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Antoine Jaccoud: mots pour maux

Jeudi, 21 Janvier, 2016 - 05:58

Rencontre. Scénariste pour Ursula Meier ou les frères Larrieu, poète et dramaturge, le Lausannois reçoit dans quelques jours le Prix d’honneur des Journées de Soleure.

C’est indirectement à un membre du Groupe 5 – ces réalisateurs qui vers la fin des années 60 ont marqué le renouveau du cinéma suisse – qu’Antoine Jaccoud doit sa vocation de scénariste. Ou du moins l’envie de passer à autre chose. En 1986, lorsque Michel Soutter sort Signé Renart, il est journaliste culturel et critique de cinéma à L’Hebdo. Il avait rencontré le Genevois avant d’avoir vu son film, se souvient d’un homme «confiant et courtois». Mais voilà, lorsqu’il découvre finalement Signé Renart, il le trouve «faible, très peu cinématographique». Et il l’écrit, tout en étant conscient que le côté tranchant de la critique a quelque chose de violent. Peu après, il croise Soutter dans une brasserie parisienne. Celui-ci le voit, blêmit, se lève et quitte l’établissement en lançant: «Je ne veux plus voir cet homme.»

Antoine Jaccoud mûrit alors l’idée de passer du côté de ceux qui font, plutôt que de ceux qui défont. «Mais je ne me suis jamais vu réalisateur. Le côté chef de chantier ne m’intéressait pas.» Après quelques années dans le journalisme, cet ancien étudiant en sciences politiques, qui avoue avoir trouvé des outils pour comprendre le monde en lisant Bourdieu, donne sa démission et s’immerge dans l’univers de l’écriture dramaturgique. Sans vraiment savoir ce qu’il va bien pouvoir faire. «J’en avais marre et je me sentais appelé par autre chose, mais j’étais en même temps assez candide, assez naïf», sourit-il.

Se former en formant

En 1991, il a la chance de participer à un atelier d’écriture donné par le Polonais Krzysztof Kieslowski. Huit sessions de dix jours pour écrire un long métrage. «Il était exigeant, dur, mais juste. Il jouait parfaitement son rôle d’expert, de mentor, qui est là pour brutaliser. Mais en dehors, il était adorable.» Après cette première expérience essentiellement axée sur les personnages, le Vaudois décide d’aller plus loin, car il lui «manquait encore des outils, de la technique». Ce qui n’empêche pas Yves Yersin, le réalisateur de ce fleuron du cinéma romand qu’est Les petites fugues (1979), de lui confier la mise en place d’un enseignement du scénario au moment où il prend la responsabilité du département cinéma de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL). Une aubaine.

«Durant les années passées à l’ECAL, j’ai pu me former en formant. J’ai créé un appareil didactique en me disant que ce dont j’avais besoin, les autres en avaient besoin aussi.» Petit à petit, il commence à mieux comprendre les films, à pouvoir «mettre des mots sur le sentiment d’ennui, qui est en fait un manque d’anticipation dans l’esprit du spectateur». En parallèle, il assiste à deux ateliers du Tchèque Frank Daniel, qui a émigré aux Etats-Unis en même temps que Miloš Forman, avant de commencer à lire des scénarios, en tant qu’expert, pour des producteurs et distributeurs. Multipliant les expériences – il travaillera pendant dix ans pour la télévision belge –, il devient sans véritablement en prendre conscience un des consultants francophones qui comptent. Dans le fond, il a eu de la chance, s’excuse-t-il presque. «S’il y avait une vraie filière scénario à l’ECAL ou à la HEAD (ndlr: Haute école d’art et de design de Genève), je serais un anonyme.»

Psychanalyste suisse

«Chaque scène, chaque mot permettent de déterminer la qualité du projet», expose Antoine Jaccoud, qui ne peut plus aller au cinéma comme un simple spectateur, au grand dam de son épouse, qui doit supporter ses soupirs lorsque, après quelques minutes, il devine qu’il va passer un mauvais moment. Mais lorsqu’il aime un film, il s’enthousiasme: «J’ai vu il y a quelques semaines Béliers, c’est extraordinaire. Le pitch, autour de deux frères qui ne se parlent plus et de quelques béliers, est très simple. Mais c’est dur, violent, et le cinéma se prête bien à cela. Autant je peux militer pour le scénario, autant, s’il n’y a pas un sens de l’espace, ce n’est pas la peine de faire un film.»

Ursula Meier, avec laquelle Antoine Jaccoud a travaillé sur plusieurs projets, notamment ses deux longs métrages Home et L’enfant d’en haut, le possède, ce sens de l’espace. Ce qu’il apprécie, dans leur collaboration, c’est que «les personnages sont d’abord envisagés comme des «énergies physiques». J’ai besoin de savoir comment ils bougent, ce qui les fait avancer, parce que c’est ce qui va me faire avancer, moi.» Le Lausannois a aussi écrit avec Jean-Stéphane Bron (Connu de nos services, La bonne conduite), Jacqueline Veuve (Un petit coin de paradis), Dominique de Rivaz (Luftbusiness), Denis Rabaglia (Azzurro) et Bruno Deville (Bouboule). Dorénavant, il s’éclate aux côtés d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu.

Il a commencé par «jeter un œil» au scénario de L’amour est un crime parfait, à la demande de la productrice zurichoise Ruth Waldburger, avant que les Français ne l’engagent pour 21 nuits avec Pattie. Ils l’appellent «notre psychanalyste suisse». Et ça l’amuse. A l’entendre, on se dit d’ailleurs que l’amusement est peut-être bien le moteur de son travail. Car, même s’il avoue avoir un faible pour «les trucs un peu noirs, la violence des rapports et la détermination sociale», il aime rire.

«Mais il n’y a pas que le cinéma dans la vie», insiste-t-il. Il y a aussi le théâtre, véritablement découvert lorsque, vers la fin des années 90, le metteur en scène Denis Maillefer lui demande de lire avec lui La Cerisaie, de Tchekhov, afin d’en analyser les enjeux cachés. Il assiste alors à plusieurs répétitions, ce qui lui permet d’approcher des comédiens, de voir «comment ils sont vulnérables». Il a depuis régulièrement écrit pour le théâtre, de Je suis le mari de à Chambre d’amis, créé au printemps dernier. Il est également membre du collectif Bern ist überall, fondé par l’écrivain Pedro Lenz, qui lui permet d’assouvir son goût pour la poésie et l’oralité.

De Wenders à Borgen

Antoine Jaccoud fêtera l’année prochaine son 60e anniversaire. Avec l’âge vient le temps de la reconnaissance. Dans le cadre des Journées de Soleure, il reçoit un Prix d’honneur. L’occasion pour lui, plus que de se lancer dans un long discours, de présenter un film qui lui est cher: Au fil du temps, de Wim Wenders, découvert à 19 ans. «C’est la première fois que je me rendais compte de l’importance du temps et de l’espace au cinéma.» Dans un tout autre registre, il cite la série danoise Borgen. «C’est l’histoire d’une femme ambitieuse qui va faire passer la politique avant sa famille. Ça, c’est du drame! Ce qu’il faut, c’est ou bien des gens pas sympas qui font des trucs sympas, ou quelqu’un de gentil qui détruit. C’est une règle de base.» Alors, à quand une série signée Antoine Jaccoud? «Je ne dirais pas non, mais je ne suis pas certain qu’on ait en Suisse les conditions qui nous permettent de faire Borgen. Au service public danois, ils sont 29 pour la fiction télé… Tout est dit.»

Journées de Soleure. Du 21 au 28 janvier.
Remise du Prix d’honneur à Antoine Jaccoud le 26 janvier à 17 h 45 au cinéma Canva.
www.journeesdesoleure.ch

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Léa Kloos
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