Il y a chez Jacques Audiard un côté dandy, une certaine arrogance. En mai dernier à Cannes, au moment de recevoir, pour Dheepan, son septième long métrage en un peu plus de vingt ans de carrière, une Palme d’or qui a surpris la plupart des critiques, il se montrait sûr de lui, comme s’il était normal que cette récompense suprême lui revienne enfin. En interview, tout en faisant preuve d’une grande érudition, il peut de même s’agacer face à une question peu pertinente. Lauréat, entre autres récompenses, de deux césars du meilleur réalisateur, deux du meilleur film, deux du meilleur scénario, deux de la meilleure adaptation et un du meilleur premier film, pour Regarde les hommes tomber, Sur mes lèvres, De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète et De rouille et d’os, il ne cherche pas à jouer les modestes.
Sur l’écran, cela se voyait il y a trois ans dans De rouille et d’os, un mélodrame agaçant à force de prendre les émotions du spectateur en otage. Après le brillant Un prophète, dans lequel il se frottait au cinéma de genre, il semblait atteindre ses limites. On attendait donc Dheepan non sans appréhension et, en effet, dès ses premiers plans, le film affiche une ambition esthétique un peu trop marquée. On découvre des corps empilés sur un bûcher. L’image est à la fois belle et effrayante, comme plus loin ces yeux d’éléphants qui vont à plusieurs reprises nous fixer. On est au Sri Lanka, au cœur de la longue et meurtrière guerre civile qui a opposé le gouvernement aux séparatistes tamouls de 1983 à 2009. Dheepan est l’un de ces soldats luttant pour la création d’un Etat indépendant. Livré à lui-même, il va, avec une veuve et une orpheline, décider de tenter sa chance ailleurs. Plus précisément en devenant concierge dans une cité française… en proie à la violence.
Il y a dans la septième réalisation d’Audiard une maîtrise narrative évidente, une certaine virtuosité, même, dans l’agencement des séquences. Et il y a aussi quelque chose d’ambigu dans la façon qu’a le cinéaste de mettre en parallèle la guerre civile sri-lankaise et les bandes de petites frappes qui mettent les banlieues à feu et à sang. Jusqu’à ce plan final assez ahurissant et à la signification opaque, entre démagogie facile et vraie dénonciation d’un laxisme politique. Dheepan est certes un film intéressant, mais il n’a pas l’étoffe d’une Palme d’or.