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Musée de l’Elysée, la proie pour l’ombre

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Jeudi, 15 Octobre, 2015 - 05:59

Pôle muséal. Mise en demeure de côtoyer le Mudac, l’institution perdra une partie de sa forte identité dans le futur double musée lausannois. L’argument de la lumière, qui le contraindra à s’enterrer, ne tient pas.

«Nous avons l’ambition de devenir la première institution de la photographie au monde», a répété à plusieurs reprises Tatyana Franck, directrice du Musée de l’Elysée, lors de la semaine de présentation de la deuxième phase du projet de Pôle muséal, à Lausanne. Si elle n’est pas modeste, l’affirmation révèle la dynamique volontaire de ce nouveau quartier des arts, une bande fertile de 2 hectares qui flanquera la gare CFF vers 2020. Lundi 5 octobre était révélé «Deux musées, un musée», le gagnant d’un concours international organisé sous l’œil averti des architectes David Chipperfield et Kengo Kuma. Le bâtiment du bureau portugais Aires Mateus, qui complétera le longiligne Musée des beaux-arts, est un parallélépipède de béton blanc. Il est zébré d’une grande ouverture vitrée qui sépare deux plateaux, le supérieur pour le Mudac, consacré au design et aux arts appliqués, l’inférieur pour l’Elysée, dédié depuis trente ans à la photo.

Critère de différenciation

L’architecture et la photographie partagent plusieurs points communs, dont la lumière, le regard, le cadrage, la pétrification d’un mouvement et d’une idée. Cette même lumière a été le critère de différenciation des deux musées, l’un en haut, l’autre en bas. «La photographie ne supporte pas la lumière naturelle», a-t-il été asséné maintes fois lors des jours de présentation de cette deuxième phase. D’où le choix de disposer le Musée de l’Elysée en sous-sol, sans lumière directe, avec l’appoint latéral ou ponctuel de puits de lumière. Les diodes, fibres ou tubes assumeront à l’évidence l’essentiel de l’éclairage de l’espace d’exposition (1500 m2), qui doublera la surface d’accrochage de l’actuelle institution.

Encore plus que la chaleur et l’humidité, la lumière du jour accélère la dégradation des photographies. Personne n’aurait songé à disposer le futur musée sous une verrière perméable aux rayonnements ultraviolet et infrarouge. Enterrer l’Elysée, c’est assurer la bonne conservation des plaques, films ou papiers.

Cette décision porte en elle plusieurs présupposés. Tout d’abord que la photographie reste une affaire de supports fragiles, rares, que l’on manie et protège comme des incunables. Or, le médium est en phase rapide de redéfinition de ses anciens acquis. «Ce choix du sous-sol me semble historiquement daté, remarque Thomas Seelig, codirecteur du Fotomuseum, à Winterthour. La photo, aujourd’hui, ce n’est plus seulement cela. Elle s’encadre, certes, mais s’imprime aussi, se colle aux murs, se décolle et se jette quand l’exposition est terminée. Elle sort de ses propres murs et gagne l’espace public et d’autres territoires, dépassant sans cesse ses anciennes limites.»

Valeur marchande

Choisir le critère déterminant de la conservation grâce à un emplacement souterrain, c’est suggérer que la photo dans un musée est vulnérable, précieuse et chère. Sa valeur, en particulier marchande, justifierait de la montrer dans une galerie emmurée, sans trop penser au confort des visiteurs. A moins que le programme d’expositions de l’Elysée 2.0 ne fasse la part belle qu’au passé, l’argument du sous-sol paraît singulièrement limitatif.

Certes, de nouveaux musées font le choix de salles d’exposition souterraines. Comme le Musée d’ethnologie de Genève, qui a choisi cette solution pour la bonne protection et la mise en valeur de ses trésors, mais aussi parce qu’il manquait de place disponible en surface. Pascal Griener, autorité en matière de muséologie à l’Université de Neuchâtel, ajoute un atout: «Par rapport à l’étage du dessus, une telle disposition permet de mieux moduler la lumière et l’espace. C’est une maîtrise précieuse du point de vue de la muséologie.»

Il n’empêche que la tendance actuelle en photographie est de créer des institutions qui font interagir les lumières naturelles et artificielles, côtoyer la black box et le white cube, et multiplient les techniques filtrantes, réfléchissantes, atténuantes, diffusantes en constante amélioration. D’autant qu’utiliser au mieux le rayonnement solaire, donc gratuit, c’est réduire la facture énergétique. Les récents Shanghai Center of Photography, The Eye, à Amsterdam (film, vidéo et photo) ou les espaces d’exposition du LAC de Lugano ont de grandes ouvertures lumineuses, sans que cela nuise à la protection des œuvres.

Sous-exposition

Le futur double musée lausannois pose également une question identitaire. En art comme ailleurs, ce qui est au-dessus vaut symboliquement plus que ce qui au-dessous, comme ce qui est dans la lumière vaut davantage que ce qui reste dans l’ombre. On comprend que la photo lausannoise pourra dialoguer avec l’esthétique industrielle, mais elle perdra une partie d’elle-même dans cette rationalisation de l’espace. L’Elysée attire le double de visiteurs que le Mudac, pour une bonne raison: jamais elle n’a été aussi dynamique, diverse, stimulante. Elle sera à coup sûr le point d’attraction principal du Pôle muséal, surtout si celui-ci compte capter les voyageurs pressés de la gare CFF. Quand on a quarante minutes à consacrer à une exposition, rien ne vaut la photographie, aisée à apprécier, peu intimidante, utilisée par tous. La subordonner dans l’espace au design, c’est rejouer la hiérarchie désuète du Prix suisse d’art, instance fédérale qui place la photo en profondeur dans la catégorie design, au mépris de ce qu’est devenu le médium.

Heureusement, il reste une demi-douzaine d’années pour reconsidérer ce qui peut l’être. Dans son commentaire au projet de «Deux musées, un musée», le jury du concours note que le futur musée aura besoin de davantage de lumière que ce qui est aujourd’hui prévu par les architectes. Considérant ce qu’est aujourd’hui le moyen d’expression, pourquoi ne pas consacrer l’entier du bâtiment à la photo, à la vidéo, au numérique, bientôt à l’immersif? Si le quartier des arts compte attirer plus de 250 000 visiteurs par année, ce serait un atout de poids. Le design pourrait alors prendre place dans le Musée des beaux-arts, aux espaces généreux, et entretenir avec lui de fructueux échanges. Profitant d’une enveloppe à sa juste mesure, le Musée de l’Elysée aura un bon moyen de nourrir son ambition: être le premier au monde.

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Maarten Noordijk
Maarten Noordijk
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