Foire. La première édition de Photo London, du 21 au 24 mai, a marqué l’ambition de la ville de concurrencer Paris dans le marché dynamique de la photo. Avec un fort soutien suisse…
Le 14 mars 1839, à la Somerset House de Londres, l’astronome John Herschel a une déclaration à faire. Devant ses pairs de la Royal Society, il révèle avoir trouvé un mot pour une technique optico-chimique qui permet de «fixer des ombres» sur le papier. «Photographie!» s’exclame Herschel.
Le mot est resté. Mais pas Londres comme place forte du marché de la photographie, aujourd’hui dominé par la capitale française avec sa foire Paris Photo. Londres compte certes nombre de galeries spécialisées et de collectionneurs fameux, à l’exemple d’Elton John, Paul Smith ou Michael Wilson, le producteur des films de James Bond. Mais pas de musée de la photo, ni jusqu’ici de foire internationale.
Or, l’agence londonienne Candlestar, spécialisée dans la promotion d’événements culturels, a décidé de lancer Photo London pour donner le change à Paris Photo. La première édition de cette manifestation ambitieuse, qui sera organisée chaque année, s’est tenue du 21 au 24 mai.
Précisément à la Somerset House, pour mieux ancrer l’événement dans l’histoire du médium, dont les Britanniques répètent qu’il a été inventé chez eux (par William Talbot), et non chez les «grenouilles» de l’autre côté de la Manche.
A l’inauguration de Photo London, l’inénarrable maire de la ville, Boris Johnson, a enfoncé le déclencheur en ajoutant que la première photo couleur a été prise en 1861 à la Royal Institution, à quelques centaines de yards de la Somerset House.
La fondation Luma
La foire s’inscrit contre la France tout en multipliant les liens avec la Suisse. Candlestar est l’organisateur du Prix Pictet de photographie, le mieux doté au monde. La banque genevoise compte parmi les soutiens de Photo London et son directeur de la communication, le Britannique Stephen Barber, est le président de la nouvelle manifestation annuelle.
Le principal mécène de Photo London est toutefois Maja Hoffmann, héritière d’Hoffmann-La Roche, très active dans l’art contemporain et la photo. Sa Fondation Luma, basée à Zurich, a financé les expositions, rencontres, conférences et divers événements publics qui, quatre jours durant, ont lesté la programmation de Photo London.
Au point que Maja Hoffmann trouvait, sur place, que le nouvel événement évoquait davantage un festival qu’une foire.
La première galerie à s’inscrire à cette première édition était également suisse: la galerie zurichoise de Christophe Guye. «Je connais bien les responsables de Candlestar, voilà pourquoi. Mais Londres m’intéresse pour ses nombreux collectionneurs. Il y a beaucoup d’argent ici et un réel intérêt pour la photographie.
Je vends déjà pas mal d’images dans cette ville. Au point que j’aimerais y ouvrir une succursale, si l’opération n’était pas aussi chère. La Somerset House nous permet de mettre en valeur nos artistes, beaucoup mieux qu’à Paris Photo ou Art Basel, où les stands sont collés les uns aux autres.
Ici, grâce à la configuration des lieux, c’est comme si chacun avait sa propre galerie. Je peux montrer mes photographies dans de bonnes conditions, comme celles des Suisses Brigitte Lustenberger et Dominique Teufen.»
A côté, son confrère Edwynn Houk (Zurich, New York) ajoutait que «Londres compte aussi beaucoup de collectionneurs russes, intéressés par la valeur croissante de la photo. Et les Américains s’y sentiront peut-être à l’avenir plus à l’aise, à cause de la langue, qu’à Paris.» La galerie lucernoise – et munichoise – Bernheimer était aussi présente à Photo London, ainsi que Scheublein +Bak de Zurich.
Choix consensuels
Celle-ci montrait les pionniers suisses et allemands du mouvement Konkrete und Generative Fotografie des années 60. Un choix d’images géométriques, abstraites, pionnières de l’utilisation de l’informatique, qui tranchait avec le reste de l’offre dans la Somerset House.
A l’évidence, beaucoup de marchands s’étaient alignés sur les goûts des collectionneurs sur place, proposant des photos hautes en couleur, maniérées, souvent proches de l’univers de la mode, du rock, des people, de la nature.
Des portraits d’Iggy Pop se retrouvaient à tous les étages, comme les compositions scintillantes de Vik Muniz, les stars de David Bailey et d’Annie Leibovitz, les Kodachrome saturés de William Eggleston. Des célébrités en chair et en os ont également visité Photo London, comme Daniel Craig, Lily Allen ou Bianca Jagger.
«Moi, je ne vends plus mes photos à la presse, mais aux collectionneurs, voilà la réalité de notre profession», notait Sebastião Salgado lors de la remise du prix Photo Master qui lui était remis sur place.
De fait, un grand format – la photo d’iceberg de la série Genesis – du maître franco-brésilien a été vendu 50 000 dollars par la galerie californienne Peter Fetterman. Sebastião Salgado avait même droit à une exposition spéciale de ses images récentes à Photo London, de superbes tirages au platine sur papier Arches Aquarelle.
Un Talbot à £ 300 000
En revanche, des trésors de l’enfance de la photographie ont eu plus de peine à trouver preneur. La grande vague de Gustave Le Gray, proposée à 250 000 livres, ou Veronica in Bloom de William Talbot (300 000 livres) sont restées accrochées à la James Hyman Gallery.
La plupart des expositions qui accompagnaient Photo London n’ont duré que le temps de la foire. Sauf la principale, à découvrir à la Somerset House jusqu’au 24 août: une magnifique sélection des fonds anciens du Victoria & Albert Museum, premier musée au monde à collectionner la photographie (en 1852).
La sélection est centrée sur Londres, jadis capitale de la photographie, mais qui compte l’être à nouveau. William Talbot est notamment l’inventeur du premier procédé photo reproductible, le papier salé, une technique célébrée jusqu’au 7 juin à la Tate Britain. Avec le papier salé, les termes «négatif» et «positif» se sont imposés, à nouveau grâce à l’astronome-photographe John Herschel. Rule Britannia!