Zoom. Depuis son lancement il y a un mois, la série documentaire «Making a Murderer», qui relate les pérégrinations judiciaires de l’Américain Steven Avery depuis 1985, déchaîne les passions sur le Net.
«Son histoire va vous choquer», «la vérité va vous hanter». Excessive, la bande-annonce de Netflix? En aucun cas. Cette série en dix épisodes réalisée par deux virtuoses du suspense, Moira Demos et Laura Ricciardi, est aussi fascinante que troublante.
Tourné sur dix ans, ce «thriller documentaire» nous plonge dans une réalité violente, tragique et sans fard, celle de Steven Avery, un habitant du Wisconsin qui obsède et divise l’Amérique sur le Net depuis la diffusion de la série sur Netflix en décembre dernier*.
Nous sommes en 1985 quand cet homme de 22 ans, père de quatre enfants, employé d’une casse familiale dans le comté de Manitowoc, est accusé de viol sur une femme de son village. Malgré des dizaines de témoignages et des preuves irréfutables en sa faveur, ainsi que la proclamation de son innocence, le jeune homme est condamné à trente-deux ans de prison. Il faudra attendre 2003, soit dix-huit ans plus tard, pour que des tests ADN prouvent son innocence et permettent d’arrêter le véritable coupable. Steven Avery est enfin libre. Mais pas pour longtemps.
Alors qu’il réclame 36 millions de dollars à la police pour erreur judiciaire, une femme est retrouvée assassinée dans son jardin. Renvoi immédiat derrière les barreaux, cette fois à perpétuité. Steven Avery est-il victime d’un complot monté par la police? La justice est-elle corrompue? L’Amérique, elle, est scindée entre les pro- et les anti-Avery. Entre le doute raisonnable et le coupable idéal.
Quand les réalisatrices découvrent l’affaire au moment du second procès, en 2005, elles se fixent comme objectif non pas de prouver l’innocence de Steven Avery, mais de mettre en lumière les failles du système judiciaire américain.
Les internautes s’impliquent
Dix ans et 700 heures de vidéos plus tard, Netflix accepte de produire la série. Voix off, absence d’acteurs, longs enregistrements téléphoniques, interrogatoires interminables: si le matériel récolté semble indigeste, la rigueur de l’enquête, la dimension réelle (l’effondrement d’une famille) et le montage particulièrement haletant (des fins d’épisodes d’un ensorcelant suspense) donnent une force incontestable à la série.
Cette maîtrise et ce désir de vérité ont provoqué chez les internautes un irrépressible besoin de s’impliquer dans l’enquête. Certains fans sont allés jusqu’à se procurer les documents judiciaires, disponibles en ligne, et ont réexaminé chaque fait. De nouvelles analyses, de nouveaux suspects sont apparus: chacun veut apporter son interprétation du dossier, dénoncer les incohérences du système judiciaire et ses obscurs rouages.
Interrogée par le journal The Daily Beast, la réalisatrice Laura Ricciardi s’étonne: «On avait toujours espéré que les spectateurs s’impliqueraient, mais on ne pensait pas qu’ils deviendraient des détectives amateurs.»
En un mois, le site de pétition change.org a réuni plus de 400 000 signatures appelant Barack Obama à accorder la grâce présidentielle à Steven Avery. Face à cette mobilisation massive, le président des Etats-Unis, qui a lancé un ambitieux projet de réforme de la justice pénale, s’est vu contraint d’expliquer, avouant quelques regrets au passage, son impuissance à intervenir hors de la juridiction fédérale.
A travers Making a Murderer, les réalisatrices voulaient «donner un aperçu de l’expérience d’être accusé aux Etats-Unis». Mission accomplie.
* Le premier épisode est disponible en intégralité sur YouTube: heb.do/murderer.