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Chaplin et Churchill, deux suicidaires liés par un pacte

Jeudi, 15 Octobre, 2015 - 05:56

Amis. L’Autrichien Michael Köhlmeier raconte en romancier la véridique amitié entre Winston Churchill et Charlie Chaplin. Il en fait une fable contre la dépression, au cœur du XXe siècle.

Julien Burri

Ils se sont connus et appréciés. Lors de fêtes privées, Churchill se délecta de voir Chaplin imiter Napoléon ou son confrère, l’acteur John Barrymore, jouant Hamlet. Il le décrivit comme «un comédien merveilleux. Bolchevique en politique, délicieux en conversation.» Il essaya de convaincre son ami de camper avec humour Napoléon à l’écran. Il promit d’écrire lui-même le scénario. Le projet ne verra pas le jour. Mais, en décembre 1940, alors que l’Angleterre lutte seule contre l’Allemagne nazie, le premier ministre prendra le temps de voir Le dictateur, le plus grand film de son ami, caricaturant Hitler.

Contre le désespoir

De 1929 à 1956, les deux hommes se virent de loin en loin. Jouant avec leurs biographies, Michael Köhlmeier fait de cette amitié plus qu’elle n’a été. Il fallait son talent pour transformer ces anecdotes en fable sur la mélancolie, et pour la placer dans la perspective de la lutte contre le nazisme, que Churchill et Chaplin ont combattu tous deux, «l’un par les armes, l’autre par l’humour».

Deux messieurs sur la plage imagine comment les deux hommes, tous deux suicidaires, se confessent sur un rivage du Pacifique, à la faveur de la nuit, sans se reconnaître, puis jurent de se prêter mutuellement secours. Chaque fois que le «chien noir» du désespoir viendra les flairer (l’expression est du poète du XVIIIe siècle Samuel Johnson), ils s’assisteront. Ainsi est conclu le «pacte contre le chien noir».

Lynché par les médias, qui l’accusent de pédophilie, doutant de son art, persécuté par son ex-femme Lita, Chaplin est au plus bas lorsqu’il rencontre Churchill. Une dépression nerveuse l’empêche de parler plusieurs jours. «Je fais partie de ces rares personnes qui, dès l’âge de 6 ans, envisageaient déjà sérieusement de mettre fin à leurs jours», confie le personnage de Chaplin. Celui de Churchill lui emboîte le pas. Lui qui était si mauvais élève pendant ses études souffrait cruellement du manque de reconnaissance de son père.

Chaplin expose sa méthode. Un moyen infaillible pour s’en sortir, qui lui vient de Buster Keaton, ce dernier l’ayant reçu de Harold Lloyd (les maîtres du comique muet, fabuleuse confrérie de clowns blancs et tristes, se serrent les coudes). Il s’agit de s’adresser une lettre à soi-même, pour se réconforter, de la rédiger nu, couché sur le ventre, en écrivant en spirale sur une grande feuille de papier. Churchill ne cache pas son admiration: «Vous êtes un véritable stratège.» De même, Chaplin lui apprendra l’axiome du comique: «L’homme n’est jamais aussi comique que lorsqu’il regarde la mort en face.» Et délivrera un autre conseil, fabuleux: apprendre à être maladroit. Ce qui nécessite la plus grande adresse…

Le lecteur de ce beau roman comprend alors comment «les sauveurs, avant de sauver le monde, se sont sauvés eux-mêmes».

«Deux messieurs sur la plage». De Michael Köhlmeier. Jacqueline Chambon, 250 p.

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