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Joël Dicker, la belle affaire

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Jeudi, 17 Septembre, 2015 - 06:00

Ce sont les ours qu’il préfère. Les yeux des gosses brillent lorsqu’ils entrent dans un magasin de bonbons ou de jouets. Les yeux de Joël Dicker brillent lorsqu’on l’emmène, ou qu’il nous emmène, au Muséum d’histoire naturelle de Genève. Sur ses talons, on file au 1er étage, celui de la galerie «Animaux du monde», avec, au centre, la savane des tigres, girafes et éléphants. Au fond, les ours. Bruns, blancs, immenses.

Joël Dicker a 30 ans depuis le 16 juin, il a vendu 3 millions de La vérité sur l’affaire Harry Quebert, dans 45 pays, mais il s’assied devant la vitrine des ours empaillés sur leur banquise de carton-pâte comme lorsqu’il avait 6 ou 10 ans et qu’il passait ses dimanches après-midi au musée après avoir rendu visite à sa grand-mère maternelle qui habitait 13, avenue Bertrand, à 5 minutes à pied. Longtemps, les animaux ont été sa passion. De 1995 à 2002, depuis la maison familiale de Troinex, il a rédigé, imprimé, agrafé La gazette des animaux, son propre journal. Il a passé son bac, tout juste. Tenté le Cours Florent, à Paris, mais s’est rendu compte qu’il ne suffit pas d’avoir de beaux yeux pour avoir aussi le feu sacré sur scène. Rentré à Genève, il s’inscrit en droit.

Ambassadeur Swiss version XXL

Après son diplôme, en 2010, il renonce au barreau pour écrire à mi-temps et travailler à la Constituante genevoise l’autre mi-temps. Il écrit un, deux, trois, quatre manuscrits, dont l’un, une histoire de résistants durant la Seconde Guerre mondiale, Les derniers jours de nos pères, se fait remarquer par le jury du Prix des écrivains genevois, puis par Vladimir Dimitrijevic qui décide de l’éditer, convainc son ami Bernard de Fallois de le coéditer en France, avant de mourir dans un accident de camionnette. De Fallois reste fidèle à sa promesse, publie Les derniers jours de nos pères, et tombe amoureux du livre suivant, La vérité sur l’affaire Harry Quebert, au point de le publier six mois après, dans le tourbillon de la rentrée littéraire 2012. La suite, vous la connaissez: la sélection du Goncourt, le Grand Prix de l’Académie française, le Goncourt des lycéens, et puis des lecteurs par centaines de milliers, les enchères qui s’envolent à la Foire de Francfort, les traductions dans 45 pays.

Aujourd’hui, si tu as le portable de Joël Dicker, qui a posé pour les magazines du monde entier et se retrouve désormais ambassadeur Swiss en version XXL sur les trams genevois avec l’autre beau gosse de la culture suisse, Bastian Baker, tes copines de 15 à 55 ans te regardent avec envie. Et tes copains mâles avec un mélange de jalousie et d’incompréhension. C’est qu’être un beau gosse lorsque non seulement on écrit des livres mais qu’en plus on a des lecteurs, ce qui est rare dans nos contrées, c’est à la fois un avantage et un inconvénient.

Comme tous les gens au charme véritable, Dicker ne se rend pas compte qu’il est beau. Il pose comme un pro pour les photographes, contrôle son regard, ses épaules, ses mains, mais pas le bas de son visage, ses lèvres, cette petite moue sensuelle et indécise, hésitante, boudeuse, fiérote, résumé paradoxal de ce garçon pudique et sexy, posé et communicateur émérite, farouche et chaleureux, qui a mûri de dix ans en trois ans.

Rien ne vient par hasard

Etre beau est un avantage: l’hystérie des lycéennes qui l’ont plébiscité pour le Goncourt des lycéens a contaminé les rédactions des magazines espagnols, italiens, allemands ou tchèques qui lui ont tiré le portrait plus que de raison. Etre beau est un inconvénient: comme dans une blague de blonde, on oublie que ce type est sérieux, intelligent, et que son job ne consiste pas simplement à courir les plateaux de Ruquier ou de Drucker mais à se lever à l’aube, se poser derrière sa table de travail, des heures durant, et puis écrire, effacer, recommencer. On oublie que ce fils d’intellos, prof de français pour le père, Pierre Dicker, libraire à Carouge pour la mère, Miriam, née Halpérin, a la vieille âme d’un gamin tombé dans la marmite quand il était petit et qui croit tout comme son héros Marcus Goldman que «les livres sont plus forts que la vie». 

Peut-on décider d’avoir du succès? Non. Peut-on décider d’écrire un livre grand public? Oui. Le public suit, ou pas. Pour le moment, le public suit Dicker. Assis devant un expresso à côté du parc Bertrand, le quartier où il a écrit tous ses romans (lire ci-contre), il sait que rien ne vient par hasard. «Mes parents m’ont montré ce que c’était que de vivre avec une passion dans la vie, aimer son métier, ne pas compter ses heures. Je voulais cela: me lever le matin content de ce que j’allais faire. Trouver ce pour quoi j’avais envie de travailler dur. J’ai trouvé.»

Le héros de son nouveau roman, Le livre des Baltimore, était déjà celui de La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Normal: La vérité a été rédigé comme le premier roman d’une trilogie. Mis entre parenthèses entre l’été 2012 et le début de 2013 par le tourbillon médiatique, il s’impose comme tel à son auteur. «Je ne voulais pas faire une suite pour faire plaisir aux lecteurs ou à l’éditeur, mais c’était mon envie profonde.» Le livre des Baltimore, contrairement à L’affaire, n’est pas un thriller mais une saga familiale racontant les liens entre deux branches de la famille Baltimore avec, en son cœur, un drame obscur vers lequel le roman, remontant dans le temps, tend peu à peu. Cela fait toute la différence. 

Marcus, Hillel et Woody

On y suit Marcus, son cousin Hillel, fils surdoué de Saul et Anita Goldman, et Woody, adopté par la famille de Hillel. Les trois cousins vivent leur jeunesse ensemble, amoureux tous les trois de la jolie voisine.

Son héros Marcus Goldman prend une profondeur nouvelle, grave, à la fois témoin et acteur d’une histoire de famille brodant sur les thèmes éternels que sont l’amour, la jalousie, la fraternité, la trahison, les rêves brisés. Le livre des Baltimore est plus calme, plus serein que le précédent, qui se sentait obligé de faire rebondir l’intrigue toutes les trois pages, donnant le tournis à n’importe quel lecteur normalement constitué. Débarrassé de l’obsession du rythme à tout prix, de la dictature du whodunit, Dicker peut se concentrer sur l’essentiel, soit ses personnages et leurs motivations, et leur donner âme et chair. Le sujet n’est plus «Qui a tué Nola Kellergan?» mais «Comment au sein d’une même famille, les Baltimore, peut-on à la fois s’adorer et se haïr, se jalouser et se soutenir, se trahir et se sacrifier?» Le livre des Baltimore a la force des livres simples et profonds. L’écriture est accessible, simple, parfois simpliste. Tout à son souci de la narration, Dicker oublie (pour le moment) de s’incarner dans une langue bien à lui. Mais Le livre des Baltimore est une bonne histoire, concernante, qui parle aux tripes des névroses de nos familles aimantes et destructrices, de nos rêves de gosse et des faillites de nos vies. Jouant par flash-back sur plusieurs décennies de l’histoire des Baltimore, ce nouveau roman confirme l’intérêt de Joël Dicker pour la question du temps qui passe et pour les choses restées cachées, muettes, oubliées dans les replis épais et traîtres de ce même temps.

Il a «arrêté l’autofiction» après trois livres. C’est d’ailleurs pour cela que ses premiers manuscrits ne paraîtront sans doute jamais. «Un roman, ce n’est pas raconter ma vie. Le plus exaltant dans l’écriture, c’est d’imaginer une histoire et la raconter au lecteur.» Ce qui ne l’empêche pas de s’être inspiré des liens forts que lui-même et ses cousins ont partagés. «J’ai sept cousins germains avec lesquels j’ai eu des liens fraternels intenses. C’est le bonheur de ma jeunesse. Ce que Marcus, Hillel et Woody ont vécu, je l’ai éprouvé.» Comme Marcus, qui tisse avec son oncle Saul des liens quasi filiaux, Joël aussi a eu un oncle adoré. «Un grand-oncle, en fait. Le frère de mon grand-père maternel, Jean Halpérin. Il nous recevait tous les jeudis à manger, mes cousins et moi. Plus tard, j’ai continué à aller chez lui. Il était responsable des traducteurs à l’ONU, parlait 6 ou 7 langues. Il m’a ouvert au monde, à l’humanisme, la tolérance.» L’oncle adoré est mort en septembre 2012. «Ce mois-là, j’ai eu à la fois la plus grande douleur, celle de le perdre, et la plus grande joie, avec la sélection du Goncourt et le Goncourt des lycéens. Une grande leçon de vie. Je me suis rendu compte que la relation que j’avais eue avec lui était bien plus importante que toutes les récompenses littéraires.»

Le Maine joue de nouveau, comme dans La vérité sur l’affaire Harry Quebert, un rôle essentiel. Toute une partie de la branche familiale maternelle de Joël Dicker est établie aux Etats-Unis depuis les années 30. Il a 4 ans lorsque lui, ses parents et ses frères et sœurs y passent un premier été. Coup de foudre. Ils y retournent chaque été, puis, dès qu’il est assez grand, il voyage seul sur les routes américaines. «Je me sens très proche, très familier du lieu. On me demande maintenant mes bonnes adresses dans le Maine! Je suis ravi si je peux contribuer à faire connaître cette région. C’est la distance parfaite pour l’utiliser comme décor: c’est moins proche que Genève, mais suffisamment familier.»

Le livre des Baltimore est une histoire de mémoire des familles, de vieilles jalousies qui déchirent le clan en deux, de trahisons d’enfance qui se terminent en tragédie et exigent des survivants qu’ils réapprennent à vivre. Joël a été éduqué dans la religion juive. «Cela ne peut pas ne pas compter, surtout ces temps. Les phénomènes de migrants me touchent. Ma famille vient de là, son histoire est celle de migrations forcées. La mémoire des familles et des peuples est importante. Mon livre parle de cela aussi. Ce qu’on transmet. A partir de quelles histoires les familles se construisent.» Il est «croyant», a fait sa bar-mitsvah, fréquente parfois la synagogue. «Ma mémoire familiale est liée au judaïsme. L’histoire de mes ancêtres, que ce soit du côté de ma mère ou de mon père, est liée aux persécutions envers les Juifs en Russie et partout en Europe.»

Nomade un jour

Son équipe professionnelle, aujourd’hui, c’est Bernard de Fallois, seul maître à bord de ses Editions, l’attachée de presse de la maison, Philippine Cruse. Pas d’agent. Plus d’Andonia Dimitrijevic. «Il n’y a pas de souci avec L’Age d’Homme. Cela n’avait pas de sens de continuer en coédition. Et j’ai besoin d’avoir un interlocuteur unique.» 

Il est fatigué d’être nomade, après trois ans passés sur les routes. «J’ai tout appris du métier d’écrivain. De Fallois m’a dit: «Vas-y, apprend le métier, regarde comment ils travaillent dans le monde, apprends leurs codes, leurs méthodes.» Ce tourbillon m’a obligé à affirmer mon identité d’écrivain. Avant, j’étais étudiant en droit et je travaillais comme juriste de la Constituante genevoise, rien à voir… Cela a été un choc. J’ai affronté des critiques jaloux, des attachées de presse stressées, des agents, des traducteurs, des libraires adorables… Il faut apprendre à ne pas prendre de décision hâtive, rester soi-même. Difficile! Je n’ai pas l’impression d’être devenu dur ou cynique. Juste plus expérimenté.» 

Aujourd’hui, il veut se poser, acheter un appartement à Genève – «J’hésite entre le centre-ville et la campagne… J’ai peur que la ville me manque» –, se marier, qui sait, avec son amie de longue date. Il s’est fixé jusqu’à la fin de l’année pour la promotion de ce nouveau livre. «Ensuite, je freine.» Le 26 septembre, trois jours avant la sortie officielle du Livre des Baltimore, il signera son livre à la librairie Librerit à Carouge où travaille sa mère. «Je commence toujours par là!» Un bon fils.

Dédicaces samedi 26 septembre de 12 h à 14 h à La Librerit à Carouge/Genève en avant-première et samedi 3 octobre de 14 h à 16 h à Payot Rive Gauche.

«Le livre des Baltimore». De Joël Dicker. Ed. De Fallois, 450 p. Parution le 29 septembre.


13, avenue Bertrand
«Je suis très ému en me retrouvant devant cet immeuble. Ma grand-mère a vécu là, au 3e étage, de 1952 jusqu’à son décès, l’an dernier. Après le bac, j’ai commencé le Cours Florent à Paris, mais je me suis rendu compte que je n’avais pas le feu sacré pour être comédien. Je suis rentré étudier le droit à Genève. J’avais depuis toujours cette passion pour écrire. Le droit étant très impersonnel, j’ai décidé de me lancer à fond dans ma passion pour l’écriture. Ma grand-mère m’a laissé occuper le bureau de mon grand-père pour écrire. Je venais quand je voulais, c’est-à-dire tous les jours. Avoir un endroit rien qu’à moi a tout changé. C’était très motivant. C’est là que j’ai écrit tous mes livres, dont «L’affaire» et une bonne partie du nouveau.»

 


Parc Bertrand
«Enfant, je venais souvent au parc Bertrand. C’est un parc qui vit avec les habitants du quartier, pas un parc de passage comme les Bastions ou La Grange. J’y ai aussi beaucoup fait de course à pied: j’aime courir dans la ville. Je n’aime pas courir à l’intérieur. Pour moi, le sport est une manière d’être dehors, qu’il pleuve ou qu’il fasse soleil. J’ai découvert le sport relativement tard, vers 15-16 ans. Maintenant, je ne m’en passe plus. D’autant plus que l’écriture est une activité très statique. J’aime promener mon chien, Chief, un golden retriever de 13 ans que j’adore. J’ai été absent quasi deux ans pour accompagner «La vérité sur l’affaire Harry Quebert». Du coup, je redécouvre en quelque sorte ma ville. Et mon chien!»

 


Saveurs d’Italie
«J’ai découvert il y a quelques années ce petit coin d’Italie du boulevard du Pont-d’Arve, qui fait traiteur, primeur et table d’hôte. J’y donne souvent rendez-vous. Salvatore et Marie-France, les patrons, sont adorables et accueillent les clients avec générosité et le sourire. La nourriture et les produits sont exceptionnels. On y est comme à la maison. Et tout le monde se mélange à midi autour de la grande table, banquiers, ouvriers, intellos. Mon plat préféré? Les spaghettis «polpette», aux boulettes de viande. Et leur café, à tomber!»

 


Muséum d’histoire naturelle

«J’adore les animaux et la nature. A 10 ans, j’ai fondé «La gazette des animaux», que j’ai dirigée pendant sept ans! J’avais des collections d’insectes, des phasmes notamment. Et la première nouvelle que j’ai publiée, qui a gagné un prix PIJA, s’intitule «Le tigre»… L’ours est un des animaux que j’admire le plus. Au point de m’être fait poursuivre par un ours noir dans Yellowstone! J’ai des souvenirs extraordinaires au Muséum. Ma passion pour les animaux est intacte. Rien qu’en revenant ici j’ai des frissons. Je commençais toujours ma visite du musée par un tour de la faune de la savane, puis les ours. Les animaux, c’est la vie, le monde sauvage! Cette passion ne ressort pas encore dans mes livres, mais un jour, sans doute.»

 


Profil
Joël Dicker

1985 Naissance à Genève. Père enseignant, mère libraire.
2010 Diplôme de droit de l’Université de Genève.
2010 Prix des écrivains genevois pour le manuscrit des Derniers jours de nos pères.
Janvier 2012 Parution des Derniers jours de nos pères chez L’Age d’Homme/de Fallois.
Septembre 2012 Parution de La vérité sur l’affaire Harry Quebert chez L’Age d’Homme/de Fallois. Trois millions d’exemplaires en 45 langues ont été vendus.
Octobre 2012 L’affaire reçoit le Grand Prix de l’Académie française, le Goncourt des lycéens et le Prix de la vocation Bleustein-Blanchet.
2010 Parution du Livre des Baltimore chez de Fallois.


L’album photo de Joël Dicker

Privé. L’écrivain nous a ouvert l’album photo de sa dernière tournée et de l’Amérique qu’il aime. Des images qu’il garde dans son iPhone et qu’il commente lui-même pour «L’Hebdo».

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Anna Pizzolante / REZO
STONINGTON «C’est dans cette petite ville du Maine que j’ai passé tous mes étés lorsque j’étais enfant.»
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