C’est l’histoire d’un premier roman qui réussit le tour de force de nous accrocher jusqu’au bout malgré un sujet caricaturalement premier roman et un héros terriblement agaçant. Comme son auteur Bruno Pellegrino est un jeune homme intelligent, tout cela est forcément volontaire, ce qui ajoute une dimension ludique bienvenue à la proposition.
Atlas nègre raconte deux voyages: d’abord celui («Sud») que fait, seul, à Madagascar un jeune homme en allant offrir ses services à une association humanitaire. Sur place, il déteste tout, se sent inutile, déplacé, frustré, malheureux. Son amoureuse lui manque, il lutte pour ne pas passer son temps sur internet, finit par quitter l’association pour faire le joli cœur avec une certaine Lucie et rejoindre une bande de routards pour faire la route entre plages, mousson et montagnes. Dans le deuxième voyage («Est»), on suit notre héros, cette fois en couple, à Moscou puis en train à Pékin et Tokyo. Ils bouffent du paysage comme on se soûle le samedi soir, avec avidité et la certitude que la vraie vie, comme ils sont Ailleurs, c’est cela. Mais le voyage tue le couple, souvent.
Le parcours de Bruno Pellegrino, 27 ans, est d’une fidélité absolue à la littérature: Prix Latourette de la meilleure dissertation littéraire du canton à 18 ans, critique littéraire depuis ses 17 ans, lauréat 2011 du Prix du jeune écrivain francophone, il est membre fondateur de l’AJAR, l’Association des jeunes auteurs romands, et auteur d’un mémoire sur Bertil Galland.
Ecrit à la troisième personne du singulier, donc avec distance et ironie, Atlas nègre est un document intéressant sur la sociologie des routards version 2015, qui marient humanitaire et applications de coachsurfing. Désenchanté, doux, mélancolique, acide, c’est surtout un roman de formation qui raconte l’éternelle quête de sens des grands enfants. Lancé à l’assaut du monde, le narrateur s’y cogne de plein fouet, absolument volontairement. Ruant dans les brancards de l’amour, il tente vaguement d’y échapper, se laisse complaisamment rattraper, à la merci des courants sentimentaux contradictoires. L’écriture, précise, à la fois clinique mais déchirante, rythmée, prenante, nerveuse et patiente, a de la gueule: une plume nous est née, c’est la meilleure nouvelle de ce livre.