Littérature jeunesse. Nicolas Bouvier raconté aux 5-9 ans, Germaine de Staël aux 8-14: la Joie de lire publie deux livres pour transmettre les figures tutélaires de la littérature suisse aux plus jeunes. Deux réussites.
«– Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand?
– Voyager! Répondait du tac au tac Nicolas Bouvier, et tant pis si les grandes personnes trouvaient que son projet n’était pas très sérieux.»
C’est ainsi que commence Des fourmis dans les jambes. Petite biographie de Nicolas Bouvier, un album pour les 5-9 ans qui raconte la vie de l’écrivain voyageur de son enfance au Grand-Lancy à Genève à son dernier voyage le 17 février 1998, à l’âge de 68 ans, alors que la maladie l’avait doté d’une «tête de Bouddha» rieur, selon ses propres mots. Signé Ingrid Thobois pour le texte, reporter et écrivaine de 35 ans passionnée par Bouvier, illustré par la dessinatrice française Géraldine Alibeu, c’est un outil fantastique pour qui veut donner le goût du voyage aux enfants et, surtout, faire perdurer l’esprit et la personne de Bouvier auprès des générations futures.
Des fourmis dans les jambes paraît quelques semaines après Madame de Staël prend sa plume, un «album documenté» dédié lui au parcours de Germaine de Staël, née Necker d’un père banquier et ministre des Finances de Louis XVI, écrivaine, amoureuse de Benjamin Constant et animatrice du Groupe de Coppet qui, depuis la Côte genevoise, agaça Napoléon avec son esprit de contestation intellectuel.
Madame de Staël prend sa plume est né de l’initiative d’une mère et de sa fille, Bridget et Caroline Dommen, passionnées d’histoire genevoise, qui en 2012 ont fondé l’association Personnalités présentées aux petits dans le but d’encourager enfants et parents à découvrir les destins de ceux et celles qui ont fait Genève et la Suisse. On y lit sur une cinquantaine de pages un efficace condensé de la vie, des malheurs et des ambitions de celle qui «n’était pas une femme comme les autres».
Deux livres jeunesse, deux héros de l’histoire littéraire suisse romande: ce n’est pas un hasard s’ils paraissent tous deux chez l’éditrice Francine Bouchet à la Joie de lire à Genève, qui a fait de la transmission une priorité absolue. «Ces deux démarches sont intéressantes et m’ont convaincue parce que quelque chose peut rentrer dans la tête de ces chers enfants. Bouvier, de Staël: ce sont des noms qu’ils peuvent croiser, il y a des écoles qui portent ces noms, des rues. A nous de garder ces icônes en vie.»
Ouvrages à forte valeur documentaire, Des fourmis dans les jambes et Madame de Staël prend sa plume ne contiennent que des faits avérés, même si les auteurs se sont ensuite approprié la matière et la manière de les mettre en scène. Vif, frais, poétique, le récit sur Bouvier ne se permet qu’une liberté majeure: celle de parer de bleu azur la fameuse Fiat Topolino qui servit à Bouvier et à Thierry Vernet pour parcourir les routes des Balkans et du Proche-Orient. Géraldine Alibeu a dessiné un Bouvier jeune, brun, bouclé, «ressemblant sans obsession», pour Francine Bouchet. «Braque disait qu’une chose ne peut pas être à la fois vraie et vraisemblante, qu’il faut choisir…»
Des livres-amorces
L’éditrice, qui estimait comme tous ses pairs il y a une décennie que le CD-ROM allait tuer le livre documentaire, se réjouit que ce dernier ait encore des ressources à exploiter. «Il peut aider parents et enseignants à transmettre notre patrimoine aux générations suivantes. D’autant plus que des Nicolas Bouvier et Germaine de Staël peuvent parler aux enfants et jeunes d’aujourd’hui, j’en suis certaine. Bouvier est synonyme d’oser partir, d’avoir la curiosité de la géographie, du monde. L’ailleurs fait rêver encore et toujours. Le livre sur Bouvier permet aussi de parler de ces régions où la guerre empêche la liberté et le voyage. Germaine de Staël est une femme qui incarne l’esprit de révolution, de résistance, et l’exil, thèmes qui à travers les migrants d’aujourd’hui sont très présents, même si elle avait un train de vie de grande bourgeoise… Ça me plaît de savoir que certains enfants auront entendu parler d’eux, qu’ils auront pu prendre conscience de destins autres, extraordinaires mais à leur portée. Tout ce qu’on sème tôt est pris pour plus tard. Ce sont des livres-amorces.»
«Mais comme Nicolas était aussi rêveur que têtu, il ne s’est pas laissé décourager.»
C’est ainsi que continue Des fourmis dans les jambes. En tournant la page.
«Des fourmis dans les jambes. Petite biographie de Nicolas Bouvier». D’Ingrid Thobois et Géraldine Alibeu. La Joie de lire, 48 p.
«Madame de Staël prend sa plume». De Bridget et Caroline Dommen. La Joie de lire, 56 p.