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L’Europe à son image

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Jeudi, 6 Août, 2015 - 05:59

Art moderne et contemporain. Malgré l’actuel scepticisme ambiant, le Kunsthaus de Zurich ose une passionnante exposition sur l’Europe dans l’art, du XIXe siècle à l’époque actuelle. Un propos engagé pour rappeler que l’Union est d’abord un projet de paix.

Un musée public, en général, reste neutre. Il pèse le pour et le contre, se montre prudent, évite la polémique, n’oubliant jamais qu’il dépend de l’argent de la collectivité et de politiciens de tout bord. Comme le même argent se fait plus rare, le musée public est tenté par l’exposition consensuelle, la plus à même d’enregistrer un maximum de visites. En termes techniques, cela revient à une «optimisation de l’économie de l’attention».

Le Kunsthaus de Zurich échappe à cet affadissement en présentant une exposition militante sur l’Europe, ce projet de paix né après la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste. Son propos est politique, engagé, bien sûr risqué dans le climat actuel de défiance envers l’Union. En cherchant les images qui symbolisent l’histoire de l’idée européenne, l’exposition montre que la politique n’est pas la culture. La première glisse facilement vers le nationalisme, alors que la seconde joue avec aisance à saute-frontière. Montrer une telle histoire à Zurich, c’est rappeler que la ville est au centre de l’Union, qu’elle a accueilli nombre d’artistes et d’intellectuels durant les deux guerres mondiales et que la collection de son musée phare a toujours promu la culture européenne.

La République du futur

Les commissaires de cette courageuse exposition sont Catherine Hug, curatrice au Kunsthaus, et l’écrivain viennois Robert Menasse, pour qui l’Europe est la république du futur, le premier continent «postnational» en formation, même si l’actualité tend à démontrer le contraire. Pour lui, la Suisse est un exemple réussi d’union démocratique de politiques, de cultures, de langues et de religions différentes. Avec sa position de «balcon donnant sur la scène européenne», dit Robert Menasse, la Suisse a la bonne distance pour regarder ce qui s’y passe. Et ses artistes n’ont jamais été les derniers à tenter de donner une forme à cette Europe des nations, née d’une catastrophe pour que celle-ci n’arrive jamais plus.

«Europe, l’avenir de l’histoire» affirme sans peur le titre de l’exposition, reflétant le credo de l’écrivain viennois. Mais aussi l’esprit de cette présentation, conçue comme une expérience qui parlerait autant d’utopies que de réalités, avec toutes les contradictions que cette dialectique implique.

Car le monde de demain a aussi été celui d’hier, à l’époque où «le nationalisme empoisonnait la fleur de la culture européenne». L’expression est d’un autre écrivain viennois, Stefan Zweig. Elle date de 1941, peu avant le suicide de Zweig. Un portrait de l’auteur du Monde d’hier – Souvenirs d’un Européen figure dans l’exposition. Il a été dessiné par l’artiste zurichois Uriel Orlow, au côté des agitateurs d’idées qui squattaient le Café Odéon de Zurich pendant la Première Guerre mondiale, les Zweig et Joyce, les Lénine et Trotsky, les Einstein et Tzara.

La Suisse pivot mais également chance d’un art européen. Le constat est illustré au Kunsthaus par de nombreuses œuvres, à l’image d’une vision d’Otto Dix en 1940, alors que le peintre «dégénéré» était reclus sur la rive allemande du lac de Constance. Dix décrit le lac en hiver, pris par les glaces, mais dont la rive opposée (la Suisse) est éclairée par un miraculeux soleil et surmontée d’un arc-en-ciel. Arnold Böcklin conçoit une figure de la Liberté pour les 600 ans de la Confédération en 1891, avant de transformer la figure féminine en symbole d’espoir pour le continent. L’enlèvement d’Europe (1908), grande toile de Félix Vallotton, montre la fascination du peintre vaudois pour la mythologie, mais aussi son engagement à venir, pendant la Première Guerre mondiale, pour l’idée de la liberté européenne.

Palettes et tapis rouge

Les artistes contemporains suisses ne sont pas en reste. A l’image de Marc Bauer, qui évoque la tentation des régionalismes européens dans une saisissante description de la Bretagne. Ou la proposition de langage géométrique international de Richard Paul Lohse. Ou la standardisation de la mobilité européenne symbolisée par les palettes en bois (uniformisée dans les années 1960) de Fischli & Weiss. Ou encore l’interprétation dessinée des unes historiques de la Neue Zürcher Zeitung, comme celle du 9 mai 1945, de Claudia et Julia Müller. Ou enfin l’ironique tapis rouge cérémoniel, déroulé en pagaille par Fabrice Gygi.

Mais la centaine d’œuvres présentées dans l’exposition est bien européenne, grâce à des artistes de Londres ou de Kiev, d’Oslo ou de la Méditerranée, évoquant l’inquiétude de la guerre, l’amour de la liberté, la mémoire d’un passé violent, les migrations, voire la naissance méconnue du drapeau européen, dont le choix du bleu a fait l’objet de longues tractations. C’est Max Ernst ou Meret Oppenheim décrivant un continent assombri par de noires nuées. Herbert Brandl peignant une sauvage rivière de Styrie menacée par un projet régional de barrage, mais protégée par l’Union européenne. Agnès Geoffray redonnant une dignité aux gueules cassés de la Grande Guerre ou aux tondues de la Libération en France. Kader Attia (dont l’œuvre est actuellement exposée au Musée des beaux-arts de Lausanne) montrant, dans son installation Demo(n)cratie, que le moins mauvais des systèmes politiques est toujours guetté par le pire. Joseph Beuys suggérant la même vulnérabilité avec une belle rose rouge plantée dans une éprouvette graduée, symbole d’une démocratie qui doit, pour survivre, être quantifiée, analysée et appréciée avec lucidité.

Exactement la même qualité dont fait preuve cette passionnante exposition sur l’éthique et l’esthétique européennes.

Kunsthaus, Zurich. Jusqu’au 6 septembre. www.kunsthaus.ch

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Agnès Geoffray
Arnold Böcklin
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