Patrimoine. Le fonds de la fondation Finale à Lausanne est unique dans la francophonie. Tout ce qui a trait à la sexualité est classé par des civilistes. Visite d’une maison ouverte et libre.
C’est la caverne d’Ali Baba de l’érotisme. Dix-huit mille livres, des milliers de films, de revues, 800 affiches et 5000 ex-libris constituent le fonds de la fondation Finale, à Lausanne, qui fêtera l’an prochain ses 20 ans.
Peu connue, la fondation se trouve à la rue des Terreaux 18 bis. De jeunes civilistes s’affairent dans le dédale de rayonnages, en pleine torpeur estivale, pour classer des revues Playboy ou un fonds de VHS gay légué par un collectionneur. Finale a été reconnue d’utilité publique. Ici, tout ce qui a trait à l’érotisme du point de vue artistique, ethnographique, psychologique ou médical est conservé. «Le sujet est tellement méprisé, ignoré, regrette le maître des lieux. Pourtant, l’érotisme est un des seuls domaines de l’existence où le plaisir est au rendez-vous.»
Dans de nombreux pays, cette fondation aurait été interdite. Et beaucoup ne voient pas l’intérêt de conserver ces témoignages de la culture populaire «mauvais genre». Mais qui, dans le futur, se souviendra encore, par exemple, de la revue genevoise Minuit Plaisir, mensuel érotique aujourd’hui disparu, qui se présentait comme «la revue des gens modernes»?
La collection est nourrie de dons, et des achats du maître. En bricoleur, il a réuni le tout avec trois fois rien, mais beaucoup d’énergie. En 1988, il a transformé cet ancien atelier de réparation de vélos en une maison non pas close, mais ouverte. Elle abrite aujourd’hui, en plus de la fondation, une librairie, une maison d’édition et une galerie d’art. Le tout s’est appelé Humus. «Parce qu’on est aux Terreaux, et parce que le mot me fait penser à humour», commente Michel Froidevaux. L’artiste Roland Topor a été le parrain des lieux et y a exposé. Tout comme Giger, le créateur d’Alien.
Enfin, Danièle Mussard, l’amie du galeriste, a installé au rez-de-chaussée son atelier de tisserande. Le dernier du genre en Suisse romande. De quoi achever de déconcerter le visiteur. Mais il y aurait de nombreux rapports entre l’art du tissage et l’érotisme. Question de toucher…
Collectionnite aiguë
Michel Froidevaux a régulièrement des mandats de commissaire d’exposition, notamment pour le Musée historique de Lausanne. Son prochain projet monstre devrait voir le jour en 2020, avec une importante publication et un partenariat entre trois musées. Eros Helveticus recueillera dans un dictionnaire tout ce qui fait le charme érotique suisse, d’Ursula Andress à Grisélidis Réal. Pour son étude, le chercheur réunit d’importantes collections de cartes postales de Jungfrauen pudiques et de cors des Alpes phalliques. La lutte à la culotte n’est pas oubliée. Quant aux ours de Berne, toute une iconographie cachée les montrerait en train de fricoter avec les dames de la capitale.
Atteint de collectionnite aiguë, Michel Froidevaux manque de place. Livres précieux ou petits gadgets kitsch en forme de «bites à pattes», il garde tout. Mais il faut changer l’image, poussiéreuse, des lieux. Son libraire, Michel Pennec, passionné par le Japon, s’y emploie. Humus fait aujourd’hui partie de la programmation de la Fête du slip, du LUFF et de BD-Fil. Et de jeunes pousses fleurissent sur ce terreau d’avenir. Une fois leur service effectué, les civilistes reviennent, par amitié. Un peu comme s’ils étaient les enfants ou les petits-enfants des propriétaires. C’est le cas de Patrice Bussy, 20 ans, qui a passé deux mois sur place. «C’est une zone libre, s’émerveille l’intéressé. Ici, on ne fait pas de différence entre culture et sous-culture.» Alexandre Grandjean, 26 ans, est de son avis. «J’admire ce que fait Michel. Sa critique bienvenue de toute forme d’hygiénisme. Humus est un des derniers lieux de liberté à Lausanne!»