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Cinéma: Hollywood dans la zone industrielle genevoise

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Jeudi, 23 Juillet, 2015 - 05:59

Alexandre Babin

Insolite. Le studio dbFx s’est imposé dans un secteur atypique, en particulier en Suisse: les effets spéciaux mécaniques utilisés dans des publicités, des clips et des films.

Alien Sur mandat du musée lyonnais Miniature et Cinéma, Julien Dumont, cofondateur du studio dbFx Workshop, a restauré la peau de la reine des aliens. Une cure de jouvence qui a duré trois semaines et pour laquelle il a fallu injecter centimètre par centimètre une sorte de «botox pour alien».

Entre un fabricant de stores et un restaurant lounge, dans le quartier genevois des Acacias, une porte discrète mène à l’atelier d’effets spéciaux dbFx Workshop. L’étage est orné d’une étrange collection de répliques d’accessoires cinématographiques fabriqués pour différentes expositions: un casque de la saga Star Wars côtoie la tête d’un Predator, machine à tuer des films du même nom, et celle d’une Na’vi, les humanoïdes bleus du blockbuster Avatar. Un assortiment éclectique qui révèle l’univers insolite de Julien Dumont et Kennocha Baud, deux experts en effets spéciaux mécaniques.

«Nous sommes très polyvalents: maquillage, sculpture, animation, stop motion, explique Julien Dumont. Nous avons même conçu une prothèse d’oreille.» Leur studio genevois fait figure d’exception à l’heure où la majorité des effets spéciaux sont réalisés à partir d’images de synthèse (CGI, ou Computer-generated imagery). «Le recours aux CGI s’est généralisé ces vingt dernières années. Avec des délais de tournage de plus en plus courts, les réalisateurs préfèrent implémenter des effets spéciaux numériques en postproduction, poursuit Julien Dumont. Pourtant, le dernier Mad Max ou Mission: Impossible ont été très bien accueillis par la critique, car ils utilisaient notamment des effets spéciaux mécaniques.» Leur présence constitue même un argument marketing pour attirer les cinéphiles. Pour Kennocha Baud, les deux techniques ne sont pas opposées mais complémentaires. Elle cite comme exemple la scène culte du film de science-fiction Matrix, où le héros esquive une balle dans un plan ralenti spectaculaire.

Queue de sirène

L’histoire de dbFx Workshop pourrait d’ailleurs être adaptée au cinéma. On y retrouve tous les ingrédients d’un bon blockbuster: une romance, une plongée courageuse dans l’inconnu, de la passion et de la réussite. Tout commence en 2007. Après une dizaine d’années dans la vente et une reconversion dans la santé, Kennocha Baud décide cette année-là de se consacrer au maquillage professionnel. «C’était un rêve de gamine. Pourtant, de nombreuses personnes m’ont déconseillé de me lancer dans le métier.»

Pendant une année, la Genevoise suit des cours de grimage à l’Atelier du Griffon à Lyon. C’est là qu’elle rencontre Julien Dumont, ancien étudiant en médecine qui s’est tourné vers le dessin. Ils commencent à travailler ensemble dans le domaine des effets spéciaux fin 2008, puis fondent dbFx Workshop en 2010, à Genève. Une implantation justifiée à la fois par les origines genevoises de Kennocha Baud et par un marché français saturé et centré sur Paris. «C’était un saut dans l’inconnu. Nous n’avions pas un sou en poche, nous nous lancions en Suisse, dans un pays sans véritable industrie cinématographique, en pleine crise financière et dans une ville de banquiers!»

Par chance, le couple d’entrepreneurs décroche très rapidement deux projets importants: la conception de décors de Halloween pour le parc d’attractions Walibi Rhône-Alpes et la création d’une exposition sur la science-fiction pour la foire de Lyon. Après ces débuts en fanfare, ils multiplient les missions: «La demande d’effets spéciaux de l’industrie cinématographique suisse n’est pas assez importante, constate Julien Dumont. Nous avons alors dû nous diversifier.» Ils ont désormais suffisamment de marge de manœuvre pour choisir leurs mandats.

La liste des projets effectués par dbFx Workshop ces dernières années ressemble à un inventaire à la Prévert: réalisation du clip Marisa pour le compositeur genevois Anthony Cédric Vuagniaux, création d’une queue de sirène pour une publicité télévisée, maquillage pour des films d’horreur, courts métrages d’animation en pâte à modeler ou encore restauration d’accessoires de cinéma.

Unique en Suisse

La réalisation d’effets spéciaux est souvent dépréciée, considérée comme un hobby, regrette le couple. «Pourtant, c’est une vraie démarche artistique. Les trucages requièrent de nombreuses compétences allant du dessin à la sculpture en passant par la prise de vues.»

La rémunération des mandats est variable. Elle dépend du nombre d’heures de travail, mais aussi du prix des matières premières, comme la silicone, qui peut représenter jusqu’à la moitié de la facture finale. La réalisation de chaque projet est chronophage. «Depuis 2008, nous sommes partis une seule fois en vacances, pendant deux semaines, raconte Kennocha Baud. Les premiers jours, nous étions désœuvrés, il nous a fallu un peu de temps pour déconnecter.» La première phase de réalisation d’un projet, la conceptualisation, est très prenante: «Nous trouvons notre inspiration dans les œuvres de la Renaissance ou de l’Antiquité. Parfois, nous cherchons juste une ambiance particulière, ou une technique de sculpture.»

Bien que dbFx Workshop soit la seule société suisse spécialisée dans les effets spéciaux mécaniques, il existe une petite industrie du trucage. «On dénombre environ 200 personnes actives dans le secteur, précise Vincent Frei, fondateur du site spécialisé Swiss Made VFX. Une moitié travaille en free-lance, l’autre est répartie dans une dizaine de sociétés.» La plupart de ces studios sont situés à Zurich. Elefant Studios a, par exemple, réalisé de nombreuses publicités pour le marché alémanique et collaboré à plusieurs longs métrages.

L’arc lémanique compte également quelques sociétés, dont Le Truc à Genève, spécialisé dans la publicité pour des marques de luxe. Vincent Frei relève néanmoins que les graphistes suisses du secteur sont très demandés et qu’ils quittent souvent le pays pour exercer leur métier aux Etats-Unis, dans les compagnies les plus réputées, comme Industrial Light & Magic.
 


Trois projets

Du botox pour alien
«Nous sommes la seule société européenne à restaurer des accessoires utilisés par l’industrie cinématographique.» Sur mandat du musée lyonnais Miniature et Cinéma, dbFx Workshop a restauré et repeint la peau de la reine des Xénomorphes, du deuxième film de la saga Alien. La cure de jouvence a occupé l’atelier pendant trois semaines, le temps de changer l’épiderme décati du monstre, qui dépasse les trois mètres. Pour mener cette tâche à bien, Julien Dumont a injecté centimètre par centimètre une sorte de «botox pour alien» conçu spécialement pour l’occasion.

Rencontre avec Buzz Aldrin
Julien Dumont est un passionné d’astronomie, à tel point qu’il s’est lancé dans un projet un peu fou: produire et réaliser un film sur les missions Apollo. Avec le concours de Lukas Viglietti, président de la fondation SwissApollo, il s’est rendu en Floride pour interviewer des astronautes tels que Buzz Aldrin, le deuxième homme à avoir marché sur la Lune. «Je n’avais pas beaucoup de temps, du coup je n’ai pas dormi pendant quatre jours pour pouvoir recueillir tout ce dont j’avais besoin.» dbFx Workshop va réaliser de nombreux effets spéciaux pour le film, dont des vols en apesanteur ou des maquettes des pas de tir. La sortie en salle est prévue pour 2017.

Le blob dévoreur d’humains
dbFx Workshop a participé à la création de la web série Hellvetia, présentée en avant-première lors du dernier NIFFF. Leur mission: créer et animer un blob, soit une grosse masse gélatineuse qui dévore des humains. «Le projet initial était de réaliser les effets spéciaux en 3D, une solution qui ne fonctionnait pas.» Julien Dumont et Kennocha Baud ont donc sculpté la créature dans de la silicone, puis l’ont peinte de sorte que sa peau semble translucide. Enfin, pendant que Julien Dumont filmait le blob, Kennocha Baud, accroupie sous une table, lui donnait vie à coups de bâton.

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