Steve Jobs est un type assez fascinant. Car derrière le génial entrepreneur, le gourou de l’informatique conviviale et l’inventeur des iMachins se cache un personnage bien plus trouble. Pas étonnant, dès lors, qu’il intéresse le cinéma. Moins de trois ans après Jobs, voici ainsi Steve Jobs, deuxième biopic tentant de le cerner. Pour l’originalité des titres, on repassera, un peu comme lorsque, en 2014, on avait droit à Yves Saint Laurent puis, quelques mois après, à Saint Laurent.
Filmé sans beaucoup d’imagination par Joshua Michael Stern, Jobs racontait de manière chronologique l’ascension du natif de San Francisco, décédé en 2011 à l’âge de 56 ans, de ses années universitaires à son grand retour en 1997 à la tête d’Apple. L’entreprise qu’il avait cofondée en 1976 mais dont il a été éjecté en 1985. Malgré la tentative de montrer le côté caractériel de ce visionnaire, le film s’avérait sans véritable faille. Ce que n’arrangeait guère, dans le rôle-titre, un Ashton Kutcher ne parvenant pas à rendre compte de la complexité du personnage, et obligé dès lors de miser sur le mimétisme pour convaincre.
Scénarisé par Aaron Sorkin, lauréat d’un oscar pour The Social Network (sur Mark «Facebook» Zuckerberg), créateur des séries A la Maison Blanche et The Newsroom, Steve Jobs est autrement plus intéressant. Car il y a, derrière le désir de s’attaquer à cette grande figure de l’histoire technologique moderne, un vrai point de vue. Le film se déroule en effet en trois actes: lancement du premier Macintosh en 1984, de l’ordinateur NeXT en 1988 et du premier iMac en 1998. A chaque fois, on assiste dans les coulisses aux trente minutes précédant les présentations de Jobs. Il y a quelque chose de clairement théâtral dans ce dispositif, avec des personnages clés entrant et sortant de scène – sa fille, Lisa, qu’il a d’abord refusé de reconnaître, sa fidèle assistante, Joanna Hoffman (Kate Winslet, brillante), le cofondateur d’Apple, Steve Wozniak, ou encore John Sculley, CEO de 1983 à 1993.
Ces personnages sont là pour aider à faire comprendre les failles et les contradictions de Jobs, montré comme froid, manipulateur et arrogant. Un homme protéiforme que Michael Fassbender campe avec beaucoup de subtilité et une saine retenue. Mais quelle mauvaise idée, par contre, d’avoir confié la réalisation à l’agaçant Danny Boyle qui, visiblement désireux de mettre en veilleuse sa propension à abuser d’effets toc et de grosses ficelles, livre un film froid et sans âme, alors qu’il y avait là matière à mettre en scène une flamboyante tragédie shakespearienne.
«Steve Jobs». De Danny Boyle. Avec Michael Fassbender, Kate Winslet et Jeff Daniels. Etats-Unis/GB, 2 h 02.