Touche pas à mon mythe! Zep publie le tome 14 de «Titeuf», intitulé «Bienvenue en adolescence». Qu’on se rassure: Titeuf n’est pas près de perdre sa virginité. Confessions de Philippe Chappuis, qui par ailleurs a «prêté» son personnage à des copains dessinateurs pour une expo parisienne.
«J’avoue, la couverture de ce nouvel album est un peu mensongère: Titeuf ne devient pas réellement un adolescent dans l’album, il reste encore un enfant. Ou, disons, un pré-adolescent plus que jamais fasciné autant que rebuté par l’adolescence. Surtout par les signes extérieurs de l’adolescence, d’ailleurs! Les poils, la taille, les boutons d’acné, la voix qui mue.
» Je voulais parler de la puberté, de la peur et des espoirs qu’elle suscite chez les garçons. Titeuf veut être ado car les filles lui demandent de grandir. Et comme les garçons font beaucoup de choses, des choses bien autant que des bêtises, pour les filles il veut absolument trouver le moyen de grandir plus vite! Evidemment, il ne comprend pas que les filles lui demandent surtout de grandir dans sa tête, non pas de faire sa première poussée d’acné…
» Je ne prévois pas mes albums de Titeuf à l’avance. Je ne sais jamais, une fois que j’en ai terminé un, quand et même si je vais en refaire un autre. Du coup, je ne sais pas si je vais laisser Titeuf longtemps dans ce sas entre l’enfance et l’adolescence, ou le faire basculer de l’autre côté. Il ne peut que pousser vers la croissance, fatalement: Titeuf n’est déjà plus le jeune enfant des premiers albums.
Et je détesterais avoir l’impression de me répéter – par exemple, les dix premières années de la fameuse série de Schulz Peanuts sont parfaites, mais ensuite on s’ennuie, les gags sont devenus mécaniques, répétitifs.
» Mais d’un autre côté, s’il devient vraiment adolescent, ce n’est plus Titeuf. Le postulat de départ du personnage, c’est l’esprit d’enfance. C’est un monde qui m’intéresse plus que celui de l’adolescence.
L’enfant a un monde qui existe par lui-même, riche, autarcique, original, non pas seulement tourné vers l’imitation comme l’adolescence. Je n’ai pas envie de me plonger dans le monde des réseaux sociaux.
Et puis c’est un sas plus court que celui de l’enfance. L’adolescence est monomaniaque, elle est obsédée par l’acquisition d’un nouveau corps et place la sexualité au-dessus de tout. Le passage entre l’adolescence et l’âge adulte, ensuite, semble doux... Parfois il ne finit même jamais! Alors que le passage de l’enfance à l’adolescence est très brutal.
C’est une transformation totale, parfois en l’espace de quelques semaines seulement. C’est terrifiant, et donc passionnant pour un artiste! Et puis j’ai déjà donné dans l’adolescence avec mon album Les filles électriques: acné, masturbation, filles, tout y est!
La jouissance du bouton d’acné
» J’ai beaucoup aimé dessiner Titeuf en adolescent dans cet album, même si c’est dans sa propre imagination. Titeuf est un personnage très maniable, je l’ai déjà dessiné sous beaucoup d’autres formes, superhéros, femme, dinosaure. Et en tant qu’artiste, c’est absolument jubilatoire de dessiner le bouton d’acné qu’il explose à la fin de l’album ou la bave qu’il imagine lors du baiser avec la langue!
» Personnellement, je ne me réjouissais pas du tout d’avoir une tête d’ado. Mes parents parlaient de l’adolescence comme de l’âge bête, du coup ça ne me faisait pas envie. Et puis ils ont cessé de me dire que j’étais mignon pour me reprocher mes cheveux longs et la rareté de mes douches...
J’avais peur d’être le dernier de ma classe à grandir. Par chance, j’étais dans ceux du milieu. En revanche, côté mue de la voix, ça a été spectulaire: sous les moqueries de mes camarades, ma voix a sauté trois octaves en quelques semaines. J’ai eu peu d’acné mais longtemps, quasi jusqu’à mes 20 ans. Je me sentais toujours fatigué, endormi, comme dans le brouillard. Je sais aujourd’hui que c’est normal!
» Ça rend tolérant envers ses propres ados. Mon fils aîné a déjà passé le cap et mon fils Charles, 12 ans, y entre bientôt. Pour les parents, c’est aussi difficile: tu passes du statut de sage à celui de dinosaure ou de flic, et tout ce que tu dis devient instantanément ringard. Bref, tu perds sacrément de ta superbe.
» Mais j’ai adoré vivre mon adolescence. Tout s’accélère. En l’espace de deux ans, il se passe plus de choses que dans les douze ans qui ont précédé. Même si, avec le recul, je dirai que ce n’est pas vrai: dans l’enfance, il se passe beaucoup de choses qui passent inaperçues, a priori insignifiantes, mais qui sont fondamentales.
» Surtout, c’est à l’adolescence que je suis vraiment devenu un dessinateur. J’avais un carnet de commandes, on me demandait des trucs transgressifs, la maîtresse à poil, des dessins érotiques. Du coup, c’est là que j’ai commencé à faire mon journal. Il s’appelait Zep…
Et Manara créa Titeuf
La Galerie Glénat, à Paris, propose, du 2 au 22 septembre, «Titeuf par la bande», une exposition qui rassemble une quarantaine de portraits de Titeuf ado dessinés par les amis de Zep, de Manara à Tirabosco en passant par Planchon ou Uderzo.
Outre ce quatorzième tome des aventures de Titeuf, plusieurs actualités pour Philippe «Zep» Chappuis. Delcourt publie, en octobre, What a Wonderful World!, compilation des dessins du blog que Zep tient sur le site du Monde (zepworld.blog.lemonde.fr). Courant novembre paraît Esmera, un album érotique dont Zep signe le scénario et Vince le dessin, et est annoncé pour le printemps Un bruit étrange et beau, album «réaliste» aux Editions Rue de Sèvres.
Dans l’immédiat, réunion de copains à la galerie parisienne des Editions Glénat (www.galerie-glenat.com): plus de 40 auteurs et dessinateurs, dont Manara (1), Tanino Liberatore (2), Benjamin Lacombe (3), Mezzo (4), Dimitri Planchon (5) et Mix & Remix (6), ont croqué Titeuf adolescent et proposent leurs dessins originaux pour une exposition vernie le 2 septembre. Une «belle émotion», pour Zep, de voir son personnage dessiné par des artistes «vénérés» comme Uderzo ou Gottlieb.