Portrait. Née en Grèce, établie à Londres avec le réalisateur Yórgos Lánthimos, la comédienne française a été primée l’an dernier à Locarno. Elle est à l’affiche du film croate «Love Island».
Il y a quelques semaines, elle foulait le tapis rouge du Palais des festivals, à Cannes, en compagnie de son mari, Yórgos Lánthimos. Celui-ci présentait en compétition officielle The Lobster, une fable surréaliste dans laquelle elle tient un petit rôle, et qui a finalement obtenu le Prix du jury. L’été dernier, elle était à Locarno, où elle défendait deux films: Love Island, présenté hors compétition sur la Piazza Grande, et qui sort dans les salles romandes la semaine prochaine, et Fidelo, l’odyssée d’Alice, qui lui a permis de remporter le Prix d’interprétation féminine et de se voir nommée en février dernier pour le césar du meilleur espoir.
Enfonçons le clou: en 2010, c’est à Venise qu’elle brillait où, pour sa première apparition à l’écran, dans Attenberg, elle recevait la Coupe Volpi de la meilleure actrice. Derrière ce début de carrière tonitruant, auquel on pourrait encore ajouter quelques récompenses mineures, se cache une cruelle réalité: qui connaît Ariane Labed? Alors qu’elle est clairement une des actrices françaises les plus intéressantes apparues ces dernières années, le grand public ignore tout d’elle. Parce qu’elle a jusqu’à présent effectué des choix clairement auteuristes, et que son parcours est pour l’heure insaisissable.
Grecque de cœur
Ariane Labed est Française, mais c’est à Athènes qu’elle naît en mai 1984 de parents enseignants. Elle y vit six ans, puis part pour l’Allemagne. La France, ce n’est qu’à 12 ans qu’elle la découvre véritablement. Elle n’a alors qu’une seule idée: retourner en Grèce. «Je suis Grecque de cœur», aime affirmer cette comédienne passionnée de danse, formée sur les planches et qui se voyait faire carrière au théâtre.
Le retour sur sa terre natale se fera finalement grâce à la troupe Vasistas, un collectif pluridisciplinaire piloté par une metteuse en scène grecque. C’est à Athènes, alors qu’elle se produit au Théâtre National, qu’elle sera repérée par Athiná-Rachél Tsangári, qui lui propose le premier rôle d’Attenberg. Celui de Marina, une jeune femme solitaire passionnée par les documentaires animaliers, David Attenborough et le rock sombre de Suicide. On connaît donc la suite: Ariane Labed, qui a appris le grec pour le film, fait sensation à la Mostra de Venise et se retrouve au palmarès. En Grèce, tous les médias veulent lui parler, mais elle prend peur et les fuit. L’année suivante, c’est néanmoins dans une autre production indigène qu’elle s’illustre: Alps, réalisé par Yórgos Lánthimos, un cinéaste que beaucoup voient comme un futur grand du cinéma européen et qu’elle avait rencontré sur le plateau d’Attenberg, où il faisait l’acteur. L’expérience est concluante au point qu’Ariane Labed finira par l’épouser. Le couple vit aujourd’hui à Londres.
Femmes fortes
Ce qui frappe, lorsqu’on parcourt la filmographie de la jeune trentenaire, c’est son goût pour les rôles physiques et les personnages forts, qui prennent leur destin en main. Dans Fidelio, l’odyssée d’Alice, elle interprète une mécanicienne sur bateau laissant son homme à terre pour prendre le large à bord d’un cargo. Dans Love Island, un film qui surprend par la façon dont il passe allégrement du drame au vaudeville, elle est Liliane, une femme enceinte mariée à un beauf exubérant, qui, lors d’un séjour balnéaire sur une île croate, va retrouver une fille avec laquelle elle a partagé une passion torride. D’abord en position de faiblesse, Liliane va peu à peu prendre son destin en main et devenir, jusqu’à un audacieux final, le pivot d’un triangle amoureux brinquebalant.
Liliane, comme Alice, est une femme volontariste. Ariane Labed l’incarne avec un mélange de candeur et d’assurance qui en fait un personnage au profil psychologique complexe, alors qu’elle semble au début du film totalement lisse. On n’osera pas avancer que la Française est une actrice psychologique ayant besoin de comprendre les personnages auxquels elle donne corps, mais il semble évident qu’elle aborde chacun de ses rôles avec un abandon total. C’est pour cela aussi que le grand public risque de mettre un moment avant de la reconnaître: on voit le personnage avant l’actrice, Liliane jouée par Ariane, et non Ariane qui joue Liliane.
Après une apparition en 2013 dans Before Midnight, de Richard Linklater, elle tourne pour la première fois en français sous la direction de Fabienne Godet. Las, Une place sur la terre, où elle partage l’affiche avec Benoît Poelvoorde, passe inaperçu. Suivront une production israélienne, Magic Men, puis les deux titres qui lui ont permis une double présence tessinoise l’an dernier. Dans la foulée de The Lobster, annoncé pour octobre, on devrait la voir dans deux films du Canadien Guy Maddin, dans Malgré la nuit, du Français Philippe Grandrieux, dans Préjudice, du Belge Antoine Cuypers, et dans Happy Time Will Come Soon, de l’Italien Alessandro Comodin. Totalement happée par le cinéma, même si elle avoue ne pas avoir renoncé à la scène, elle tourne actuellement sous la direction des sœurs Delphine et Muriel Coulin, remarquées en 2011 avec 17 filles.
Ariane Labed semble visiblement peu encline à se laisser catégoriser. Ce qu’elle aime, ce sont les gens qui cherchent, dit-elle, les réalisateurs et scénaristes qui possèdent leur propre voix et ne tentent pas de recycler des recettes éprouvées. Partager la vie de Yórgos Lánthimos, qui dans The Lobster décrit une société où les célibataires doivent trouver l’âme sœur sous peine d’être transformés en animal de leur choix, doit dès lors la combler.
Manque une performance forte
Que faut-il à Ariane Labed pour confirmer les espoirs placés en elle par les jurys qui l’ont récompensée à Venise et à Locarno? Tout simplement un grand rôle. Même si elle a choisi une autre voie que celle empruntée par une Léa Seydoux, il lui manque encore une performance forte dans un film bénéficiant d’une large exposition en France. Multiplier les tournages à l’étranger, puis choisir de vivre à Londres, semble l’avoir coupée du pays dont elle est originaire. Sa nomination aux césars a-t-elle débouché sur des propositions intéressantes? Poser cette question, c’est affirmer l’importance de suivre de près sa carrière qui, soyons-en sûrs, réserve de belles surprises.
«Love Island». De Jasmina Žbanic. Avec Ariane Labed et Ermin Bravo. Croatie/Suisse, 1 h 26. Sortie le 17 juin.