Création. Dans «Saturation», le metteur en scène lausannois récidive dans l’art de rassembler des dizaines d’enfants et d’adolescents au cœur d’un espace scénique qui devient intimement le leur.
La journée est importante: pour la première fois, dix jours avant la première, les groupes de l’école du Théâtre en Chantier (TEC) vont «accrocher les wagons» de leur spectacle, autrement dit mettre bout à bout les scènes qu’ils ont minutieusement inventées et préparées lors de leurs cours hebdomadaires, chacun de leur côté.
Concentrés, curieux, véritablement immergés dans l’univers qu’ils ont contribué à faire naître, ils montent cette création comme un puzzle et en découvrent avec ravissement les pièces jusqu’alors manquantes.
Face à eux, leur prof de théâtre et metteur en scène, Sanshiro, donne les repères utiles, rappelle les consignes, synchronise les déplacements avec précision et calme. Les groupes d’enfants et d’adolescents interprètent ainsi leurs partitions de gestes, de mots et d’attitudes qui se révèlent comme par magie parfaitement complémentaires.
Une fois encore, comme à chacun de ses spectacles – et cela depuis bientôt dix ans –, Sanshiro parvient à mettre en espace un récit qui se comprend et s’éprouve grâce à quelques repères parlés, certes, mais avant tout au travers du langage corporel des divers protagonistes (deux volées de 70 comédiens!) et de l’esprit collectif qui le cimente.
Entouré d’une équipe de professionnels – scénographe, éclairagiste, costumière –, Sanshiro, musicien dans l’âme, recourt aussi à un support essentiel: il ancre le déroulement du spectacle dans une bande-son évocatrice pour le spectateur mais surtout indispensable aux acteurs puisqu’elle donne le rythme de leurs déplacements et joue, à sa façon, son rôle de chef d’orchestre théâtral.
Trouvailles scéniques
Saturation raconte les pièges du «trop-plein», représenté par un tuyau gigantesque qui crache de quoi se divertir, s’encombrer, s’oublier et perdre de vue les autres. «En début d’année scolaire, les adolescents s’interrogeaient sur les limites, puis ils se sont concentrés sur ce thème», se souvient Sanshiro.
Mais comment transformer cette préoccupation en spectacle? «Inventez-moi des situations où vous avez ressenti ce trop-plein!» lance-t-il alors à ses dix classes du TEC. Trop-plein d’amour, exubérance, fêtes, ascenseurs bondés, foule, bruits, avalanche d’informations si décousues qu’elles en perdent leur sens…
A la fois pédagogue et magicien du mouvement, Sanshiro a entendu ses élèves, observé leurs gestes, désarroi, humour et espérance. Il a suivi ces pistes éparses et les a traduites en scénario cohérent.
Mieux encore: il est parvenu à faire incarner à chacun, quels que soient son âge, son effronterie ou sa timidité, tous les éléments mentionnés au cours des improvisations initiales. Des scènes comme celles de l’ascenseur bondé, du bal, de la tempête ou de la chambre d’un être solitaire sont autant de trouvailles scéniques d’une parfaite efficacité qui se passent d’accessoires. Les comédiens deviennent miroir, lampadaire, téléviseur, danseurs, ascenseur. Ils jonglent avec les situations, passent de l’ombre aux pleins feux.
apprendre à regarder
En cette journée de répétition-découverte, ils écoutent, regardent, se préparent à entrer en scène et s’applaudissent mutuellement. Comme les spectateurs futurs, ils découvrent à quel point chacun d’eux est important.
«Le but du TEC n’est pas de former des comédiens, glisse Sanshiro, mais des êtres qui osent imaginer, dire et être en ayant confiance en leur voix, leur corps, leur ressenti.» Qui ont éprouvé la force du collectif, du partage de leur espace – scénique mais aussi vital.
«Et qui ont appris à regarder les autres.» Ceux qui sont sur un plateau de théâtre comme ceux qui partagent la scène de leur vie.

