Palmarès. Les jurés-lecteurs du Prix des lecteurs de L’Hebdo 2015 ont choisi. Les lauréats sont la journaliste au «Monde diplomatique» Mona Chollet pour son essai intitulé «Chez soi, une odyssée de l’espace domestique» dans la catégorie essais et Saphia Azzeddine pour «Bilqiss» dans la catégorie romans. Les présidents de jury, Dominique Arlettaz et Jean-Luc Bideau, applaudissent.
Jean-Luc Bideau
Comédien
Je suis ravi que la bande de lecteurs magnifiques que j’ai eu le plaisir de côtoyer ait autant aimé, et même plébiscité, Bilqiss de la belle Saphia Azzeddine. Nous avons lu 17 romans en trois mois, c’est énorme! Surtout pour moi qui lis peu, par paresse en partie, par manque de temps surtout. Ma culture et mon érudition m’ont donné un coup de pied intellectuel! De ces 17 romans, trois m’ont touché, intéressé, séduit: Monsieur K de Marc Michel-Amadry, l’histoire d’un galeriste qui assume comme il peut le passé collabo de ses parents, Villa des femmes de Charif Majdalani, un beau récit familial autour de la mort d’un patriarche libanais dans les années 70 et de la manière dont les femmes de la famille assument son héritage, et enfin Quand le diable sortit de la salle de bain de Sophie Divry, le journal drôle et très cash d’une jeune chômeuse en colère.
Regards
Mais Bilqiss est supérieur à tout ce qu’on a lu. Le style est percutant et le sujet, cette femme condamnée à se faire lapider, me touche. Le regard de la société en général sur les femmes est dur. Bilqiss est le prénom de cette femme qui, dans une cellule de prison d’un pays musulman non identifié, attend sa mort par lapidation pour avoir pris la place du muezzin un matin où celui-ci ne s’est pas réveillé. Et puis, aussi, pour n’avoir pas la langue dans sa poche, savoir lire et parfois laisser dépasser une mèche de cheveux de sa burqa. C’est un roman extrêmement fort qui raconte les journées de procès qui précèdent la séance de lapidation annoncée. L’émotion et la rigueur critique d’une religion m’ont véritablement touché… comme un vrai protestant.
Bonne conscience
On entend la voix de Bilqiss, mais aussi celle du juge, conscient de l’extrême injustice de la justice qu’il est en train de rendre, et celle d’une journaliste américaine persuadée qu’elle peut sauver la prisonnière et débordant d’une compassion tout occidentale.
Saphia Azzeddine n’est pas tendre avec elle, ce qui est très subtil. Bilqiss se lit comme un roman de combat, celui des femmes pour leur liberté, leur droit d’exister au même titre que les hommes dans toutes les parties du monde et selon toutes les religions, mais c’est d’abord un roman très subtil qui renvoie dos à dos le juge et la journaliste, l’accusée et le juge, la journaliste et l’accusée. Rien n’est jamais ni tout noir ni tout blanc, les uns comme les autres sont toujours convaincus d’agir au nom du bien… Saphia l’a extrêmement bien compris et rendu.
«Bilqiss». De Saphia Azzeddine. Stock, 216 p.
Dominique Arlettaz recteur de l’Université de Lausanne
Les membres du jury des lecteurs ont d’abord accueilli Chez soi avec une certaine réserve en raison de la simplicité, pour ne pas dire la banalité, du sujet traité. Mais à sa lecture ils l’ont considéré comme une très bonne surprise et ils ont été séduits par cet ouvrage, car ils ont volontiers suivi Mona Chollet dans ce grand voyage, magnifiquement construit, qui emmène le lecteur d’abord dans la chambre qui est la cellule première de chaque individu, le déplace ensuite vers le salon et décrit la vie qui s’y passe, analyse ce que chacun fait chez soi, et s’envole vers des sujets aussi riches et complexes que le bonheur familial ou l’idéal que chacun a pour sa propre habitation. Surtout, le jury a apprécié cet essai qui décrypte avec talent le manque d’espace et le manque de temps que chacun expérimente dans sa vie de tous les jours. Bref, l’ouvrage de Mona Chollet est un magnifique parcours intemporel où chacun se retrouve et se découvre.
Questionnement du quotidien
Le jury des lecteurs était composé de manière très variée, avec des personnes férues de littérature et de philosophie et d’autres moins spécialisées mais tout aussi curieuses et passionnées. Ce qui, pour le jury, a fait la différence avec les autres essais en compétition, c’est indiscutablement l’accessibilité de l’ouvrage de Mona Chollet: le lecteur se laisse volontiers conduire dans ce parcours simple mais profond, il s’émerveille de voir l’auteure traiter avec une éblouissante sincérité les vraies questions qui se posent dans le quotidien de chacun et surmonter l’apparente banalité du thème étudié par une analyse fine et subtile de la vie sociale de notre époque, et surtout le lecteur a plaisir à voir tant de thèmes sérieux abordés avec un humour qui fait du bien.
Un regard pertinent
A titre personnel, le choix du jury me ravit pour au moins deux raisons. D’une part, ce livre va bien au-delà de la transmission des messages que l’auteure veut y exprimer, puisqu’il revalorise le mot «domestique», qui peut paraître si secondaire, mais qui, dans cet essai, trouve sa place au centre de la vie! D’autre part, j’ai énormément apprécié la franchise et la pertinence du regard de l’auteure sur des questions de la vie de tous les jours si révélatrices des craintes et des espoirs de chacun de nous.
Le genre littéraire de l’essai a été inauguré par Michel de Montaigne qui ouvre ses Essais le 12 juin 1580 en écrivant: «C’est ici un livre de bonne foi, lecteur» et, quelques lignes plus bas, il ajoute: «Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre.» Je crois que cette définition s’applique magnifiquement à Mona Chollet, qui nous livre vraiment, avec Chez soi, une odyssée de l’espace domestique, un ouvrage de bonne foi qui ravira tout lecteur!
«Chez soi, une odyssée de l’espace domestique». De Mona Chollet. La Découverte, 320 p.
Sur www.hebdo.ch retrouvez la galerie photo de l’événement sur notre site
Remerciements
«L’Hebdo» remercie les lecteurs qui ont officié avec diligence, ouverture d’esprit et passion comme membres du jury. Le jury «romans»: Isabelle Joye Boivin, Fribourg. Raphaël Chatelet, La Neuveville. Dominique Christol, Cheyres. Coralie Héritier, Genève. Lise-Hélène Hippenmeyer, Goumoëns-la-Ville. Aline Lasserre, Prilly. Ulla Lundquist, Saint-Légier. Maïlys Perrenoud, Neuchâtel. Caroline Tendon, Nyon. Alberto Tonacini, Broc. Le jury «essais»: Yacine Bouchouchi, Lausanne. Jérémy Bouvier, Carouge. Laurence Burri, Le Mont-sur-Lausanne. Charlotte Hebeisen, Fribourg. Arnaud Levasseur, Lausanne. Christian Payot, Genève. Geneviève Perrin, Mies. Jean-Bernard Racine, Lausanne. Marielle Vachey, Horgen. Arnaud Wydler, Granges.