David Brun-Lambert
Documentaires musicaux. Alors que sort un film autour du dernier concert du groupe anglais Pulp, retour sur une tendance où les adieux d’un artiste rock se jouent filmés.
Les derniers instants avant la séparation définitive entre les membres d’un groupe, son public et sa ville: c’est ce que conte Pulp: A Film About Life, Death & Supermarkets. Sensible et percutant, ce documentaire où se montre l’ultime concert donné par l’un des plus beaux navires de la pop britannique du siècle passé s’inscrit, mine de rien, dans une tradition qui voit, depuis le début des seventies, les adieux de formations rock soigneusement mis en scène et sublimés.
«Il nous a fallu du temps pour arriver ici», lance Jarvis Cocker en introduction au concert de Pulp à Sheffield le 8 décembre 2012. Après trois décennies d’existence en pointillé, de succès tardifs et de galères homériques, ce qui demeure l’un des groupes emblématiques de la vague brit-pop choisissait «sa» ville pour tirer une révérence finale.
Subtil, jamais hagiographique, le film de Florian Habicht observe la trajectoire et les petites misères de Pulp, par le biais des common people d’une cité industrielle fière et déprimée que Cocker a mieux que nul autre chantée. Surtout, alors que sonne l’heure des adieux, il montre l’hésitation qui étreint et dévore.
De Woodstock à michael
Lorsqu’il se forme, un groupe pop songe-t-il à l’instant où il devra se séparer? Si cette question sous-tend le film de Habicht, elle traverse aussi la plupart des docus musicaux produits depuis les années 70, ère durant laquelle le succès remporté en salle par Woodstock (1970) a précipité l’avènement d’un genre nouveau: le film rock.
Gimme Shelter (1970), Elvis: That’s the Way It Is (1970) ou Pink Floyd: Live at Pompeii (1972) ont ainsi tour à tour révélé tout l’intérêt stratégique que recèlent ces productions hautement lucratives. Public comblé, ventes de disques tonifiées, attention médiatique assurée.
A l’instar de Let It Be (1970), où les Beatles se découvrent à la dérive en studio, concédant pour finale un concert bancal donné depuis un toit de Londres. Culte! A peine plus tard, les quatre se séparaient. Et Let It Be d’apparaître comme la matrice d’un genre cinématographique rock de type nouveau: les adieux filmés.
Document à haute teneur symbolique pour les fans et œuvre testamentaire cruciale à l’érection d’un mythe pop, les pellicules consacrées à l’ultime concert se sont ainsi multipliées: de Ziggy Stardust and the Spiders From Mars (1973), qui voit Bowie suicider son personnage, à The Last Waltz (1978), dernière réunion du groupe canadien The Band, ou plus récemment This Is It, montage de ce qu’aurait pu être le salut impérial de Michael Jackson.
Et maintenant, on fait quoi?
Pour tous ces films, passé l’adrénaline des adieux, le désœuvrement qui succède est très peu montré. Et cette crudité du vide, c’est justement elle qu’interroge Shut Up & Play the Hits (2012), funérailles live du groupe new-yorkais LCD Soundsystem.
Construit autour d’un itinéraire de quarante-huit heures qui suit le musicien James Murphy avant, pendant et après le sabordage de son groupe au Madison Square Garden, le film ose justement cette question: et maintenant, on fait quoi?
«Une fois atteint un certain niveau de notoriété, que peut-on espérer? demandait James Murphy rencontré chez lui, à Brooklyn. De nouveaux succès, de plus grandes scènes et plus de fric? So what? J’aime les challenges, pas les contraintes. De ce point de vue, dissoudre le LCD fut une bonne décision, même si je me suis soudain retrouvé sans projet.»
Depuis, Murphy a produit l’album Reflektor d’Arcade Fire et remixé David Bowie. On connaît retraite moins heureuse. Cette même retraite que redoute toute idole pop rangée des stades. Et que si peu d’entre eux, derrière le masque, osent sérieusement envisager durable.
Dans le film consacré à Pulp, Jarvis Cocker – aujourd’hui à la tête d’un show sur BBC6 – n’annonce-t-il pas, d’ailleurs, «I’ll be back»?