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Les images qui parlent aux paysages

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Jeudi, 30 Juillet, 2015 - 05:59

Photographie. Dans le Pays-d’Enhaut et dans le val de Bagnes, des expositions à ciel ouvert atteignent leur but: dialoguer avec leur environnement. Pour de vrai, enfin.

La plupart du temps, elles sont juste là, plantées dans un parc, un jardin, un village, avec une ambition qui dépasse à peine celle d’un bac de géraniums. Pauvres œuvres d’art qui subissent l’engouement pour les expositions en plein air, instrumentalisées par des offices du tourisme bien intentionnés qui ont trouvé là un moyen de valoriser leur offre de promenades estivales. La culture dans la nature est peu dans la nature de la culture.

Sauf exceptions. Comme cette année au festival de photographie Alt. + 1000, à Rossinière, dont le thème est le territoire comme lieu de l’œuvre. La plupart des travaux présentés sont montrés dans d’anciennes granges ou des chalets, voire une gare et un stand de tir. Certains ont créé en résonance avec l’environnement. A l’image des tracés relevés par Yvan Alvarez en fonction des intensités sonores dans le village du Pays-d’Enhaut. Ou du double dessin à la craie de l’artiste français Georges Rousse dans un angle d’une antique bâtisse en bois. Rousse s’est inspiré de la voûte arquée qui soutient le toit et du puissant paysage à l’extérieur, qu’il a pour la première fois découvert en hiver, sous la neige. Un rond noir et un rond blanc se chevauchent en parfaite harmonie, selon un point de vue unique. Lequel est aussi celui de la photographie, utilisée par l’artiste pour mémoriser ses actions éphémères (un grand tirage de l’installation à la craie est présenté à l’étage inférieur de la grange).

Intelligence des lieux

La directrice artistique d’Alt. + 1000, Béatrice Andrieux, a eu l’idée de demander au photographe français Klavdij Sluban d’exposer ses images en plein air, au bord d’un petit chemin de Rossinière. Elles montrent le voyage vers Hauteville House, ainsi que l’intérieur de cette maison de Guernesey où Victor Hugo a passé son long purgatoire. Pesantes et hantées, les photos en noir et blanc contrastent avec le vert profond des forêts et pâturages aux alentours. Comme l’était Victor Hugo sur l’île anglo-normande, elles sont en exil, arrachées d’un lieu pour être cantonnées dans un autre. Mais les images parlent également avec le puissant paysage qui a accueilli Victor Hugo en septembre 1883, alors que l’écrivain séjournait au Grand Chalet de Rossinière. Qu’est-ce que la photo, sinon de la mémoire en deux dimensions?

L’époque d’Hugo était encore celle du Grand Tour, qui donnera plus tard le mot tourisme. Dès le XVIIe siècle, des jeunes gens fortunés d’Angleterre et d’ailleurs sont partis sur les routes européennes pour parfaire leurs humanités (et aussi leur sexualité). L’Italie, ce musée à ciel ouvert, était leur destination favorite et la Suisse un passage obligé. Dans le val de Bagnes, cet été, l’artiste polonaise Kasia Klimpel rejoue la tradition du Grand Tour en y introduisant de nouvelles règles.

Kasia Klimpel a commencé – comme tout le monde – par quelques recherches sur Google. Elle a voulu voir les images qui correspondaient aux mots horizon, montagne et coucher de soleil. Dans l’instant, le moteur de recherche a craché en rafale ce que lui comprenait par là, c’est-à-dire des clichés dans tous les sens du terme. Kasia Klimpel s’est inspiré de ces stéréotypes visuels pour réaliser des collages sur papier, vivement colorés et éclairés à la lumière naturelle. L’artiste polonaise installée à Amsterdam a ensuite photographié ses horizons, montagnes et crépuscules de papier. Elle a comparé les images ainsi obtenues avec les photos de Google Maps, cherchant sur la carte du monde des similitudes de teintes et de formes. Kasia Klimpel a ensuite glissé de force ses photos dans le logiciel de Google, lequel a parfois rejeté les demandes, parfois les a acceptées. Allez demander à un algorithme américain, porté sur le kitsch et le spectaculaire, de distinguer le faux du vrai, le paysage de sa représentation, le tangible de l’intangible. Le bougre s’est fait avoir, à l’occasion.

Dans le Musée de Bagnes, les grandes photos de maquettes de papier sont exposées telles quelles, faisant rougeoyer les parois en bois de l’ancienne cure ou donnant le change aux hautes montagnes du val. Des extraits de Google Maps ponctués par les paysages factices de Kasia Klimpel sont également montrés.

Il vaut la peine de se rendre 20 kilomètres plus haut, sur le couronnement du barrage de Mauvoisin, pour découvrir les mêmes images en plein air, à 2000 mètres d’altitude. En encore plus grand format, postées sur l’ouvrage en béton dans le panorama grandiose, les photos nous rappellent qu’un paysage est d’abord une construction humaine. Comme le sont l’œuvre d’un artiste et l’écriture d’un algorithme. Le paysage est une fabrication: il n’est pas la nature. S’il nous plaît, c’est qu’on l’identifie grâce aux représentations antérieures qui peuplent notre mémoire et aujourd’hui, ce qui revient au même, l’internet. Cet horizon, cette montagne, ce coucher de soleil… déjà vus! Encore fallait-il suggérer cette vertigineuse évidence dans un décor qui ne l’est pas moins.

Alt. + 1000, Rossinière, jusqu’au 21 septembre. www.plus1000.ch
Kasia Klimpel, Bagnes et Mauvoisin, jusqu’au 6 septembre. www.museedebagnes.ch

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Luc Debraine
Luc Debraine
Kasia Klimpel
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