Rencontre. La compositrice fribourgeoise, musicienne secrète et déterminée, a imaginé un opéra dans lequel les femmes, pour une fois, sont vivantes plutôt que victimes.
Composer, c’est apprivoiser une forme de solitude, y trouver la force de la concentration et, peu à peu, de la solide confiance. Rencontrée peu avant la création du premier pan de son opéra Les trois soupirs, pour solistes, chœur et orchestre, Caroline Charrière offre d’emblée cette dimension d’intériorité et d’aplomb.
Calme et détermination. Feu sous la braise. La musicienne fribourgeoise avait le projet d’écrire un opéra depuis plusieurs années. Sa collaboration avec la poétesse et dramaturge Isabelle Daccord a déjà donné lieu à plusieurs œuvres vocales mais, cette fois, les dés lyriques sont jetés: ce sont les Euménides, divinités présentes dans l’Orestie d’Eschyle, qui se trouvent au cœur de l’action musicale.
Ou plutôt leur métamorphose, réussie ou non, en «bienveillantes», complices de l’humanité plutôt que cyniques manipulatrices de ses comportements. «L’opéra compte tellement de femmes qui meurent, se suicident, sont tuées… Et si l’on imaginait pour une fois des femmes vivantes et en bonne santé?» sourit la jeune et brune quinquagénaire…
Un art qui interroge
Caroline Charrière aime depuis toujours les mots: «De tempérament timide, j’y ai trouvé un mode d’expression qui me convenait et me permettait de donner corps à ce que je ressentais, au travers des mots des autres.» Mais certains poèmes «demandaient de la musique».
Elle a osé la leur inventer. Initialement flûtiste – elle a approfondi les possibilités de l’instrument auprès d’Aurèle Nicolet, extraordinaire explorateur des musiques d’hier et d’aujourd’hui –, elle a étudié au Conservatoire de Lausanne la théorie musicale, puis l’orchestration et le travail d’écriture avec Jean Balissat, «un compositeur qui m’a aidée à prendre conscience de ce que je voulais et pouvais dire en musique, de manière personnelle et authentique.»
Elle a également suivi une formation de direction et fondé, en 1990, le Chœur de Jade, ensemble vocal féminin avec lequel elle a constitué un large répertoire d’œuvres de divers siècles et pour lequel elle a composé de nombreuses œuvres, dont Les trois soupirs en phase de création.
«Il existe tellement de chœurs mixtes, de chœurs d’hommes: j’avais envie de travailler sur d’autres sonorités», note la musicienne, qui privilégie une musique évocatrice, subtile, attentive aux couleurs, aux nuances de timbres et à la fluidité. Dans la lignée de Debussy ou, plus ardemment contrastée, de Ligeti.
Caroline Charrière, qui compose pour voix mais aussi pour ensembles instrumentaux, affirme une musique qui ne se dit pas «féminine» mais qui, sans aucun doute, ose incarner une humanité en tension et en mouvement. Un art qui interroge et suscite l’écoute.