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Patrick Senécal, frissons du Québec

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Jeudi, 3 Décembre, 2015 - 05:58

Rencontre. Star du polar, le quadra de Montréal est enfin traduit en France. «Le vide» plonge avec férocité dans les dérives de la téléréalité.

Au Québec, Patrick Senécal est une star. Dans la rue, dans le métro, on l’arrête mille fois pour des selfies ou des embrassades. Dans les librairies ou les festivals du livre, les lecteurs n’hésitent pas à attendre plusieurs heures pour avoir leur dédicace et leur minute de conversation. Cette semaine, les Editions Fleuve à Paris publient Le vide, le roman qui lui a permis de devenir une star, et, demain, gageons que c’est à Paris et à Genève qu’il en sera aussi une.

Gouailleur, charmeur, faux airs de flic baroudeur en manteau de cuir, vraie bouille de bon vivant, hyperactif masquant ses angoisses sous une bonhomie chaleureuse, Patrick Senécal est un cas passionnant de l’univers francophone du polar contemporain, véritable maître de l’exploration de nos pulsions plus ou moins cachées, cauchemars et fantasmes puissants qui nous motivent ou nous détruisent.

Depuis la parution de son premier roman, 5150, rue des Ormes, en 1994, il fait le bonheur et la fortune des Editions Alire, spécialistes en fantastique et autres littératures de genre. Prolifique, Senécal donne autant dans le thriller que dans le fantastique ou le roman gore, passant avec aisance et gourmandise d’un détournement d’Alice au pays des merveilles, intitulé Aliss, qui fait vivre à une ado toutes sortes d’expériences initiatrices, à Malphas, une tétralogie loufoque qui détourne le quotidien d’un collège de Montréal avec un humour trash inégalable, abordant sans vergogne la satire sociale et politique. Mais c’est sa veine thriller qui lui assure sa popularité, et ses titres comme Le vide, Les sept jours du talion ou Sur le seuil, d’ailleurs adapté au cinéma.
Son public est du coup à l’image de sa production, mêlant les adolescents, pour qui Aliss est un livre culte, aux mâles amateurs de polars efficaces et aux lectrices sensibles à la dimension romanesque et sensuelle de ses livres autant qu’au charisme de l’auteur.

Téléréalité et suicide collectif

Le vide raconte comment le milliardaire Max Lavoie quitte tout pour lancer une émission de téléréalité intitulée Vivre au max, qui propose aux candidats de les aider à réaliser leur rêve le plus fou, aussi risqué, idiot ou cruel soit-il, alors qu’un inspecteur enquête sur une femme qui a assassiné son ex-mari et sa nouvelle famille. L’enquête de l’un va bientôt croiser le chemin de l’autre et déboucher sur les preuves d’une utilisation machiavélique de la télévision. «J’ai eu l’idée du livre en 2005. J’étais furieux, en criss comme on dit chez nous, en voyant l’importance grandissante de la téléréalité. Je me suis demandé ce qui me rendait furieux, et surtout pourquoi les gens se précipitaient pour participer, et regarder. La téléréalité est le symptôme de quelque chose de plus vaste, un vide existentiel épouvantable, une absence de sens angoissante.»

Le vide est un roman bien ficelé, intense, estomaquant, qui plonge dans le désarroi existentiel d’une foule avide de divertissement et d’hommes et de femmes désespérés que Max Lavoie pousse sur la voie d’un suicide collectif effrayant. On est loin d’un classique whodunit à la Agatha Christie. Pareil pour son dix-septième et tout nouveau roman, Faims, paru cet automne aux Editions Alire et que les plus impatients peuvent leur commander directement. Faims raconte comment l’arrivée d’un cirque dans une petite ville fait exploser la tranquillité d’une famille. Particularité de ce cirque: la troupe est formée d’excentriques qui ont décidé de ne plus être ordinaires et entendent propager leur révolte avec un spectacle qui provoque les spectateurs pour les faire sortir de leur apathie.

Examen de conscience

«Faims parle des faims intérieures, des frustrations. Il pose des questions de gens de mon âge. Je n’aurais pas pu l’écrire il y a dix ans. La dimension psychologique est essentielle à l’intrigue. A bientôt 50 ans, je suis tout sauf amer mais je sais qu’il faut regarder sans concession les failles de sa vie, se livrer à un examen de conscience rigoureux, plonger à fond dans les questions du sens de la vie qui se posent à nous. L’écriture me permet de le faire tout en vivant l’expérience excitante de la création.»

Patrick Senécal est né en 1967 à Drummondville, à mi-chemin entre Montréal et Québec. Père ouvrier textile, mère employée de banque. Pas de littérature à la maison. «Je me suis fait tout seul. J’aimais l’acte de lire mais je ne trouvais pas ce que je voulais lire. Alors avec un copain on faisait des BD, on écrivait de petites histoires fantastiques… J’aurais adoré lire, gamin, Harry Potter ou Les orphelins Baudelaire!» A 16 ans, il s’imagine être publié un jour. Passionné de l’image autant que du texte, il exerce une dizaine d’années comme professeur de lettres et de cinéma jusqu’au succès du Vide, qui lui permet de faire le grand saut et de vivre de sa plume. «Il y a un avant et un après Le vide, clairement. C’était aussi mon livre le plus ambitieux.»

Il habite le quartier Rosemont à Mont­réal, «aussi bohème, sympa, intello et populaire qu’était le Plateau avant sa gentrification». Il a deux enfants, de 17 et 15 ans, et depuis vingt ans une femme psychologue, Sophie, qu’il remercie tendrement à la fin de chaque roman. «Je suis très pessimiste sur l’être humain. Ma blonde m’a montré la lumière, elle a fait de moi un être meilleur.» Ses parents sont fiers mais son père s’inquiète régulièrement des idées noires qui tournent dans la tête de son fils.

A 18 ans, il s’est fait la promesse de ne jamais tomber dans la platitude du quotidien. «L’écriture est un exutoire parfait et me permet de vivre mille vies et expériences extraordinaires.» Longtemps, il s’est interrogé sur la responsabilité de l’écrivain qui écrit sur l’horreur. «Le fait de créer du divertissement avec le mal m’a beaucoup interpellé.» Désormais, il est en paix avec la question. «Je crois profondément qu’on ne connaît jamais les gens vraiment, qu’on ne se connaît même pas soi-même, et que toutes sortes de comportements extrêmes sont toujours possibles.»

Des concessions

Il aime la couleur rouge, la junk food – «J’essaie désespérément de freiner sur les frites…» S’il était un animal, il serait un cheval sauvage, une chanson, I Am the Walrus des Beatles et, s’il était un livre, Germinal de Zola. «J’ai découvert Germinal à l’université. J’ai aimé la manière dont le roman parlait des gens pauvres sans misérabilisme, avec rage, colère, un esprit révolutionnaire. J’ai lu tout Zola, après cela. Cela m’a donné une grande énergie.»

Les Editions Fleuve ne sont pas les premières à avoir tenté de publier Senécal en France. Longtemps, il a été intransigeant, refusant toute adaptation du québécois au français parisien. «Maintenant, j’ai compris que si je souhaitais être vraiment lu plus loin, je devais faire quelques concessions. Ça ne sert à rien de garder tous nos sacres, nos tabernacles, si cela fait rire le lecteur au moment d’un gros suspense ou au milieu d’une scène érotique… Les Editions Bragelonne à Paris m’ont déjà publié une fois il y a quelques années, sans adaptation de la langue, et cela a sans doute nui au succès du livre.» Du coup, si Le vide garde de nombreuses tournures et expressions québécoises, il a été «revu» pour plus de franco-compatibilité. «La France n’est pas n’importe quel pays aux yeux d’un Québécois. C’est un ballon d’essai mais j’espère qu’il sera positif! Il n’y a pas de raison que cela ne marche pas: tout le monde aime se faire raconter une bonne histoire, bien menée, concernante.»

Fleuve annonce déjà, pour 2016, la parution de Hell.com, ou l’exploration par deux amis d’un site internet géré par la mafia, version informatique contemporaine de l’enfer, promettant la réalisation de tous les plaisirs illégaux possibles et impossibles – paris truqués, parties fines, drogues, vendettas, tortures… «Peu importe que le paradis et l’enfer existent ou non. Chaque histoire est l’occasion de me poser la seule question qui vaille: comment sauver son âme?»

Le vide». De Patrick Senécal. Fleuve Editions, 800 p.
«Faims». Editions Alire, 500 p.

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Karine Davidson Tremblay
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