Avec «The Broken Circle»,le Belge Felix Van Groeningen signe un drame bouleversant sur fond de bluegrass.
Lui, fou des Etats-Unis, leader d’un groupe de bluegrass vivant son rêve américain dans la campagne flamande, bien loin du Tennessee et du Missouri de Bill Monroe et de Hank Williams. Elle, blonde, tatouée de pied en cap, pin-up fifties qui ne connaît que le King Elvis, apprendra vite le phrasé country-folk. Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. En les voyant entremêler leurs voix, on pense forcément à un autre couple, Johnny Cash et June Carter. Et ils n’avaient pas prévu l’arrivée surprise d’un petit ange qui, forcément, aura droit dès ses premiers pas à sa tenue de cow-girl.
Le film The Broken Circle raconte une passion brûlante bientôt rattrapée par la vie. Ou plutôt par la mort, du moins son ombre menaçante. La petite Maybelle est malade, terrassée par un cancer foudroyant qui semble résister aux traitements. On l’apprend dès la deuxième séquence, sans ménagements, avant même qu’on ait eu le temps d’apprendre à connaître ses parents, Elise et Didier. Pas question pour le réalisateur Felix Van Groeningen, révélé il y a quatre ans par La merditude des choses, de mettre en place le chantage émotionnel qui généralement a cours avec ce genre de sujet, du style je vous montre les belles années avant de laisser tomber brutalement le couperet. Ici, on est d’emblée dans la merditude de la maladie.
Narration éparpillée. Nécessairement, il y a aussi dans The Broken Circle du mélo appuyé, du drame, des émotions fortes. Mais là où d’autres utilisent des effets faciles, Van Groeningen agence son récit avec une extrême finesse, alterne à travers un brillant travail de montage l’avant, le maintenant et l’après – la rencontre et la vie sans Maybelle, la maladie et l’avenir ombrageux. La déconstruction narrative est, depuis le Pulp Fiction de Quentin Tarantino (1994), un artifice utilisé par les réalisateurs sans envergure pour masquer l’indigence de leurs scénarios. Bien des cinéastes évitent la platitude totale en éparpillant leur narration par petits bouts, façon puzzle. Le spectateur, qui passe dès lors du temps à remettre les pièces dans l’ordre, n’y voit que du feu et croit que l’histoire qu’on lui raconte est subtile. Alors que si elle était présentée de manière chronologique, on bâillerait d’ennui.
Mais la déconstruction narrative telle que la pratique van Groeningen dans The Broken Circle n’a rien d’un vain exercice de style. Elle se révèle au contraire constamment au service des personnages et du récit, permet de mieux cerner Didier et Elise, de comprendre leur fonctionnement, leur psyché. Le réalisateur belge a encore un autre mérite: celui de véritablement sentir les séquences et la durée des plans, qui ne sont jamais trop longs ou trop courts, sont toujours coupés au bon moment. Ce qui est moins facile qu’on ne veut le croire.
Primé à Berlin. Pour ne rien gâcher, les moments musicaux sont superbes, jusqu’à cet ultime concert au cours duquel Didier pétera les plombs après un duo brise-cœur. Les acteurs sont au diapason, ne surjouent jamais alors qu’ils auraient pu facilement tomber dans l’emphase. The Broken Circle a reçu à Berlin le Prix du public. En Belgique, il a fracassé le box-office. Il faut qu’ici aussi le public lui fasse un triomphe.
De Felix Van Groeningen. Avec Veerle Baetens, Johan Heldenbergh et Nell Cattrysse. Belgique, 1 h 52.