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«Une seconde mère», le récit d’une vie

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Jeudi, 18 Juin, 2015 - 05:59

Rencontre. La réalisatrice brésilienne Anna Muylaert raconte le paradoxe de l’éducation de son pays, où des mamans abandonnent leurs enfants pour élever ceux des autres.

Céline Brichet

Alors que sa fille Jessica n’a que 5 ans, Val quitte sa région natale pour se rendre seule à São Paulo. Aide-ménagère à temps plein, elle y vit nuit et jour chez un couple aisé dont elle élève le fils comme si c’était le sien, tout en perdant peu à peu contact avec sa propre famille. Jusqu’au jour où, treize ans plus tard, sa fille lui rend visite.

Pour son quatrième long métrage, Anna Muylaert s’inspire de sa propre histoire. Elle a elle-même été élevée par une nounou et avoue qu’enfant, elle était tellement choyée par cette deuxième maman qu’elle ne savait pas faire son lit. A la naissance de son aîné, elle est déterminée à ne pas reproduire ce schéma mais, mère célibataire active, elle finit par engager une aide. Si sa nourrice n’est pas séparée de sa famille, comme l’est Val dans Une seconde mère, la réalisatrice ne peut s’empêcher de culpabiliser à l’idée d’avoir quelqu’un qui débarrasse sa table et s’occupe de ses enfants. Tiraillée entre sa mauvaise conscience et son incapacité à faire évoluer les choses, elle a décidé de montrer ce paradoxe dans un film tourné du point de vue de la nounou.

Lueur d’espoir

A travers le personnage de Val, la cinéaste décrit le quotidien d’une aide à domicile, l’étendue de ses tâches et le manque de considération dont elle souffre. A travers sa fille, elle montre la volonté de la nouvelle génération à sortir de ce schéma social. A 18 ans, Jessica sait déjà qu’elle ne veut pas du destin de nourrice de sa mère. Lancée corps et âme vers des études d’architecture, elle est déterminée à s’offrir un avenir prospère. Une lueur d’espoir que la réalisatrice a rajoutée au tout dernier moment au script initial. «Depuis le gouvernement Lula, des lois protègent les employées à domicile. J’ai voulu montrer cette évolution», explique-t-elle.

Pourtant, malgré sa volonté, Jessica sera rattrapée par la réalité et finira par reproduire son schéma familial, sans vraiment se l’avouer. Une situation que Muylaert raconte aussi de son propre vécu. Les yeux ouverts par sa réflexion sur le sujet, elle décide un beau jour d’inviter son aide de maison à la rejoindre à table. Mais elle se retrouve confrontée au refus de celle-ci qui, par peur du qu’en-dira-t-on, n’ose pas enfreindre les règles qu’on lui a apprises. La Brésilienne n’est qu’à moitié surprise: «Un pas a été fait mais on ne change pas en un claquement de doigts une tradition qui dure depuis la colonisation.» Aujourd’hui, il arrive parfois aux deux femmes de manger ensemble, mais à une condition: qu’elles soient seules dans la maison.

Lumière naturelle

Cette recherche de réalisme se retrouve dans les images, qui viennent sublimer l’histoire sans lui enlever de son authenticité. Pour obtenir ce résultat, elle a fait venir d’Uruguay Bárbara Alvarez, une directrice de la photographie connue pour son utilisation de la lumière naturelle, à l’opposé de l’éclairage léché des productions brésiliennes. «Bárbara dessine l’atmosphère avec ce qui est présent. Elle ouvre un rideau, en ferme un autre, mais n’utilise presque pas d’éclairages artificiels.»

Une seconde mère est ancré dans la tradition brésilienne de la critique sociale. Un élément important pour Muylaert, qui espère pouvoir faire réfléchir les gens de la même manière que son film l’a changée elle-même. Un pari réussi puisque malgré un happy end attendu, les spectateurs d’une première et pour l’heure unique projection brésilienne (une exploitation officielle est toujours en suspens pour des raisons financières) sont sortis la gorge nouée, se voyant, d’après la réalisatrice, «comme dans un miroir». Le film invite à réfléchir au-delà des frontières: l’an dernier, L’Hebdo recensait en Suisse quelque 40 000 nounous à temps plein. Dont une majorité venue d’Amérique latine.

«Une seconde mère». D’Anna Muylaert. Avec Regina Casé et Michel Joelsas. Brésil, 1 h 52. Sortie le 24 juin.

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