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Luc Jacquet, il était une fois dans le Grand Sud

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Jeudi, 22 Octobre, 2015 - 05:59

Rencontre. Dix ans après «La marche de l’empereur», le Français est retourné en Antarctique pour y filmer Claude Lorius, l’un des premiers scientifiques à avoir parlé de réchauffement climatique.

Il vient à peine d’arriver de France, avec la frustration d’avoir passé quasiment devant chez lui, dans le Jura, mais sans avoir pu s’arrêter, qu’il est déjà en train d’évoquer avec passion La glace et le ciel. Depuis la présentation de ce documentaire en clôture du dernier Festival de Cannes, Luc Jacquet enchaîne les entretiens et ne cache pas une certaine fatigue au moment de prendre place à la table du restaurant genevois autour de laquelle on le retrouve à l’heure du repas. Mais très vite, comme ce sera le cas tout au long d’une passionnante discussion à bâtons rompus, il s’illumine à l’évocation des lieux qu’il aime. Il y a sept ans, à l’occasion de la sortie de Le renard et l’enfant, beau film familial dans lequel il se frottait à la fiction, il nous expliquait adorer la forêt, un territoire «plein de mystères et de rencontres potentielles». Cette année, c’est avec un long métrage tourné en Antarctique qu’il revient, dix ans après y avoir filmé La marche de l’empereur, qui lui a valu un oscar, entre autres récompenses.

Cette vaste étendue de glace que l’on surnomme le continent blanc, Luc Jacquet en a besoin. Depuis qu’il y a mis les pieds en 1992, il n’a cessé d’y retourner. «Je vais y chercher un bien-être, un retrait du monde, une forme de sérénité, explique-t-il lorsqu’on lui demande ce qu’on ressent lorsqu’on foule ce continent inhabité. Pour moi, c’est un pas de côté, une manière de revenir aux fondamentaux, à la question du «qui suis-je?». C’est comme partir en mer ou en haute montagne. Ce que je cherche aussi, c’est la dimension esthétique. L’Antarctique est d’une beauté ahurissante, je ne m’en lasse pas. Vous avez beau vous y préparer, ça ne correspond à rien de ce vous pouvez imaginer, tant dans la dimension que dans l’éloignement. Je ne connais personne qui soit parti là-bas sans avoir ensuite l’envie d’y retourner, indépendamment du fait que c’est loin, que c’est isolé et que c’est quand même parfois déprimant. Il se passe quelque chose de tenace, d’intense, mais d’assez difficile à décrire.»

Voilà pour l’introduction. On l’aura compris, entre Luc Jacquet et l’Antarctique, c’est une passion vibrante. Car c’est aussi l’endroit où il est né cinéaste. Lorsqu’il s’y rend pour la première fois, il est en train d’achever ses études de biologie animale. Répondant à une annonce du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), il s’engage pour une mission ornithologique de quatorze mois. C’est alors que le réalisateur zurichois Hans-Ulrich Schlumpf le contacte pour lui demander s’il serait d’accord de filmer des manchots empereurs. Il prépare un documentaire, Le congrès des pingouins, et a besoin d’images. Le Français accepte, et part avec une caméra 35 mm. De cette expérience fondatrice découleront plusieurs courts métrages documentaires, avant le passage au long pour La marche de l’empereur.

Voix off comme une conscience

Il y a deux ans, Luc Jacquet partait dans Il était une forêt sur les traces de Francis Hallé, un botaniste qui a passé une grande partie de sa vie à étudier la végétation tropicale. Entre le Pérou et le Gabon, il racontait l’histoire d’une forêt équatoriale, de ses premières repousses sur un sol nu, ravagé par l’homme, à sa recolonisation. A la fois didactique, philosophique et poétique, ce documentaire utilisait une voix off à la première personne. Lu par un comédien incarnant en quelque sorte la conscience de Francis Hallé, le texte avait été écrit par le réalisateur.

La glace et le ciel utilise le même procédé. Mais c’est un glaciologue que l’on découvre cette fois: Claude Lorius, qui partage avec Luc Jacquet un amour inconditionnel pour l’Antarctique, qu’il a de son côté foulé pour la première fois au milieu des années 50. Si le scientifique semble parler à la première personne, c’est bien Luc Jacquet qui a de nouveau écrit le texte, et une troisième personne qui l’a enregistré. Passé la légère surprise de découvrir à l’écran un octogénaire et de l’écouter s’exprimer avec une voix bien plus jeune, on se laisse facilement embarquer par un émouvant récit en forme de voyage initiatique, là où Il était une forêt tenait plus de l’immersion. «On a essayé de faire parler Claude, car c’est un orateur, mais ça lui demandait trop d’énergie, confie le réalisateur. J’ai ainsi été obligé de faire demi-tour, mais c’est dommage, car si on y était parvenus, on aurait décuplé l’émotion. Comme dans le cas de Francis Hallé, j’ai par contre beaucoup écouté Claude. Si l’écriture est conçue pour le cinéma, les mots sont les siens.»

Sympathie spontanée

En 1992, lorsque Luc Jacquet s’envole pour l’Antarctique, Claude Lorius, au faîte de sa gloire, y dirige une expédition. «Pour nous, c’était le boss», sourit le réalisateur, qui ne le rencontrera que des années plus tard. En 2011, le glaciologue publie Voyage dans l’anthropocène, un livre dans lequel il synthétise ses recherches sur l’impact de l’homme sur les dérèglements climatiques. Son compatriote le lit et, un soir qu’il est à Paris, décide d’aller l’écouter à la Maison de la géographie pour le rencontrer, enfin. Forcément, le courant passe tout de suite entre ces deux hommes qui savent ce que travailler dans le froid extrême veut dire.

«Ça a été une espèce de sympathie spontanée, résume le Jurassien. Car on a vécu des vies un peu parallèles à quarante ans d’écart. Comme lui, je suis parti en Antarctique à l’aventure, et, comme lui, j’ai trouvé ma vocation là-bas. Mais à ce moment-là, il était au plus mal. Je me suis dit qu’il allait peut-être mourir demain, et que son témoignage pourrait se perdre. Tout le monde a aujourd’hui le terme de «réchauffement climatique» à la bouche, mais d’où est-ce que ça vient? Au regard de l’histoire, il était indispensable de sauvegarder la parole de Claude. Sur une impulsion un peu affective, j’ai commencé par mener une série d’interviews à Lyon. Lorsqu’on est arrivés au bout, il m’a dit qu’il allait avoir 80 ans, et j’ai pensé qu’aller fêter cet anniversaire en Antarctique serait une bonne idée.»

Sur place, il a la révélation d’une «parfaite combinaison entre sa force, avec tout ce qu’il représente, et sa présence dans ces paysages». Se dessinent alors les contours d’un film qui racontera l’histoire d’un homme se penchant sur son passé, comme «une sorte de dernier voyage». Entre les nombreuses images d’archives, dont de nombreuses sont inédites, qui servent de colonne vertébrale au film, on découvre, dans des plans esthétisants, un Lorius silencieux face à l’immensité de ces glaces qu’il a tant étudiées. Une sorte de statue du commandeur.

«Je dirais plutôt contemplatif, nuance le réalisateur. Pour moi, sa position est assez métaphorique, dans le sens où il représente l’humanité dans la nature, l’homme dans ce qu’il a de plus symbolique. Claude a beaucoup de retenue, il ne s’est jamais mis en colère. Je trouvais que le montrer silencieux aurait plus d’impact que de grandes déclarations manifestes pour la planète qu’on a déjà entendues cent mille fois. Les gens en ont marre de l’écologie culpabilisatrice, il faut arrêter de leur asséner des discours désespérants et mortifères. Malgré tout ce qu’il a pu observer en étudiant l’air emprisonné dans les glaces, Claude est d’un humanisme absolu, d’un optimisme radical. On va s’en sortir, parce que l’histoire nous dit que quand l’humanité est confrontée à de grands défis, elle trouve toujours une solution.»

Devoir de transmission

A l’approche de la Cop 21, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques qui se tiendra dès le 30 novembre à Paris, Luc Jacquet se veut lui aussi optimiste. Il pense que la crise syrienne a envoyé un signal salutaire aux politiques du fait que les bouleversements climatiques devraient mettre sur les routes non pas des dizaines de milliers de migrants, mais des dizaines de millions. Au moment de l’ouverture de la Cop 21, il sera quant à lui… en Antarctique. Durant la conférence, il enverra chaque jour une photo qui sera projetée sur les tours de la Bibliothèque nationale de France, tout en réalisant un documentaire Imax sur le monde sous-marin. Cette expédition, où il sera accompagné par dix autres réalisateurs, photographes et aventuriers, pourra être suivie sur le site d’Arte. Car ce qui anime Luc Jacquet, c’est «un devoir moral de transmettre».

Avant-premières en présence de Claude Lorius: le 22 oct. à Genève (Les Scala, 19 h 45, avec également Luc Jacquet), le 25 à Neuchâtel (Apollo, 10 h 30) et à La Chaux-de-Fonds (Scala, 17 h 30), le 26 à Lausanne (Les Galeries, 18 h 30). Matériel pédagogique disponible sous education.laglaceetleciel.com

«La glace et le ciel». De Luc Jacquet. Avec Claude Lorius. France, 1 h 29. Sortie le 29 oct.

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