez Houellebecq, le style, c’est l’homme. Cela dérange»

Jeudi, 4 Février, 2016 - 05:57

Entretien. Le jeune chercheur lausannois Samuel Estier publie «A propos du «style» de Houellebecq», confirmant à la fois l’importance de l’écrivain sur la scène littéraire et l’existence d’une Ecole lausannoise ès études houellebecquiennes.

Pourquoi, et comment Michel Houellebecq est-il devenu un tel objet de controverse? Pourquoi, surtout, s’est-on autant disputé sur son style? C’est la question que pose un jeune chercheur en littérature de l’Université de Lausanne, Samuel Estier, 28 ans, dans A propos du «style» de Houellebecq: retour sur une controverse (1998-2010), publié par la collection Archipel Essais de la section de français de l’Université de Lausanne. En digne héritier des travaux de Jérôme Meizoz ou de Raphaël Baroni (professeurs de lettres à Lausanne), coorganisateur d’un colloque international, «Les «voix» de Michel Houellebecq», les 3 et 4 mars prochain, à Lausanne, il confirme l’existence d’une Ecole lausannoise dans la critique houellebecquienne. Son livre tombe à pic, puisque Flammarion publie Houellebecq 1991-2000, une anthologie rassemblant les poèmes de Rester vivant ou les romans Extension du domaine de la lutte, Les particules élémentaires ou Lanzarote.

Un premier colloque universitaire international sur Houellebecq s’est tenu en 2005 déjà. Vous-même et Raphaël Baroni organisez à Lausanne le quatrième de ces colloques. Est-il rare que les universitaires s’emparent si vite d’un auteur vivant et déjà médiatique?

Oui, c’est impressionnant de voir à quelle vitesse, et dans quelles proportions, la critique universitaire s’est emparée de lui. Cela tient aussi au fait que ses livres ont été traduits très vite dans de nombreuses langues dès la fin des années 1990. Plus de 30 monographies ont été écrites sur lui par des universitaires depuis 2003, c’est énorme.

L’université n’a-t-elle pas eu envie de récupérer un peu des miettes de l’intérêt médiatique pour Houellebecq?

Il y a peut-être une part de cela, mais l’intérêt pour son travail est profond. Les questions que l’on peut aborder avec sa production littéraire, sa réception, sa posture médiatique sont extrêmement riches et variées. Elles vont de la question du retour au réalisme et à la narration en littérature à l’évolution du monde de l’édition, à la question de son industrialisation, des liens entre l’écriture et le monde de l’image, etc. Houellebecq permet de débattre de thèmes littéraires, sociologiques, scientifiques ou philosophiques.

Comment est né votre intérêt pour Houellebecq? 

J’ai vu Houellebecq pour la première fois à la télévision en 2005. J’avais 18 ans, je terminais mon gymnase à Yverdon. J’ai été séduit par sa manière de parler. Je l’ai trouvé profond, philosophique, déstabilisant. J’ai lu le livre dont il parlait alors, La possibilité d’une île, puis ses livres précédents. Plus je le lisais, plus je le trouvais intéressant. Mon préféré reste La carte et le territoire, pour sa force, la complexité de sa narration, son analyse de la création artistique. Dès que j’ai pu, je l’ai intégré dans mes études à l’Université de Lausanne. En 2012, j’ai assisté au 3e colloque international sur son œuvre à Marseille. Je l’y ai rencontré, je lui ai demandé une dédicace des Particules élémentaires. Par la suite, nous avons eu quelques échanges de mails. J’en ai fait le sujet de mon mémoire et il sera le sujet de ma thèse également. Plus je côtoie son œuvre, plus il me passionne.

De 1998 à 2010, date du Goncourt attribué à «La carte et le territoire», s’est développée une controverse sur son style. Pourquoi?

La controverse est devenue visible au moment de la sortie des Particules élémentaires, en 1998. Ce n’est pas un hasard. C’est un livre qui a fait événement. C’était LE roman de la rentrée. Il a éclipsé tous les autres en termes de visibilité, de captation d’attention, de chiffres de vente aussi. Ce moment a révélé qu’il était un auteur clivant autant par son style que par sa posture, et la manière dont il incarnait les changements à l’œuvre dans le monde de l’édition.

La controverse autour de son style a tourné autour de sa prétendue absence de style, voire autour du fait qu’il écrivait «mal». Dans le camp des contempteurs, on trouve des critiques comme Eric Naulleau qui ont parlé de laideur, Denis Demonpion d’artifice de séduction, Pierre Assouline qui disait que la seule invention stylistique chez Houellebecq était le point-virgule, Michel Onfray, un temps, Marie Redonnet, qui parle d’«impuissance de la langue», Jean-François Patricola qui évoque un bric-à-brac de clichés, voire une imposture. Du côté des défenseurs, on trouvait Dominique Noguez, qui a mis en évidence la grande diversité de son style, Pierre Jourde, Olivier Bardolle ou Fernando Arrabal.

Et vous, comment décririez-vous son style?

L’une de ses marques de fabrique est ce qu’on appelle le style héroïcomique, c’est-à-dire le contraste entre un niveau de langue élevé et la description d’une réalité triviale. C’est un effet récurrent chez lui. Dominique Noguez parle de «mélange curieux de férocité et de placidité dans le ton», ça me plaît bien. Ceux qui en parlent bien sont ses traducteurs, car ils ne sont pas dans la polémique. Son traducteur néerlandais, Martin de Haan, parle de style essentiellement ironique. C’est le principe qui guide beaucoup de ses traducteurs. Le lecteur ne sait jamais s’il doit prendre ce qu’il lit pour du lard ou du cochon, pour citer son traducteur allemand.

Il est toujours dans l’ambiguïté et dans la rupture de styles. Dans le fond, c’est un classique. Il ne révolutionne pas la langue française, alterne de manière assez convenue le passé simple et l’imparfait, ne crée pas de néologismes. Son écriture est toujours très maîtrisée. Mais il est aussi doué pour alterner les registres, pour passer d’un style à l’autre, provoquant des effets souvent drôles, absurdes, n’hésitant pas à adopter un style vulgaire ou cru. C’est très réussi.

La controverse sur le fond, sur les thématiques, de la misère sexuelle à l’islam, n’a-t-elle pas vite pris le pas sur la controverse sur le style?

Dès le début, ses livres ont été accompagnés de débats sur ces sujets. Par exemple l’hédonisme, la charge contre Mai 68 ou les manipulations génétiques dans Les particules élémentaires, l’islam et le tourisme sexuel dans Plateforme, Raël dans Lanzarote, le clonage dans La possibilité d’une île, sa vision des femmes en général. Ensuite s’est ajouté le procès à la suite de sa fameuse déclaration dans Lire: «La religion la plus con, c’est quand même l’islam.» Du coup, les lecteurs y ont regardé de moins près sur la forme. Ce qui ne veut pas dire qu’elle devenait moins intéressante.

Houellebecq est-il un provocateur, à vos yeux?

Au sens strict du terme, qui signifie dire des choses que l’on ne pense pas dans le seul but de provoquer des réactions, non. On prend pour de la provocation ce qui est chez lui une manière d’être. Comme nous ne comprenons ou ne supportons pas l’ambiguïté générée par ses livres, nous la prenons pour de la provocation. D’autre part, on le lit trop vite, ou oublie la littérature, chez lui, les nuances, on s’arrête à quelques éléments saillants et on le résume à cela. On cherche à simplifier sa pensée. Au point de le qualifier de «prophète» dès Plateforme en 2001, puisque son roman a été suivi en 2002 de l’assassinat de 202 touristes à Bali.

Comme il adopte souvent un point de vue dans le futur, on s’imagine qu’il a peut-être des talents de voyant… Soumission est sorti le même jour que les attentats de Charlie Hebdo, c’est incroyable! D’ailleurs, un faux extrait de Soumission circulait sur le Net, faisant croire que son roman prédisait un attentat islamiste dans une rédaction. Dès qu’on le lit, désormais, on s’attend à lire des révélations. Ses «prophéties» sont à mon sens des hypothèses. Sa formation scientifique d’ingénieur agronome lui a donné ce goût. Tout comme la SF, qui fonctionne aussi par hypothèses. Il n’appelle rien de ses vœux! Son travail, c’est de l’observation. Il n’est pas au service d’une idéologie: il est plutôt un ethnologue.

Houellebecq est-il unique ou représentatif d’une génération d’auteurs contemporains?

Par plusieurs aspects, il est représentatif de ses contemporains. De par son intérêt, visible dans ses livres, pour des littératures très diverses, des classiques du XIXe, comme Flaubert, à la SF ou au polar. De par son discours sur le monde dans lequel il vit aussi. Et il ne se gêne pas pour donner dans le name dropping comme un Bret Easton Ellis. Enfin, son ironie est une marque de fabrique de la littérature française contemporaine, même si l’on parle déjà de postironie, c’est-à-dire de la mise en scène de sa propre posture ironique…

Houellebecq va-t-il durer?

J’en suis convaincu. J’observe la popularité croissante de son œuvre à l’échelle mondiale. Ses réflexions sur la science, l’art, la philosophie sont des réflexions durables, qui s’inscrivent dans l’histoire de la pensée à long terme. Et puis on trouve un tel plaisir à le lire et à le relire. Il n’y a pas de raison de le considérer comme un simple produit jetable ou un phénomène de mode. Enfin, lui-même pense qu’un génie doit avoir du mystère. Et comme il le cultive avec succès…

Houellebecq est une marque, un label. Synonyme de quoi?

C’est encore lui qui répond le mieux à cette question en disant, au micro de France Culture en 2010: «Petit frisson de liberté.» Un ami a utilisé l’adjectif houellebecquien, un jour, pour décrire son petit boulot du moment: nettoyer les salissures d’octogénaires au cinéma porno Moderne, à Lausanne. Je trouve cet exemple très parlant. Il incarne un mélange unique d’humour, de sarcasme et de désespoir.

Vous citez abondamment deux autres chercheurs de l’Université de Lausanne, Jérôme Meizoz et Raphaël Baroni, qui ont écrit sur Houellebecq avant vous. Et deux mémorantes travaillent sur lui dans votre université. Lausanne est-elle un nid en recherches houellebecquiennes?

Agathe Novak-Lechevalier, spécialiste de Houellebecq à Paris, a carrément parlé d’Ecole lausannoise lors du Marathon des mots à Toulouse en 2014. C’est trop élogieux. Mais il est vrai que le monde bouge, les choses ne se passent plus seulement à Paris.

Que pense Houellebecq lui-même des débats dont il fait l’objet?

Il a souvent dit qu’il préférait les universitaires aux journalistes. Je pense qu’il aime être un objet d’étude, être pris au sérieux. Qui ne le serait pas? En tous les cas, il vient souvent aux colloques internationaux sur lui. Nous l’avons invité, et attendons sa réponse. Tout est possible! 

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Felix Imhof
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