Rencontre. Le comédien français a reçu le Prix d’interprétation masculine du 68e Festival de Cannes pour sa prestation dans «La loi du marché», de Stéphane Brizé.
«Je n’entends pas ce que vous dites…» Lorsque, au lendemain de la projection officielle à Cannes de La loi du marché, qui marque sa troisième collaboration avec le réalisateur Stéphane Brizé après Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printemps, on glisse à Vincent Lindon que certains en font déjà un sérieux candidat au Prix d’interprétation masculine, il fait la sourde oreille.
Il n’aurait pu en être autrement, tant ce comédien discret respire l’humilité et la sincérité. A l’heure des interviews à la chaîne, le comédien ne montre, contrairement à d’autres, aucun signe de lassitude, s’emballe, réfléchit, vous interpelle et vous prend par le bras pour appuyer ce qu’il dit, n’hésite pas à se lever pour joindre les gestes à la parole.
Il y a chez ce Parisien une chaleur latine qui donne l’impression de rencontrer un ami.
Cinq jours après cet entretien, le Français a bel et bien reçu ce prix qui a par le passé salué le travail de Marlon Brando, Paul Newman, Jean-Louis Trintignant, Marcello Mastroianni ou encore Gérard Depardieu. Plusieurs fois sélectionné pour les césars mais jamais primé, il a savouré l’instant.
Comme il n’avait pas préparé de discours, il a commencé, pour gagner du temps, par embrasser in corpore le jury présidé par Joel et Ethan Coen. Il est comme ça, Vincent Lindon, il fonctionne à l’instinct.
Lorsqu’on lui demande comment il s’est préparé, pour La loi du marché, à entrer dans la peau de Thierry, ce grutier obligé de se recycler en agent de sécurité après une longue période de chômage, il explique qu’il ne fait jamais rien de manière consciente.
«Il ne faut pas que je parle de mon travail, parce que je vais vous décevoir, et je ne me rends pas service du tout», rigole-t-il avant d’avouer que, pour chaque personnage qu’il incarne, il lui faut simplement trouver un geste ou une posture.
«Pour Welcome, par exemple, la clé a été d’arriver à marcher le long d’une piscine à la vitesse d’un enfant qui nage. Pour ce film, ça a été le talkie-walkie, la façon de le positionner au coin de la bouche afin d’avoir la tête plus mobile et d’observer en même temps ce qui se passe autour.
A partir de là, tout est venu.» pas d’approche psychologique
On tente alors de parler psychologie des personnages. En sait-il plus que nous sur ce Thierry que l’on découvre d’entrée de film en pleine discussion avec une conseillère en placement? «Je ne suis pas psychologique, tranche-t-il instantanément. Je m’en tape à un point, vous n’avez même pas idée…
Tout ce qui compte, c’est comment il est habillé, comment il bouge. Savoir s’il était censé être énervé dans la scène d’avant, s’il a perdu un enfant, ça ne m’intéresse pas. Je connais des acteurs, et des très bons, qui veulent tout savoir de leur personnage, qui ont besoin de parler pendant des heures avec le metteur en scène, de leur inventer une histoire.
Moi pas!» Epaules tombantes, regard fuyant: le Thierry qu’il incarne semble écrasé par sa situation de chômeur, puis par son travail qui l’obligera à arrêter des personnes contraintes de voler de simples coupons de réduction pour économiser quelques précieux euros. Sa posture, qui est sa proposition, souligne-t-il, dit beaucoup de choses.
Lindon est content qu’un film comme La loi du marché, qui impressionne par son approche documentaire et son récit tendu mais toujours d’une grande justesse, ait bénéficié de cette grande vitrine qu’est le Festival de Cannes.
Mais, au-delà de la dimension sociale ou militante d’un projet, ce qui importe pour lui, c’est l’histoire racontée. En tant que spectateur, ce qu’il aime, c’est avoir l’impression de devenir le héros. «Je n’ai aucun snobisme; même lorsque je vais voir un film de divertissement, je fonctionne comme cela.
Je suis devenu fou devant Taken. Je suis papa et j’avais envie d’être ce type qui défend sa fille. J’ai vu le film sept fois! Ça a été la même chose avec Thierry. Dès que j’ai lu le scénario, j’avais envie d’être lui.»