Inédit. En rééditant «Un mois chez les filles», immersion dans la prostitution à Paris, Stock donne une seconde vie à Maryse Choisy, journaliste, écrivaine, psychanalyste et mystique scandaleuse.
Il faut des couilles pour se couper les seins. C’est ce que Maryse Choisy a fait à l’âge de 27 ans pour passer un mois chez les moines du mont Athos en 1929, repoussant loin les limites du reportage en immersion dont on croit qu’il est né avec John Howard Griffin ou Günter Wallraff.
Un mois chez les hommes est publié la même année avec une image représentant Maryse en costume d’homme dans une rue de Karyès, capitale de la République monastique du mont Athos.
Maryse Choisy sort alors d’un autre reportage en immersion, introuvable depuis les années 1930 malgré le best-seller absolu qu’il fut, que les Editions Stock ont la bonne idée de rééditer. Intitulé Un mois chez les filles, il raconte les quelques semaines que la jeune femme passa en 1928 dans les milieux de la prostitution à Paris.
Elle entre comme femme de chambre dans une maison de rendez-vous parisienne, se fait danseuse de salon dans le bar lesbien Le Fétiche, pénètre avec sa copine Youki Foujita, reine de Montparnasse, dans le dancing de la pègre, s’invite dans un hôtel particulier où de riches Américaines s’offrent de prétendus princes russes.
Avec esprit, gouaille, tendre fiel et jubilation, elle décrit les filles comme les clients avec une curiosité d’entomologiste. Des pratiques et fantasmes, martinets, travestissements ou partouzes, elle fait l’inventaire dans un haussement d’épaules blasé.
Des filles, elle constate que «ce sont des petites-bourgeoises (…) qui cherchent à amasser le plus d’argent possible pour se retirer à la campagne». Des patronnes, elle constate qu’elles sont les mieux renseignées de Paris et connaissent «les préférences de tous les présidents du Conseil, le pouls des élections, les secrets d’alcôve».
Elle manie l’autodérision avec vigueur: «Je cambre mes hanches (…). Je souris bêtement. Je ne suis plus qu’une femme qui veut plaire. C’est plus fort que moi. (…) Les vraies grues ne se donnent pas tant de peine. – On voit bien que vous êtes nouvelle dans le métier, constate ma copine.»
Et même si elle fait durer le suspense, elle ne paie jamais de sa personne jusqu’au bout, se contentant d’une scène de saphisme avancé. Forte de son précepte que «l’amour est le plus ennuyeux des passe-temps quand on n’aime pas», elle conclut sur un appel à la suppression des bordels, sous prétexte qu’ils ne servent à rien, qu’ils manquent d’imagination, qu’ils coûtent cher et que rien n’empêche deux adultes qui se plaisent de coucher ensemble.
Un mois chez les filles se vend à plus de 450 000 exemplaires et rend célèbre une sale gamine surdouée et snob que rien ne prédestinait à cela.
Illégitime
Maryse Choisy est née à Saint-Jean-de-Luz en 1903 de parents officiellement inconnus et décédés, élevée par deux tantes dont l’une, la comtesse Anna de Brémont, était sans doute sa mère.
Enfant illégitime, elle est pourtant éduquée dans un milieu mondain, cultivé et non conformiste et soutient une thèse de philosophie à l’Université de Cambridge sur «Les systèmes de philosophie vedanta et samkya».
Passionnée par la psychanalyse, elle rend visite à Freud, écrit des livres tissant des liens entre cette discipline et la religion ou le yoga, son autre grande passion, fonde le «suridéalisme», qui marie psychanalyse, religions orientales et littérature.
Chiromancienne depuis un séjour comme jeune professeure aux Indes, elle écrit deux romans puis se lance dans le journalisme. Pour se faire une place dans un monde machiste qui veut la cantonner aux chiens écrasés, Maryse choisit l’immersion.
Elle se fait engager comme vendangeuse et dénonce leur exploitation dans L’Intransigeant en octobre 1927 sous le titre «Mes vendanges en Languedoc». Elle poursuit l’expérience avec une série où elle raconte ses vécus d’ouvrière d’usine, de mannequin, d’infirmière, de vendeuse, de dompteuse foraine ou de script-girl chez Pagnol.
«Dans les années 1920, les femmes journalistes ne représentent que 3% de la profession», remarque la préfacière, Julia Bracher, qui a découvert Maryse Choisy en préparant l’anthologie Ecrire le désir – 2000 ans de littérature érotique féminine illustrée (Editions Omnibus) et qui travaille à la réédition d’une collection des reportages de Choisy.
«Le principe du déguisement a séduit cette personnalité entière, passionnée par les théories de la réincarnation, mais elle n’avait pas le choix si elle voulait entrer dans ce monde.» Elle a sans doute en tête l’exemple de l’Américaine Nellie Bly, dont les reportages en immersion dans les années 1880 dans des usines ou des asiles de fous firent scandale et lui ouvrirent les portes des grands journaux.
Maryse enchaîne, dans une quête existentielle autant que de reconnaissance effrénée: en 1929, elle pénètre incognito chez les moines du mont Athos après s’être fait enlever les seins chez une chirurgienne «esthète» nommée Mme Noël – pratique loin d’être anormale dans le milieu des garçonnes des années folles.
En 1930 paraît L’amour dans les prisons. En 1932, elle livre Un mois chez les dames seules et confesse sa participation active à la sexualité lesbienne. La même année, elle épouse discrètement le journaliste Maxime Clouzet et donne naissance à sa fille, Colette, baptisée ainsi d’après sa marraine, l’écrivaine.
En 1939, Maryse Choisy rencontre Pierre Teilhard de Chardin, vire dans un mysticisme catholique extrême et tente de détruire tous ses livres: c’est ainsi qu’Un mois chez les hommes tout comme Un mois chez les filles sont devenus quasi introuvables – à moins de hanter bouquinistes et bibliothèques.
En 1946, elle crée Psyché, première revue de l’après-guerre traitant de la psychanalyse et des sciences humaines, organise en 1953 à Rome un congrès de psychothérapie catholique, au cours duquel Pie XII reçoit officiellement les psychanalystes pour la première fois, fonde en 1956 l’Alliance mondiale des religions.
A l’âge de 70 ans, «par vitalité, par amusement», elle apprend le tibétain. En 1977, elle publie ses Mémoires 1925-1939, sous-titrées Sur le chemin de Dieu on rencontre d’abord le diable. A la page 55, à sa «tante» Anna, mourante, on la voit demander:
«Une chose seulement, comment s’appelait mon père?» Anna de Brémont de répondre: «Qu’est-ce que cela peut te faire, puisqu’il ne t’a pas reconnue?»
Maryse Choisy meurt à Paris le 21 mars 1979.
Clik here to view.

Clik here to view.
