Devoir de mémoire. La rénovation de la villa de Pury, qui accueille le Musée d’ethnographie et a été construite grâce à de l’argent tiré de la servitude des Noirs, pourrait être l’occasion de se souvenir de cette histoire honteuse, aujourd’hui considérée comme un crime contre l’humanité.
Le 7 juillet prochain, la France ouvre au public le plus grand mémorial jamais consacré à l’esclavage. D’une surface de 8000 m2, d’un coût de 83 millions d’euros, le Mémorial ACTe s’élève en bord de mer à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. En souvenir des 1,6 million d’Africains déportés jadis dans les Antilles françaises, mais aussi du «trafic honteux» pris dans son ensemble. Il aura fallu attendre cent soixante-quatre ans, depuis l’abolition de la servitude, pour que le pays se dote d’un lieu dédié à cette triste histoire.
La ville de Nantes, autrefois l’un des principaux ports de l’esclavage en Europe, avait anticipé ce mouvement en 2012 avec l’ouverture de son mémorial en bord de Loire. A son entrée, une stèle note qu’il s’érige dans l’espace public «Contre les troubles de la mémoire, contre le refoulement, l’occultation et l’oubli».
Depuis le début des années 2000 et la reconnaissance internationale de l’esclavage comme crime contre l’humanité, les ex-grandes nations esclavagistes ont commencé un ample travail de mémoire doublé d’un repentir. La Grande-Bretagne a ouvert un musée de l’esclavage à Liverpool, les Etats-Unis ont plusieurs projets de grandes institutions consacrées aux «affaires noires», dans le sud ou la capitale fédérale.
La villa de Pury
Et la Suisse? Drôle de question: la naissance de la Confédération helvétique correspond à l’abolition progressive de l’esclavage transatlantique. De plus, le pays n’a jamais possédé de colonies à sucre, à coton ou à tabac. Reste que, depuis une douzaine d’années, des recherches ont montré que la Suisse a participé directement ou indirectement à la traite des Noirs, en particulier dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Des marchands et des banquiers suisses, en particulier neuchâtelois, ont participé à ce commerce, aujourd’hui considéré comme un crime. De Pury, Pourtalès, DuPeyrou… Quelques-unes des plus belles demeures patriciennes de Neuchâtel ont été construites, peu ou prou, grâce à l’argent de l’esclavage.
C’est le cas de la villa de Pury, qui accueille depuis 1904 le Musée d’ethnographie de la ville. Il a été créé grâce au legs d’objets de Charles Daniel de Meuron, grand militaire, grand collectionneur, grand expert aussi dans l’art de mater les révoltes d’esclaves. La villa elle-même a été bâtie par James-Ferdinand de Pury, qui avait fait fortune dans les exploitations de tabac au Brésil et possédait 18 esclaves. Or jamais ce musée, pourtant spécialisé dans l’étude du fonctionnement des sociétés, n’a consacré d’exposition spécifique à la traite des Noirs, dédiant au mieux une table au phénomène dans Remise en boîtes, en 2005.
A l’occasion de la célébration de ses 1000 ans en 2011, Neuchâtel a certes évoqué – un peu – ce que sa prospérité passée devait à l’esclavage. Mais la question mémorielle de l’une de ses institutions phares doit être posée. Surtout à l’heure de la rénovation de la villa de Pury, actuellement en pleins travaux, qui verra sa muséographie renouvelée. Le directeur du Musée d’ethnographie, Marc-Olivier Gonseth, n’est pas contre l’idée de marquer à terme, par exemple par une exposition permanente, ce chapitre sombre de l’histoire neuchâteloise, pour autant qu’un sérieux travail de recherche puisse être accompli. Notons pour notre part qu’il faudrait que les grandes familles neuchâteloises liées par le passé à la traite des Noirs acceptent enfin d’ouvrir leurs archives.
Et à quand une plaque, une stèle, une œuvre d’art, un petit mémorial en ville pour se souvenir de ce passé, histoire de le regarder en face? Esquisser un geste, si ce n’est de repentir, au moins d’amende honorable?