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Irina aime Eva, Eva aime Simon

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Jeudi, 6 Août, 2015 - 05:58

Psychodrame. Irina Ionesco veut interdire «Eva», roman de Simon Liberati à paraître le 19 août. Consacré à la femme de l’auteur, par ailleurs fille d’Irina, il remue une relation ambiguë.

C’est une histoire d’amour qui se dresse contre une autre histoire d’amour. Comme au bon vieux temps des duels machos, les protagonistes jouent à savoir qui a la plus grosse. Qui aime le mieux, le plus, le plus fort. Qui aime le mieux, le plus, le plus fort Eva Ionesco.

D’un côté, Irina Ionesco, 79 ans, photographe franco-roumaine qui a aimé tellement fort sa fille Eva que pendant presque dix ans, entre les 4 et les 12 ans de la fillette née en 1965, elle l’a photographiée dans les poses les plus suggestives. Elle l’a déguisée en princesse, lui a mis une couronne sur la tête, des colliers autour du cou et lui a demandé d’écarter les jambes. Au quotidien, Irina n’élève pas sa fille, la confie à sa mère et à sa grand-mère. Le seul rapport, c’étaient ces photos. Elle la «prête» à d’autres photographes érotiques. Citant Nabokov et Lewis Carroll pour justifier ses images de nymphettes, elle produit par milliers des photos qui, à l’époque, rencontrèrent un vif succès parfumé de scandale, recherchées par les collectionneurs, en couverture de magazines du monde entier. De quoi détruire les repères d’une gamine qui, à 10 ans, déscolarisée et livrée à elle-même, devient, aux côtés de son ami Christian Louboutin, l’une des égéries de la mythique boîte de nuit le Palace. On raconte à Eva que son père est «un espion hongrois derrière le rideau de fer» et qu’elle n’a pas intérêt à le chercher.

A 12 ans, mascotte parisienne, Eva apparaît en une du magazine branché Façade avec Salvador Dalí. Femme-enfant, elle intéresse les cinéastes, joue dans Le locataire de Polanski un rôle vénéneux. A 11 ans, elle joue dans le film italien Maladolescenza, qui montre des enfants se livrer à des jeux sexuels et déplace les foules de 1977. Louis Malle la veut pour jouer Pretty Baby dans La petite – elle refuse, ce sera finalement Brooke Shields, l’autre lolita abusée.

A 12 ans, elle vit seule avec son fiancé de 15 ans. La Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) s’alarme, retire à sa mère ses droits parentaux et place Eva dans un centre fermé. Elle fugue, se met à suivre des cours de théâtre. Ceux d’Antoine Vitez puis de Pierre Romans et Patrice Chéreau à l’Ecole des Amandiers. A l’époque, Irina est une star de la scène artistique. Lorsque Eva remet en question son travail, on lui reproche de critiquer une grande artiste. 

Adulte, elle intente quatre procès pour interdire à sa mère d’utiliser son image. En 2012, elle reçoit 10 000 euros de dommages et intérêts, sur les 200 000 qu’elle demandait pour atteinte au droit à l’image et à la vie privée. Sa mère n’a plus le droit d’exploiter les clichés. Eva passe dix ans à écrire puis réaliser un film autobiographique, My Little Princess, avec Isabelle Huppert dans le rôle de sa mère, qui raconte cette relation d’amour-haine. Lorsqu’il sort en salle en 2011, sa mère lui dit qu’elle est un «monstre». Depuis longtemps, Eva ne parle plus à sa mère. 

Et SImon arriva

De l’autre côté, Simon Liberati. Ecrivain parisien, mauvais garçon attachant, amateur d’autodestructions de toutes sortes, dandy journaliste, fils d’un poète turc surréaliste et d’une mère danseuse de revue, auteur de cinq romans fascinés par les jeunes filles perdues, les années 70, la prostitution, le morbide érotique et le trash, dont Anthologie des apparitions, L’hyper Justine et Jayne Mansfield 1967.

Il croise Eva dans son adolescence, dans les lieux qu’elle fréquente, et lui aussi l’oublie, la confond avec d’autres. La revoit beaucoup plus tard, au moment de la sortie de son My Little Princess. Le 27 avril 2013, ils font l’amour et ne se quittent plus. Il est ivrogne, drogué, misogyne, égoïste, solitaire; elle est égoïste, paranoïaque, excentrique, violente, pudique. Ils s’aiment absolument. Le 31 mai, il la demande en mariage. 

Dès les premières heures de leur relation, ils commencent cette «fabuleuse occupation» des nouveaux amants: se narrer «les récits tirés de leurs vies passées». A la fin du premier mois de leur liaison, il envisage d’écrire un livre qui s’appellerait Eva. Une «vie» au sens «où l’entend l’Antiquité». Il veut tout savoir, tout dire, pour «réparer», guérir Eva du mal que son enfance volée lui a fait. Trois mois après leur rencontre, le contrat d’Eva est signé avec Stock. Dans ces 300 pages brûlantes et belles, il raconte pêle-mêle l’enfance, l’adolescence, la vie d’adulte d’Eva. Plonge dans sa propre archéologie. Remue des souvenirs anciens. Réveille les nuits parisiennes des années 70 et 80. Les photos pour la mère, les fêtes sans fin, l’abandon, la Ddass, les rédemptions. Ensemble ils travaillent, créent, écrivent et tournent un film. Elle sauve Simon de lui-même. Eva est l’éloge d’Eva, une déclaration d’amour formidable, l’histoire d’une fille paumée qui sauve un homme en lui permettant de l’aimer. On lit dans Eva la plus belle phrase d’amour de la rentrée: «J’ai su très vite qu’Eva allait me rendre heureux, c’est-à-dire m’affoler, bouleverser ma vie si complètement qu’il faudrait tout refaire autrement et dans le désarroi, seul symptôme incontestable de la vérité.»

Le procès

Mais voilà. Irina Ionesco n’a pas supporté de lire ces phrases. Elle veut casser cette mécanique de couple qui s’est formé sans elle. Elle veut nuire. Irina assigne en référé Simon Liberati ainsi que son éditeur Stock, qui ont déjà tiré quelque 15 000 exemplaires du livre prévu pour parution le 19 août. Via son avocat Emmanuel Pierrat, elle a demandé l’interdiction du livre, des dommages et intérêts et la suppression des passages liés à sa vie privée. Son avocat évoque notamment la mention de la filiation incestueuse d’Irina, née de l’union de sa mère avec le père adoptif de celle-ci, ainsi que le fait que la mère d’Irina «s’était fait stériliser à 18 ans pour ne plus avoir d’autre enfant que celui de l’inceste». Anne Veil, avocate des éditions Stock et de Simon Liberati, répond à juste titre dans Livres Hebdo qu’il n’y a «rien», dans l’ouvrage de Simon Liberati, «que la demanderesse n’ait elle-même complaisamment livré au public», Irina Ionesco ayant «elle-même dévoilé les éléments en question par le passé, en plusieurs occasions et notamment dans un texte autobiographique, L’œil de la poupée.»
L’audience s’est tenue à Paris lundi 3 août en fin de matinée en présence de Simon Liberati. Décision de justice ce vendredi 7 août à 16 h.

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