Pour beaucoup de fans de séries télévisées, les Danois rivalisent avec les meilleures réalisations américaines. Dans une veine politique, Borgen soutient clairement la comparaison avec House of Cards et le machiavélique Kevin Spacey. The Killing a fait l’objet d’un remake aux Etats-Unis. Et qui a suivi la première saison de The Bridge, dont l’action tourne autour du pont reliant Copenhague à la Suède, aura apprécié l’intensité de ce thriller, mais aussi les immenses qualités des acteurs. Notamment celles de la protagoniste principale, une inspectrice borderline et outrageusement libérée. Ces petits chefs-d’œuvre, et d’autres, se sont imposés mondialement comme si la langue exotique dans laquelle ils sont tournés et l’exiguïté du marché national ne posaient pas le moindre problème.
Pourquoi la Suisse ne produit-elle pas de tels succès? Peut-être les séries télévisées souffrent-elles encore d’un déficit d’image auprès des cinéastes et des organes publics. On peine aussi à trouver les scénaristes capables d’intéresser un public local, mais aussi une audience internationale – ce corps de métier semble pratiquement inexistant sous nos latitudes. S’ajoute à cela un manque d’ambition de la SSR, qui joue pourtant un rôle essentiel. Pour son directeur, Roger de Weck, qui s’exprimait à la Radio romande le 24 juin dernier, les séries télévisées sont a priori coûteuses et non rentables. Ce qui expliquerait selon lui que les privés, notamment en Suisse allemande, aient renoncé à se lancer. Et que la chaîne publique alémanique SRF, faute de moyens, n’en ait produit qu’une en dix ans.
Quel défaitisme, quand on sait la popularité et donc le potentiel économique des bonnes séries. Et quel décalage avec les productions romandes récentes et ce qu’elles révèlent. On est certes loin encore de la qualité danoise, mais des réalisations comme A livre ouvert ou L’heure du secret, parmi d’autres, témoignent d’un vrai réveil. On semble en tout cas avoir compris à la RTS et dans les milieux cinématographiques romands que la créativité se joue désormais autant dans les séries que dans la production de films. Y aurait-il en la matière une forme de Röstigraben? Et comment procéder pour faire aussi bien que les Danois? (lire l’enquête de Stéphane Gobbo en page 52.)
Pas d’ambition sans coproduction internationale, c’est la règle numéro un. Et pas de succès durable sans une formation solide des aspirants scénaristes. Dans les écoles d’art helvétiques, à l’ECAL, à la HEAD, on valorise avant tout un cinéma personnel. Il s’agit d’abord de se raconter plutôt que de savoir raconter une histoire. Une prime au nombrilisme plutôt qu’à la capacité à toucher un large public. Il faudrait aussi que Swiss Films, l’organisation chargée de promouvoir le cinéma helvétique à l’étranger, non seulement fasse mieux son boulot qu’aujourd’hui, mais s’attache aussi à pousser des séries made in Switzerland.
Un prochain test? Le tournage d’une coproduction ambitieuse avec la Suède et le Danemark, et qui devrait se dérouler en partie au cœur de la Genève internationale. Le plus grand secret entoure encore ce projet, il est donc trop tôt pour dire si l’on peut espérer un chef-d’œuvre. Intenable suspense pour les accros du petit écran. Et pour les défenseurs d’une culture suisse assez bonne pour l’exportation.