Trajectoire. Figure de la French touch, le producteur français St Germain rompt un silence de quinze ans, publiant un troisième album où dialoguent électro et musiques mandingues.
David Brun-Lambert
Fin 2001, Ludovic Navarre, alias St Germain, clôt une tournée mondiale sold out. Plusieurs millions d’albums vendus dans le monde, des Victoires de la musique amassées à la pelle, le producteur domine alors la vague French touch. Puis… plus rien, le Parisien disparaît inexplicablement des radars pendant quelque quinze années. Un coma artistique prolongé rompu aujourd’hui par un troisième album studio que si peu attendaient. Nouveauté: l’auteur du hit Rose rouge s’y déclare épris de musiques mandingues. Et alors?
Un syndrome
«Et maintenant, je fais quoi?» C’est probablement la question qui hanta Ludovic Navarre à la suite des triomphes remportés par ses albums Boulevard (1995) et Tourist (2000). Pour avoir élaboré une formule musicale gagnante où les genres musicaux patrimoniaux se rénovent à coup de patine électro, le musicien voyait soudain nombre de ses pairs l’imiter, mariant avec un bonheur parfois inégal les beats numériques aux éléments les plus communément admis du blues, du jazz, du negro-spiritual, voire du tango. De Gotan Project à Moby.
Garçon réputé solitaire, ce timide tombé dans le chaudron techno au début des années 90 a, sa carrière durant, rendu hommage aux musiques noires dont il s’est nourri adolescent. «Petit Blanc» fasciné par le blues du Delta ou le swing labellisé Blue Note, il compte surtout parmi ces audacieux qui, hier, contribuaient à imposer la grammaire électro auprès du grand public. «La techno, c’est boum, boum et à la rigueur boum», entendait-on souvent ricaner. Peu après, la vogue French touch, courant artificiel orchestré par l’industrie, triomphait. La house s’installait durablement dans les foyers. L’électro devenait un gigantesque marché.
Mais tandis que le siècle nouveau s’ouvrait, la formule lancée hier par St Germain s’essoufflait déjà. Pour en avoir trop soupé, en 2015 on la jurait même épuisée. Ludovic Navarre, 46 ans, éternelle queue de cheval austère, chemise blanche immuable et manières immanquablement discrètes, venait pourtant prétendre le contraire…
Paris-Bamako
De son propre aveu, enfermé durant des mois chez lui à Montmartre, l’ancien compagnon de label de Shazz et de Laurent Garnier a «un peu galéré» pour imaginer un futur à St Germain. Jusqu’au «déclic», soit la découverte d’une vidéo sur l’internet du musicien malien Vieux Kanté, maître du n’goni, le «luth des griots». Mais que faire de l’extraordinaire palette sonore qu’offrent les instruments typiquement africains que sont les koras, balafons ou mbiras? Comment combiner aux boucles technos les vibrations telluriques que produisent tambours dununs ou sabars? Le savait-il alors, «Ludo»? Dix ans plus tôt, Frédéric Galliano, Damon Albarn ou même Robert Plant avaient chacun variablement répondu à la question…
Ici, et sans surprise, l’auteur du tube Sure Thing s’est attelé aux mélanges qui ont fait sa patte au siècle dernier, croisant en vieux routier des métissages groove électronique et motifs maliens, riffs bluesy et a cappella d’outre-tombe. Seulement, passé le savoir-faire indéniable, cette fois tout est comme si le cœur n’y était plus. Et qu’importe que deux figures des musiques mandingues, le joueur de calebasse Zoumana Tereta et la chanteuse Nahawa Doumbia, l’aient rejoint. Navarre semble être demeuré coincé en 2001…
Production carrossée exempte de sueurs ou rechignant à l’engagement, ce trip malien vécu en suite climatisée présente le portrait d’un artiste attachant acculé à une posture qu’il avait jusqu’à présent élégamment su éviter: celle du «touriste» que, quinze ans plus tôt, le titre de son deuxième album évoquait.
http://stgermain-music.com
En concert, 14 novembre 2015, 20 h, Les Docks, Lausanne.