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Ces bons vieux robots

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Jeudi, 9 Juillet, 2015 - 06:00

Bip! A Yverdon, à Genève, des expositions renforcent les stéréotypes mi-inquiétants, mi-amusants sur nos doubles mécaniques. Mais la définition de ces machines évolue vite vers celle du «co-robot», utile partenaire de nos vies et de notre imagination, avec toujours l’être humain aux commandes. 

L’autre jour, un robot industriel a tué un jeune ouvrier qui effectuait une opération de maintenance dans une usine de Volks­wagen, en Allemagne. Comme une journaliste du Financial Times nommée Sarah O’Connor a relayé la nouvelle sur Twitter, le réseau social a immédiatement reçu une série de blagues déplacées. Sarah O’Connor est en effet aussi le nom de la combattante des robots tueurs dans la série de films Terminator.

Ce type de réaction montre combien le robot est encore inscrit dans la science-fiction. Alors qu’il vit désormais parmi nous, sous le masque d’un téléphone multifonction, d’un écran tactile, d’un aspirateur ou d’une voiture, pourvus à foison de capteurs et de codes informatiques pour nous rendre service.

Le robot dans la science-fiction est le propos de la nouvelle exposition de la Maison d’Ailleurs à Yverdon. Celle-ci parle bien de masque, mais dans un autre sens, plus symbolique. Derrière les visages de plastique ou de fer blanc, il y a les nôtres, cette humanité qui peine à se définir dans l’univers technique, industriel et scientifique qui prévaut depuis un siècle. Le robot est la projection de nos envies, de nos angoisses, de notre exploitation par des puissances qui nous dépassent. Dresser son portrait, raconter son histoire, c’est nous dessiner en creux, postule l’intéressante exposition de la Maison d’Ailleurs. Ce portrait est d’ailleurs littéralement dessiné, à l’un des étages du musée, par les robots de l’artiste français Patrick Tresset: par le biais de caméras, les machines observent les visiteurs et crayonnent leurs visages, prenant leur temps (entre vingt et trente minutes).

Rétroviseur plutôt que miroir

Ce talent artistique du robot renvoie lui aussi vers le passé, comme les automates-dessinateurs du XIXe siècle ou les machines à Tinguely dotées du même talent. Il faut se rendre encore plus haut dans les étages pour s’ouvrir sur le présent, grâce à l’apport de la Haute école d’ingénieurs d’Yverdon, qui propose d’interagir avec ses propres machines contemporaines.

Mais l’ancrage poétique, si ce n’est nostalgique, de l’exposition est dans les robots de naguère, qui passent ici du statut de jouets à celui d’œuvres artisanales. Richard Marnier assemble des humanoïdes avec des ustensiles de bois. Bruno Lefèvre-Brauer, connu sous le nom de +Brauer, travaille avec des objets de récupération pour assembler ses sculptures, qui renvoient autant à l’esthétique parano de la guerre froide qu’à une résistance très actuelle à la surconsommation. Les œuvres de +Brauer sont aussi exposées en ce moment à la M.A.D. Gallery de Genève, sous le titre Viva la Robolución!.

Bref, cet équipage de robots nous tend davantage un rétroviseur qu’un miroir. Il traîne derrière lui une caravane de stéréotypes qui commencent à dater, comme la trouille de voir un jour des humanoïdes malfaisants nous dézinguer à tout va. Quand arrivera le moment de la «singularité», l’époque où l’intelligence artificielle surpassera l’humaine, lui réglant son compte au passage. Dernièrement, les Elon Musk, Stephen Hawking ou Bill Gates ont prédit la fin de l’humanité si les robots et les machines autonomes n’étaient pas encodés avec des principes éthiques, juridiques ou sociaux. «Larry Page va tous nous tuer!» s’est exclamé Elon Musk, patron de Tesla et SpaceX, faisant allusion à la frénésie d’achats de start-up spécialisées dans la robotique par le dirigeant de Google.

Peut-être que Musk le visionnaire, qui a trouvé, adolescent, sa vocation en dévorant de la science-fiction, a raison. Cette inquiétude présente depuis la naissance de l’idée moderne de robot est reconduite aujourd’hui par le soutien du Pentagone à ce qui se fait de mieux en robotique. Les concours, bourses et autres compétitions du DARPA, l’agence de recherche avancée des militaires américains, ont bien sûr pour but de fournir des idées pour les champs de bataille. Comme la méfiance face aux robots se double toujours d’une ambiguïté quant à leur possible identité (ami? Ennemi?), le DARPA pratique aussi «l’usage dual». L’agence peut bien mettre au point des machines à tuer, elle a aussi contribué à créer l’internet ou à susciter l’intérêt pour les voitures autonomes avec ses «challenges» de véhicules sans conducteurs dans le désert.

Le DARPA pousse actuellement, comme d’autres instituts de recherche ou sociétés spécialisées, le concept de «co-robot». Longtemps, la définition du robot a été celle d’une machine qui n’a pas besoin de l’homme pour agir, y compris mal agir. Les progrès rapides de l’intelligence artificielle, qui pourrait doter ces mécanismes des capacités d’apprentissage et de pensées, vont dans le même sens. Or, le DARPA et d’autres pensent qu’il serait plus intéressant de créer des robots semi-autonomes, garants d’une utile complémentarité entre l’homme et la machine. Pas de remplacement de l’être humain par son avatar, mais une fructueuse collaboration. Pas de «singularité», mais une «multiplicité» qui encourage les aides réciproques, les résolutions de problèmes main (de chair) dans la main (de silicone).

Partenaires sexuels

Le principe a d’immenses répercussions possibles sur la société, l’éducation ou l’économie. Surtout à l’heure où l’on imagine que des millions de postes de travail – y compris ceux des journalistes – seront un jour remplacés par des algorithmes. Cette vue moins anxiogène du robot est soutenue par les progrès encore plus rapides des capteurs, de la vision informatisée, de la compréhension du langage.

Si bien qu’il faut regarder avec attention les nounours-robots destinés aux enfants malades dans les hôpitaux. Les Nao, ces merveilleux petits humanoïdes conçus par la société française Aldebaran, utilisés pour interagir avec les enfants autistes. Les Pepper du même Aldebaran, qui commencent à aider, surveiller et tenir compagnie aux personnes âgées au Japon. Voire le projet Realbotix de la firme américaine RealDoll, experte dans les poupées pour adultes, qui entend fournir d’ici à deux ans des partenaires sexuels dotés de parole («Encore!» «Fais-moi mal!»), de réactions, de mouvements. Et si les robots se rendront de plus en plus dans les lieux où l’homme ne peut pas aller sans danger, ce sera toujours, nous prédit-on, avec un être humain aux commandes, à distance.

Quitte à être plus créatif encore, il faudra aussi découvrir l’extraordinaire ballet de danseurs et de robots chorégraphié par Blanca Li, dont la tournée triomphe actuellement dans le monde. Le spectacle Robot s’arrêtera en novembre à Morges et à Fribourg, puis en janvier à Yverdon, en partenariat avec la Maison d’Ailleurs. La chorégraphe espagnole entend réinterroger la relation homme-machine avec sa création. Exactement l’enjeu du moment pour nos amis robotisés.

«Portrait-Robot». Yverdon, Maison d’Ailleurs. Jusqu’au 31 janvier 2016.

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Laurent Philippe / divergence-images.com
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